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    Questions à Daniel Renoult et Marie-Françoise Bisbrouck

    Par Daniel Renoult
    Par Marie-Françoise Bisbrouck

    Construire une bibliothèque universitaire

    ABF : Il va paraître 4 livres sur les bâtiments de bibliothèque en 1993, n'est-ce pas de trop ?

    (1) Daniel Renoult : Il était grand temps au contraire que paraissent des ouvrages en français sur les constructions et la programmation des bibliothèques. Ce relatif foisonnement vient heureusement combler une grande lacune. Jusqu'à présent, les grands ouvrages de référence, comme par exemple le remarquable livre de Godfrey Thompson (Planning and design of library buildings) ou celui de Keyes D. Metcalf (Planning académie and research library buildings) étaient en anglais. D'une manière générale, je ne crois pas que les ouvrages de référence en français sur les bibliothèques soient trop nombreux. Sur les bibliothèques universitaires précisément, les textes de référence se trouvent dispersés dans des articles connus seulement de quelques spécialistes. A ma connaissance, notre ouvrage sur la construction des bibliothèques universitaires est le premier du genre en langue française.

    Marie-Françoise Bisbrouck : A vrai dire, il faut reconnaître que nous sommes très pauvres en articles et ouvrages de fond sur les bâtiments des bibliothèques universitaires de même que sur leur organisation, car lorsqu'on doit construire, étendre ou réaménager un bâtiment de bibliothèque, c'est toute son organisation qu'il faut revoir : l'organisation des collections souvent, des conditions d'accueil du public toujours, mais aussi l'organisation du travail du personnel dans la bibliothèque. Peu de directeurs de bibliothèques, que leur établissement soit municipal, départemental ou universitaire, écrivent des articles sur les solutions qu'ils ont adoptées pour régler tel ou tel aspect de la vie de leur bibliothèque, si bien qu'il n'y a pas de mémoire collective qui se formerait petit à petit. En matière de bâtiments, chacun reste très replié sur soi-même alors qu'aux Etats-Unis, Library Journal par exemple, dresse chaque année dans son dernier numéro le bilan des nouvelles constructions et l'état des chantiers en cours en fournissant des données précises concernant notamment les surfaces, les collections et les places de consultation. De même, en Allemagne, l'excellente revue ABI-TECHNIK fournit des articles très documentés sur les bâtiments de bibliothèques achevés quelques mois plus tôt, en précisant les grands principes qui ont régi la construction ou l'extension du bâtiment, en donnant le programme des surfaces et en publiant au moins une partie des plans et des coupes. Ceci constitue une mine de renseignements sur l'évolution des bibliothèques dans ce pays.

    Les revues professionnelles françaises pourraient sans doute s'inspirer de ces exemples.

    ABF : Comment définiriez-vous ce livre par rapport à votre premier ouvrage "La Bibliothèque dans la ville" ?

    M-FB : Il est évident qu'il y a un grand lien de parenté entre ces deux ouvrages, avec cependant une différence qui est liée à la période à laquelle chacun d'entre eux a été écrit. En ce qui concerne "La bibliothèque dans la ville: concevoir, construire, équiper" paru en mars 1984, il s'agissait d'une sorte d'aboutissement après dix ans de réflexion et de travail de tout un service, le service de la Lecture publique d'abord dirigé - et remarquablement dans les deux cas - par Alice Garrigoux puis Louis Yvert, sur les très nombreux projets de construction de bibliothèques municipales présentés par les communes dans les années 1970. Pour notre ouvrage actuel, l'absence de tout document de référence nous a conduit avant même d'entamer toute action de construction - ou presque - à mettre en place des instruments de réflexion et de méthodologie qui allaient pouvoir nous guider et orienter nos interlocuteurs et nos partenaires dans la mise en place de bibliothèques universitaires modernes. Quant au lien de parenté entre ces deux ouvrages, il est évident qu'il s'agit - chaque ouvrage étant replacé dans son contexte - de rendre le plus accessible possible des éléments de méthodologie, de réflexion, des informations pratiques sur l'évolution des bibliothèques, afin de pouvoir les construire de la manière la plus intelligente et la plus évolutive qui soit.

    ABF : Dans quel contexte pouvez-vous situer "Construire une bibliothèque universitaire" ? Quels étaient vos objectifs ?

