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    La collecte de la littérature grise

    Par Christian Lupovici, Directeur-Assistant du Directeur général INIST
    Par Lucile Grasset, Chef de Service, Gestion des documents primaires INIST

    La littérature grise, dans le domaine scientifique et technique, désigne tous les documents issus de la recherche (des rapports de recherche, d'activité, des études, des thèses, des communications de congrès, des preprints, des traductions, des brevets) qui ne sont ni publiés, ni diffusés par les circuits éditoriaux et commerciaux conventionnels.

    L'essentiel de cette littérature grise est produit ou commandité par des institutions politiques (organismes ministériels, collectivités territoriales), des établissements publics de recherche ou de l'industrie.

    Qu'elle reflète la synthèse d'expérimentations en cours, l'énoncé de connaissances nouvelles ou la formulation de résultats, la littérature grise a une valeur spécifique liée à la rapidité avec laquelle l'information est disponible (avant diffusion dans le cadre d'un congrès ou publication dans une revue) et à l'unicité de l'information qui n'a pas été conçue pour être largement diffusée.

    M Le repérage

    Les documents de littérature grise viennent donc en amont du circuit de diffusion classique des résultats de la recherche et, de ce fait, sont difficiles à identifier par les centrales documentaires. Le processus d'acquisition échappe au schéma classique de la bibliothéconomie, car il ne repose pas sur le repérage du document mais sur le repérage du producteur.

    Obtenir le document primaire pose des problèmes considérables. Il est nécessaire de convaincre les producteurs que faire connaître leurs travaux ne leur fait pas perdre la maîtrise de la gestion et de la valorisation de leurs recherches. L'acte d'acquisition ne peut se faire que dans un contexte d'engagement de la part des organismes financeurs et des chercheurs qui passe par l'élaboration des procédures de communication. Il faut donc organiser avec eux le circuit de transmission des documents et des informations (tâches d'ordinaire dévolues aux éditeurs et libraires).

    En Europe, la collecte et le signalement de la littérature grise sont organisés depuis 1978. Les 13 et 14 décembre 1978 s'est tenu à York, sous l'égide de la Commission des Communautés Européennes, un séminaire sur la littérature grise, réunissant les producteurs, utilisateurs et médiateurs de littérature grise.

    Parmi les recommandations présentées à ce colloque, il fut décidé de créer une base de données européenne permettant le signalement et l'accès aux documents de littérature grise produits par les pays membres de la Communauté Européenne. La base de données SIGLE (System for Information on Grey Literatur'in Europe) fut créée en 1980. Elle est gérée depuis 1985 par l'Association EAGLE (European Association for Grey Literature Exploitation). La collecte des informations pour la base SIGLE est effectuée par des centres nationaux. L'INIST (Institut National de l'Information Scientifique et Technique) est le centre collecteur français et, à ce titre, a pour mission de repérer, localiser, fournir la littérature grise produite sur le territoire national, de promouvoir l'utilisation de la littérature grise et d'encourager la coopération entre les centres producteurs.

    Cette mission de centralisation de la littérature grise est renforcée par d'autres activités de l'INIST : la production de la partie Sciences et Techniques de Télé-thèses, la coproduction de WTI (World Translation Index).

    En 1992, la Commission de Coordination de la Documentation Administrative (CCDA) a entrepris une expérimentation visant l'amélioration du signalement et de la collecte de la littérature grise au sein des organismes ministériels et confiant la diffusion de l'information à deux "guichets", l'INIST pour les documents en sciences et techniques et la Documentation Française pour les documents administratifs. Des progrès indéniables ont été effectués dans la collecte et le signalement plus exhaustif des rapports produits par les ministères.

    Plus récemment, le Ministère de la Recherche et de l'Espace a lancé un appel d'offres pour que soit organisée la valorisation de la littérature grise produite par de grands organismes de recherche. Ce programme a pour but de renforcer le signalement et l'accès à la littérature grise, de soutenir les organismes de recherche dans leur mission de diffusion et de favoriser l'émergence de pôles d'excellence.

    Etant donné que les centres documentaires concernés seront de très grands centres et que c'est l'INIST qui doit en être l'opérateur, on peut supposer que l'organisation du circuit de signalement se fera selon des technologies modernes qui préfigureront la gestion de l'édition électronique.

    M La confidentialité et la valorisation

    La question de la confidentialité se pose très souvent pour les documents de littérature grise. Doit-on créer des paliers d'accessibilité, ne diffuser que de manière sélective à une liste d'utilisateurs agréés ?

    Jusqu'ici la solution adoptée à l'INIST a été de considérer que la confidentialité devait être gérée par l'organisme émetteur. Arrivés à l'INIST, les documents sont réputés publics et accessibles à tous. Ainsi la collecte de la littérature grise s'organise-t-elle autour de centres documentaires proches des établissements émetteurs.

    L'INIST a une responsabilité particulière vis-à-vis de ces types de documents, tant pour la collecte et le signalement que pour leur conservation et leur diffusion. C'est pourquoi, devant le développement des initiatives pour la valorisation de la littérature grise, un chef de projet sur cette littérature grise a été nommé à l'INIST. Son rôle sera de veiller au développement cohérent de toutes les actions entreprises à l'INIST en la matière, de les coordonner, de les valoriser et plus particulièrement de mettre en oeuvre la collecte de la littérature grise des grands centres producteurs avec des technologies de télétransmission et de formatage des documents qui permettent le signalement et l'accès le plus immédiat possible. Un autre rôle de ce chef de projet sera de convaincre les producteurs de littérature grise de l'importance du signalement et de la communication de celle-ci, car cette ouverture, bien qu'elle soit nécessaire, ne fait pas partie de notre culture.

    Enfin avec l'émergence des réseaux de la recherche qui mettent en accès public un nombre important de documents assimilables à de la littérature grise, la problématique de la collecte et de la conservation vient de franchir une étape. Les bibliothèques et les centres documentaires qui avaient trouvé leur place dans une civilisation du papier vont devoir s'adapter à un contexte fondamentalement différent où la validation de l'information devient plus importante que sa collecte ou son signalement.