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    Questions à Gerald Grunberg

    Par Gérald Grunberg

    A paraître : Bibliothèques municipales, programmation, construction, équipement, aux Editions du Moniteur.

    ABF : Il paraît quatre livres sur les bâtiments de bibliothèque en 1993. N'est-ce pas trop ?

    Gérald Grunberg : Certes non. La littérature professionnelle française sur les constructions était trop réduite. Deux ouvrages de référence : la Bibliothèque dans la ville et Un espace pour le livre en tout et pour tout. Quelles que soient la valeur et la qualité de ces ouvrages qui ont rendu d'inestimables services aux bibliothécaires, aux élus, aux architectes, c'était trop peu. Nos collègues anglais ou américains disposent de bibliothèques professionnelles beaucoup plus importantes et ne s'en plaignent pas. Il faut espérer que la notre s'enrichira encore car au-delà des ouvrages généraux qui sortent cette année, il y a place pour toute une série de monographies plus spécialisées sur de nombreux sujets touchant à la programmation, à la construction et à l'équipement des bibliothèques. En outre, chacun des ouvrages parus ou à paraître cette année a des objectifs qui lui sont propres.

    ABF : Comment se situe le votre dans ce contexte : les différences, les originalités ou nouveautés, les objectifs précis ?

    GG : Comme son titre l'indique, l'ouvrage à paraître aux Éditions du Moniteur concerne exclusivement les bibliothèques municipales. Il s'agit d'offrir un instrument de travail qui permette d'aborder les questions de programmation de construction et d'équipement des bibliothèques municipales dans des situations très différentes : construction ex nihilo d'une centrale ou d'une annexe dans une ville moyenne ou grande ou construction dans une petite ville mais aussi rénovation, modernisation, extension d'une bibliothèque déjà existante même relativement récente. La situation française est en effet complexe : non seulement il reste plus de 400 000 m2 de planchers à construire dans les villes de plus de 10 000 habitants, mais de nombreux équipements construits dans les années 1970 sont aujourd'hui à revoir. Le tout dans un contexte marqué à la fois par une capitalisation d'expériences importantes depuis vingt ans et par les effets de la décentralisation qui sont multiples. De telle sorte que les réponses aux questions que pose la programmation d'une bibliothèque se sont beaucoup diversifiées ces dernières années. Cette diversité constitue une richesse à condition de l'ordonner pour permettre au maître d'ouvrage un véritable choix dans le double respect des contraintes bibliothéconomiques bien identifiées et des solutions techniques les plus éprouvées. Sur ce dernier point aussi les choses ont beaucoup bougé car les techniques ont progressé : informatique, climatisation, qualité des matériaux, etc.

    Les grands principes bibliothéconomiques : par exemple la distinction des différents circuits - public, personnel, documents - seront évidemment rappelés et détaillés comme ils l'étaient déjà dans La bibliothèque dans la ville, mais on peut penser qu'ils sont désormais assez connus et que l'apport de l'ouvrage doit aller bien au-delà.

    Il s'agit de restituer tout l'acquis de ces dernières années (constructions en France et voyages à l'étranger), qui se traduit désormais par un savoir-faire français original et très intéressant dont témoignent de nouvelles réalisations particulièrement réussies. C'est pourquoi le collectif d'auteurs est largement composé de conservateurs qui ont réalisé une bibliothèque au cours des dernières années, mais aussi d'un programmateur, professionnel de plus en plus présent aux côtés des bibliothécaires.

    Les nouveautés seront nombreuses. J'en citerai deux (la première est déjà présente dans Construire une bibliothèque universitaire) :

    • une nouvelle méthode de programmation, reposant moins sur des programmes indicatifs qui seront néanmoins présents et actualisés que sur une analyse théorique des besoins qui prenne en compte de multiples paramètres, bien au-delà du seul critère de population à desservir. Songeons par exemple à la variable extrêmement importante des horaires d'ouverture et des variations d'utilisation d'un bâtiment selon que l'on est en heure de pointe ou en heure creuse. Une autre variable est l'accroissement des collections selon que la mission patrimoniale est plus ou moins développée (par exemple dans le cas des BMVR). Autres variables : l'organisation du travail et des effectifs. Ces variables doivent être croisées avec des ratios qui se sont beaucoup diversifiés, par exemple les ratios de places de lecture, selon le type de place et l'importance de l'informatique, de l'audiovisuel, etc. La méthode est à la fois plus souple que par le passé en ce qu'elle permet de prendre en compte la diversité des situations locales et en même temps plus rigoureuse en ce qu'elle débouche sur une analyse plus détaillée des besoins.
    • une nouvelle approche de la question des mobiliers et équipements