    DR : Notre livre a effectivement une histoire bien précise, liée à l'essor de l'enseignement supérieur depuis 1989. Lorsque le gouvernement a lancé un programme pluriannuel de constructions universitaires, le plan Université 2000, nous ne disposions plus vraiment d'outils de programmation pour les bibliothèques universitaires. Tout ce qui existait paraissait vieilli, abstrait et peu convaincant. N'oubliez pas qu'on n'avait pas construit de bibliothèques universitaires depuis quinze ans. Armand Frémont, alors directeur de la Direction de la Programmation et du Développement Universitaire, nous a suggéré de lancer un groupe de travail sur le sujet. Très vite, nous avons demandé à Pierre Merlin, professeur à Paris I et président de l'Institut Français d'Urbanisme, de présider ce groupe, et sollicité des participants venus d'horizons divers et complémentaires : universitaires, bibliothécaires, architectes. Nous nous sommes assurés le concours d'un cabinet de programmation (Crosnier-Besson) et avons mis en place des réunions à un rythme soutenu. Un travail fructueux : chacun s'est engagé à fond, et les débats furent parfois passionnés. Au bout de six mois, la DPDU était en mesure de publier un premier document fournissant une méthode de programmation très quantitative et donnant des orientations : insertion dans l'université, ouverture sur la ville, etc.

    M-FB : Cette brochure d'une centaine de pages a connu un succès fou. Tirée à 700 exemplaires, elle a été épuisée en quelques mois. Malgré tout, cela ne nous donnait pas vraiment satisfaction. Elle nous avait permis de faire face à l'urgence. C'est tout. Avec Daniel Renoult, nous avons pris la décision d'aller jusqu'à la rédaction d'un vrai livre, traitant aussi des aspects qualitatifs, décrivant des expériences étrangères, analysant des plans.

    DR : Je ne crois pas que j'aurais accepté sans l'expérience et la force de travail de Marie-Françoise. Il me semble aussi qu'il est indispensable de faire de tels livres. En tant que sous-directeur des bibliothèques, j'ai acquis la conviction que notre mission n'est pas seulement de répartir des moyens ou de faire évoluer la réglementation , mais aussi de contribuer à formaliser et développer des idées.

    ABF : Comment avez-vous travaillé, quels étaient vos collaborateurs ? Qui vous a encouragé, soutenu ou critiqué ?

    M-FB : Le projet du livre était plus complexe que celui du groupe de travail. Il ne s'agissait plus simplement de traiter de certains aspects des constructions, et nous savions qu'en dehors des membres du groupe initial nous devrions faire appel à de nombreux collaborateurs spécialisés, qu'il serait en pratique difficile de réunir fréquemment. Dans ces cas-là, le danger c'est de publier un recueil de contributions disparates, sans unité véritable. Avec Daniel Renoult, nous avons cherché à donner un maximum de cohésion à l'ensemble, et pour cela il a parfois été nécessaire de déplacer des parties, de re-rédiger quelques pages. Dans leur immense majorité les auteurs ont compris et accepté cette règle du jeu. Ce travail complexe a été très fructueux et très enrichissant pour tous. Entraîner dans un projet commun et faire travailler ensemble des architectes, des ingénieurs, des universitaires et des bibliothécaires a été extrêmement intéressant pour nous; c'est l'exacte préfiguration de ce qui doit se passer dans nos projets de construction où chacun, avec son savoir propre, doit apprendre à le mettre à la disposition des autres, avec le minimum de jargon professionnel et le maximum d'écoute !

    DR : Nous avons refusé tout parti pris trop polémique, ou trop idéologique. Ce n'était pas notre but. Nous voulions faire un livre pratique, destiné aux gens du terrain. L'objet du livre c'est avant tout de rendre service aux maîtres d'ouvrage, architectes, bibliothécaires en fournissant des méthodes, des analyses. Cela dit, le livre prend clairement parti sur de nombreux points comme la généralisation du libre accès, l'élargissement des horaires d'ouverture, orientations que la plupart des universités et l'Etat défendent dans le cadre de la politique contractuelle.

    ABF : Sur le plan graphique, l'ouvrage sort des normes de la collection "Bibliothèques", pour quelles raisons ? Quelles ont été vos critères de sélection des illustrations ?

    M-FB : Un ouvrage technique sur la construction de bâtiments ne peut être présenté dans un format trop petit si on veut pouvoir l'illustrer correctement; les gens attendent que vous leur fournissiez des plans lisibles, des photographies de bonnes dimensions, des tableaux clairs et des organigrammes de fonctionnement parfaitement compréhensibles. Le format que nous avons choisi d'un commun accord avec l'éditeur permet cela. En ce qui concerne les illustrations, vous verrez que nous avons volontairement joué la carte de l'éclectisme puisqu'il y a des photos de bibliothèques non universitaires comme la médiathèque de la Cité des sciences et de l'industrie, la bibliothèque de la Cité à Genève et des bibliothèques municipales. Il faut toujours prendre le meilleur là où il se trouve ! Quant à la page de couverture, elle représente l'une des plus belles bibliothèques universitaires des Pays-Bas, celle de Groningen. Dans quelques années, si nous réalisons un nouvel ouvrage sur ce sujet, nous disposerons certainement d'une belle collection de photographies de bibliothèques universitaires françaises! A notre grand regret, ce n'est pas encore le cas !

    DR : En préparant le livre, en choisissant les collaborateurs, nous avons toujours pensé à son futur public. Il s'agit en somme d'un guide complet, fait autant pour être consulté que pour être lu en lecture suivie. De ce point de vue un gros effort a été fait pour la mise en page et l'index.

    ABF : Quels seront vos lecteurs ?

    M-FB : Nous espérons naturellement que le livre intéressera tous les bibliothécaires, et pas seulement ceux qui travaillent en université, car bien des points que nous traitons concernent en réalité tous ceux qui ont un projet de construction ou de rénovation, qu'il s'agisse de bibliothèques ou de centres de documentation. Mais un ouvrage comme celui-là est conçu pour être utilisé par l'ensemble des professionnels, architectes, programmistes, urbanistes, fournisseurs de mobilier qui participent à un projet. Il devrait intéresser aussi les maîtres d'ouvrage : universités, ou collectivités locales. N'oublions pas que, pour les seules bibliothèques universitaires, près de 70% des opérations se feront sous la maîtrise d'ouvrage d'une collectivité locale.

    ABF : Vous reste-t-il un regret ? Quelque chose que vous n'ayez pas le temps ou les moyens de traiter ?

    M-FB : Il y aura naturellement toujours des choses que l'on aura pas eu la possibilité de traiter. Nous nous étions fixés comme date de sortie de l'ouvrage le Salon du Livre. Pour y parvenir, il a fallu travailler comme des fous ; ce que l'on ne sait peut-être pas, c'est que lorsqu'on a achevé ce genre de manuscrit, on n'a fait que la moitié du travail ! Nous avons ensuite passé près de six mois avec l'éditeur pour travailler à la réalisation technique et à l'illustration de l'ouvrage ! Le regret porte peut-être sur le fait que nous n'avons pas pu mener certaines enquêtes sur les collections de base nécessaires dans les bibliothèques selon les différentes disciplines, ou sur le personnel souhaitable en nombre et en qualification pour assurer telle ou telle tâche. Nous ne disposons pas non plus de suffisamment d'indicateurs concernant le véritable coût d'un bâtiment de bibliothèque universitaire pour être en mesure de publier des informations incontestables; j'entends par là du coût d'un bâtiment moderne de qualité qui prenne en compte non pas le prix plafond pratiqué mais le confort de l'usager sur le plan acoustique, sur le plan de la qualité des matériaux utilisés, sur le plan de l'espace dévolu à chaque place de travail, sur celui d'un équipement mobilier esthétique et fonctionnel ; il faut aussi tenir compte du câblage du bâtiment, de toutes les installations technologiques désormais normales dans toute bibliothèque, sans oublier le nécessaire bien-être du personnel. Une véritable étude serait à mener dans ce domaine, qui devrait être complétée par une autre sur le coût de fonctionnement des bibliothèques.

    DR : Mon principal regret, c'est sans aucun doute que nous n'ayons pu disposer d'un pareil instrument de travail en 1989. Mais j'ai surtout éprouvé, comme toute l'équipe, une grande satisfaction lors de la sortie du livre. Le succès de notre débat au Salon du Livre nous donne de bons espoirs pour la suite.

    ABF : Et la réalité pratique ? Va-t-on passer du livre à de vraies constructions de bibliothèques ? Va-t-il y avoir un nouveau style de bâtiments issu de ce livre ?

    DR : Le plan Université 2000, qui a démarré en 1991 et s'achèvera en 1995, a pour principal objectif d'accueillir les nouveaux étudiants. Certains en ont conclu qu'il fallait toujours privilégier la construction de nouvelles salles de travaux pratiques ou d'amphithéâtres et ont repoussé à plus tard les bibliothèques. A cet égard, le retard pris par des projets importants, notamment dans les universités nouvelles, est préoccupant. Nous savons d'ores et déjà que certains d'entre eux devront être inscrits dans le Xle plan. Heureusement, nous n'avons pas que des motifs d'inquiétude, mais aussi de satisfaction : par exemple, l'université de Franche-Comté, jusqu'à présent une des plus mal loties de France, disposera d'ici deux ans de deux nouvelles bibliothèques, l'une en Médecine, l'autre en Droit.