    Traditionnellement, le mobilier est traité indépendamment de la programmation des espaces. Il est vrai que chronologiquement, l'établissement des cahiers des charges pour le mobilier vient largement après les dossiers de consultation des entreprises pour la construction. Mais il nous a semblé que ce calendrier de la réalisation ne vaut pas pour la programmation. Une programmation correcte d'espace suppose en effet que l'on en connaisse bien sûr la fonction, mais aussi le fonctionnement et donc les types de mobiliers et d'équipements que cet espace va recevoir. Les mobiliers et les équipements seront donc traités spécifiquement pour chaque fonction et pour chaque espace en même temps que ceux-ci.

    L'originalité de l'ouvrage tiendra, me semble-t-il, à une double caractéristique. D'une part, l'ouvrage plaidera pour la reconnaissance du fait architectural et tentera de fournir des éléments visant à mettre un terme au dialogue de sourds qui s'est parfois installé entre fonctionnalité et architecture. L'architecte doit comprendre les exigences fonctionnelles du bibliothécaire et l'ouvrage a bien pour objet de permettre à ce dernier d'exprimer ces exigences de la façon la plus précise possible, mais le bibliothécaire doit de son côté admettre la part incompressible de l'architecture. L'ouvrage l'y encouragera. D'autre part, cet ouvrage sera marqué par une grande liberté laissée tant aux auteurs qu'aux lecteurs. C'est ainsi que des points de vue contradictoires seront exposés et présentés comme tels. Songeons par exemple au débat sur le fameux décloisonnement entre sections adultes et sections jeunes ou enfants. Au-delà de certains principes bibliothéconomiques intangibles, il existe pour certaines questions toute une gamme de solutions qui relèvent de l'appréciation du maître d'ouvrage (bibliothécaires et élus). Il s'agit donc d'augmenter la compétence du maître d'ouvrage tout en le rendant plus libre de ses choix.

    ABF : Comment le définir par rapport à la Bibliothèque dans la ville?

    GG : La bibliothèque dans la ville, réalisé sur la direction de Marie-Françoise Bisbrouck, a joué un rôle essentiel tout à fait décisif. Cet ouvrage est la clé de dix ans de constructions dont rend bien compte le livre qui vient de paraître à la Réunion des musées nationaux. Mais il est en voie d'épuisement, et la question se posait depuis longtemps de sa réédition. Peut-on se contenter d'une simple réédition, même actualisée ? Personne, ni la Direction du livre et de la lecture, ni les Éditions du Moniteur, n'envisageait sérieusement cette solution minimale tant les changements intervenus en dix ans sont considérables. Je n'en citerai que trois : la professionnalisation croissante des bibliothécaires, mais aussi de certains architectes, la décentralisation qui a profondément modifié les conditions du dialogue entre l'État et les collectivités locales et fait évoluer leurs rôles respectifs, enfin bien sûr les mutations techniques - notamment l'informatique - qui agissent fortement sur les bibliothèques. Il faudrait mentionner également les évolutions sociales et culturelles à la fois nationales et locales dont les répercussions sur la programmation et la construction des bibliothèques sont évidentes : la place nouvelle de la documentation pour répondre aux besoins d'une partie de la population mais aussi l'attention portée aux exclus de la lecture, l'importance de l'information et de ses modes de traitement mais aussi le souci patrimonial et une nouvelle approche de la conservation.

    Bref, ces évolutions et mutations multiples ont conduit la Direction du livre et de la lecture et les Éditions du Moniteur à remplacer la Bibliothèque dans la ville par un ouvrage qui serait entièrement repensé et réécrit. J'ai été chargé de diriger la publication du nouvel ouvrage à paraître à la fin de l'année. Cet ouvrage comprendra deux parties :

    • * une partie technique rédigée par un collectif d'auteurs et composée des grands chapitres suivants :
      • le cadre général
      • évolutions des bibliothèques publiques
      • les bibliothèques municipales
      • les publics des bibliothèques municipales
      • l'analyse préalable
      • l'environnement social, culturel et documentaire
      • l'approche théorique des besoins (ratios)
      • les données urbanistiques
      • le bâtiment que l'on veut, les coûts
      • le programme
      • les grands paramètres
      • les services publics
      • les services internes
      • les équipements de proximité
      • les bibliobus
      • la préparation de l'ouverture
    • une partie Mémento et guide pratique rédigée par la DLL
      • l'État et les bibliothèques municipales
      • les programmes indicatifs et les normes techniques
      • les textes réglementaires
      • les étapes du projet
      • dix bibliothèques récentes, extraits de programmes et de plans.