    M-FB : Il ne s'agit ni d'un recueil normatif, ni un ensemble de préceptes ou de recettes toutes faites. Bien au contraire, nous avons beaucoup insisté sur les différentes approches possibles dans l'élaboration d'un projet. Cela dit, il faut reconnaître que pèsent encore sur les programmes de construction des contraintes administratives très lourdes, et notamment un système de normes financières archaïques. Dans certains cas, l'obligation de découper les constructions en tranches budgétaires fonctionnelles peut aboutir à dénaturer complètement les projets.

    Mais la réalité pratique, comme vous dites, ce n'est pas seulement le livre, ce sont des stages de formation continue que j'organise maintenant depuis deux ans et qui nous ont déjà permis de toucher près de 70 responsables de projets, ce sont des déplacements nombreux, des participations à des commissions techniques dans le cadre des concours d'architecture, des analyses de dossier menées avec les bibliothécaires dont nous partageons les espoirs. On ne peut pas se contenter d'étudier les projets de construction de bibliothèques à partir de son bureau ; il est indispensable d'aller sur place, de comprendre une organisation, l'histoire de la bibliothèque sur laquelle on a à travailler

    DR : Le mythe de la bibliothèque idéale a la vie dure. Pourtant, elle n'existe pas. François Reiner le rappelait lors de notre débat au Salon du Livre : chacun, architecte, urbaniste, bibliothécaire, doit connaître son métier, et essayer d'en faire bénéficier les autres, sans se substituer à eux. Par ailleurs, la connaissance des méthodes et des contraintes techniques et fonctionnelles ne doit pas nous empêcher de regarder chaque projet d'un oeil neuf. Un bon interprète c'est quelqu'un qui est libéré de la technique, et qui ne s'occupe plus que de la musique.

    ABF : Avez-vous d'autres projets ?

    M-FB : Bien sûr ! le livre ne constitue que le premier pas ! il faut d'abord parfaire la formation de nos collègues chefs de projet. Les premiers stages organisés ont été des stages de sensibilisation à la programmation de bâtiments nouveaux, au déroulement d'un projet, à l'apprentissage de la lecture de plans, etc ; il faut maintenant créer un deuxième module de formation - qui sera effectif en octobre prochain - entrer davantage à l'intérieur des futurs bâtiments, apporter des précisions sur les meilleurs revêtements à mettre dans une bibliothèque, sur les questions d'éclairage naturel et artificiel - je reste frappée par la pauvreté généralisée de l'éclairage dans les bibliothèques - sur l'apport de la couleur qui corrige des volumes peu satisfaisants et crée une ambiance esthétique et confortable. Il nous faut créer des bibliothèques de qualité, que le public aimera fréquenter et respectera ; le respect du lieu accompagne toujours sa beauté et son bon entretien.

    Nous avons aussi d'autres choses à entreprendre. Il faut que la sous-direction des bibliothèques devienne un lieu d'expertise, un véritable centre de ressources en ce qui concerne les bâtiments des bibliothèques et leurs aménagements intérieurs. Pour cela, nous devons non seulement nous déplacer comme je l'ai dit précédemment, en France comme à l'étranger, mais aussi recueillir les éléments d'information les plus précis sur le fonctionnement des bibliothèques, sur leur organisation, leur développement technologique, sur l'évolution des matériaux de construction et des mobiliers, sur les réalisations en cours - et pas seulement dans l'Hexagone - Pour réussir cela, nous ne pouvons pas le faire seuls, il nous faut la complicité amicale de tous les collègues qui travaillent aujourd'hui sur leurs projets de construction, d'extension ou de réaménagement. Qu'ils prennent la peine d'écrire quelques articles sur les opérations qu'ils mènent, et, dans quelques temps, quand leur bâtiment sera réalisé, qu'ils nous fassent part de la manière dont ce bâtiment a été investi par le public et par le personnel. Il nous faudra évaluer ce que nous avons réalisé pour pouvoir faire évoluer les choses !

    DR : Si l'on parle de nos projets, il faut aussi évoquer de nouveaux livres : celui sur la lecture étudiante dont Emmanuel Fraisse assure la coordination et qui devrait paraître avant la fin de l'année 1993. Simultanément, se prépare pour une nouvelle édition la mise à jour de l'Atlas de la France universitaire avec Armand Frémont et Jacques Jolly. Enfin, j'ai accepté la direction d'un ouvrage de synthèse sur les bibliothèques dans les universités françaises aujourd'hui avec des éléments de comparaison européens. Ce dernier projet avance bien, mais cela fait beaucoup de travail ! Tous ces livres contribueront à une meilleure connaissance du monde universitaire, un monde qui change et sur lequel pourtant circulent encore trop de clichés.

    1. Daniel Renoult. sous-directeur des bibliothèques au Ministère de l'Ensei-tinement supérieur et de la recherche et Marie-Francoise Bisbrouck. chargée de mission pour la construction des bibliothèques universitaires. retour au texte