    ABF : Comment avez-vous travaillé ? Quels sont vos collaborateurs ?

    GG : Comme je l'ai dit, les auteurs sont pour l'essentiel des conservateurs. Il s'agit notamment de : Claudine Irlès (Annecy et Marseille), Martine Blanc-Montmayeur (Valence), Danièle Robert (Bordeaux), Anne-Marie Bernard (Villeurbanne et Bordeaux), Philippe Charrier (DLL et Bibliothèque de France), Jean-Paul Oddos (Chambéry et Bibliothèque de France). Il y a aussi un programmateur : Patrick O'Byrne, une sociologue : Bernadette Seibel, etc. L'équipe comprend également Michel Melot, Bertrand Callenge, Annie Pissard, Hélène Jacobsen. Du côté de la DLL, un collectif comprenant un architecte et plusieurs conservateurs travaille sous la direction de Dominique Arot.

    Le premier travail a été de mettre au point un plan détaillé, chaque auteur sachant exactement ce qu'il a à rédiger. Il me reste actuellement à mener avec la DLL un travail d'harmonisation entre les différentes contributions.

    ABF: Questions d'édition: nombre de pages ? illustrations ? tirage ?

    GG : L'ouvrage comprendra 300 pages ; il sera abondamment illustré car la DLL met sa documentation à la disposition des auteurs. Un premier tirage est prévu à 3 000 exemplaires.

    ABF : Qui seront vos lecteurs ?

    GG : L'ouvrage est destiné aux bibliothécaires, aux élus et responsables municipaux ainsi qu'aux architectes et bureaux d'étude.

    ABF : Vous reste-t-il un regret ? Quelque chose que vous n'ayez pas eu le temps de traiter ?

    GG : Pour l'instant, je ne puis préjuger de ce que donnera le résultat final de ce travail immense car nous sommes encore loin du but.

    Mais j'ai effectivement un regret. Lorsque je suis entré à la DLL en 1985, Anne-Marie Bertrand, à qui je succédais, m'a remis un volumineux dossier intitulé "Diagnostic des équipements mis en service". Il s'agissait d'une tentative d'analyse critique des équipements réalisés de 1975 à 1985. Faute que la DLL ait pu dégager les moyens nécessaires pour mener à bien cette entreprise, le dossier a peu évolué et encore aujourd'hui ce travail reste à faire. Il eût été fort utile pour l'ouvrage que nous préparons. Il faudra bien que ce soit un jour l'objet d'une autre publication.

    ABF : Vous êtes en charge de la bibliothéconomie à la Bibliothèque de France, n'est-ce pas très éloigné des bibliothèques municipales ?

    Oui et non. D'abord, je dois peut-être rappeler qu'après avoir mené la réalisation d'une bibliothèque municipale dès 1975, je me suis toujours intéressé aux constructions de bibliothèques publiques. Ce fut d'ailleurs ma fonction à la DLL de 1985 à 1989. Certes, la Bibliothèque de France est une bibliothèque nationale, avec une double vocation de bibliothèque patrimoniale et de bibliothèque de recherche, ce qui est fondamentalement différent des missions d'une bibliothèque municipale. Mais concernant la programmation, il y a une grande communauté de questions bibliothéconomiques entre tous les types de bibliothèques, quelle que soit l'échelle. Je suis d'ailleurs convaincu que des très nombreuses études que nous avons menées ou fait mener depuis 1990 pour la Bibliothèque de France, il y a de nombreux enseignements à tirer pour toutes les bibliothèques. Je veux toutefois souligner qu'il n'y aura pas confusion des genres : l'ouvrage est consacré aux bibliothèques municipales et exclusivement à ces bibliothèques comme en témoigne assez, me semble-t-il, la composition du collectif de rédaction. Enfin, je veux faire une remarque. Il est exact que l'essentiel de notre expérience en matière de programmation et de construction vient depuis vingt ans des bibliothèques publiques. Et pour cause... Je ne sache pas qu'il se soit construit une bibliothèque nationale en France depuis 1859. Quant aux bibliothèques universitaires, on sait que de 1965 à 1990 il ne s'est pas passé grand chose. Cette provenance "bibliothèques publiques" a pourtant parfois été critiquée concernant la Bibliothèque de France. Il ne faudrait pas que maintenant l'étiquette "Bibliothèque de France" interdise de traiter de la construction d'autres types de bibliothèques. A quoi sert de parler de la communauté des bibliothèques si c'est pour nier la transversalité de certaines spécialisations ?