Je voudrais rattacher ce rapport à l'intervention de Mme Giraud en citant, à sa suite, la Charte des bibliothèques: « La bibliothèque est un service public nécessaire à l'exercice de la démocratie. Elle doit assurer l'égalité d'accès à la lecture et aux sources documentaires pour permettre l'indépendance intellectuelle de chaque individu et contribuer au progrès de la société. »
Les bibliothécaires membres de la commission, qui comprend aussi des représentants des associations, ne se posent pas de questions au sujet de la nature de la bibliothèque et des distinctions de qualificatifs de missions dont il a été tant question ici. Cette question de l'égalité d'accès entre les personnes traverse tout établissement, et préoccupe tout professionnel, pas seulement les spécialistes ». Nous nous concevons, d'emblée, dans le rôle de « passeur ».
Après avoir étudié tour à tour les principaux problèmes qui se posent aux handicapés dans les bibliothèques : accessibilité des bâtiments et des documents, accès à la profession, bénévolat... nous avons choisi de centrer pendant toute l'année nos préoccupations sur un seul thème : les droits d'auteur et la production de documents adaptés en braille, en sonore, sur support informatique.
Deux facteurs d'évolution rendent l'étude de ce problème et sa solution de plus en plus urgente : l'évolution des nouvelles techniques et la nécessité de se mettre en accord avec la CEE.
Depuis que les nouvelles technologies rendent la multiplication et la copie de documents beaucoup plus aisée, on se heurte à un phénomène nouveau de refus de transcription des documents en braille et sonore, de la part de certains éditeurs. Citons trois témoignages.
Celui du bibliothécaire de l'Association Valentin-Haüy qui dit que certains éditeurs, encore très peu nombreux, refusent toute autorisation, et d'autres les autorisations sur certains documents, alors qu'il n'y avait jamais de réponse négative auparavant.
Les responsables de la salle Diderot de la bibliothèque municipale de Bordeaux ont dû inventer une formule de prêt des livres-disquettes de la société Braille-Soft, en accord avec elle, mais sans savoir si elle est dans la légalité ou pas, faute de textes. La formule consiste à acheter, par exemple, trois logiciels, prêtés à domicile à trois personnes aveugles différentes pour qu'elles puissent lire chacune le jeu de disquettes qui correspond aux différents logiciels clefs en question qui garantissent qu'il n'y aura pas de copie.
La salle Louis-Braille de la Villette a, sur disquettes informatiques, des documents complets qu'elle ne peut prêter à quiconque alors que la médiathèque pratique par ailleurs le prêt.
En l'absence de textes législatifs, les nouvelles technologies qui ont donné tant d'espoir aux personnes handicapées sensorielles aboutiront à un goulot d'étranglement. Nous ne pouvons nous résoudre à l'imaginer.
L'IFLA, pour sa part, souhaite étendre la question de la production de documents adaptés et leurs droits à toutes les personnes qui ont des difficultés d'accès à l'imprimé, à savoir :
La position de l'Europe n'est pas encore arrêtée. Différentes théories s'affrontent, comme celle du Danemark qui souhaite payer un prix qu'elle croit juste, et celle de l'Espagne, habituée à ne pas payer de droit, qui craint une restriction.
Notre collègue anglais, A. Leach, qui dirige la Bibliothèque nationale de Grande-Bretagne, nous recommande la lecture de la brochure The World Blind du programme Gutemberg du Parlement européen, pour les recommandations et projets qu'elle contient.
Mmedes Forges, lorsqu'elle travaillait à l'Agate, a réalisé une étude approfondie sur cette question qu'elle est venue présenter devant notre commission (1) . L'IFLA nourrit beaucoup les travaux de la commission par l'apport des membres de multiples nationalités, spécialement de ceux qui ont une bibliothèque nationale pour aveugles dans leur pays. Nos autorités de tutelle s'intéressent de plus en plus à la question. Le 17 mars 1994, se sont réunis des représentants de la DLL, de la BNFet la responsable du bureau de la Propriété littéraire et artistique du ministère de la Culture, Mme de Montluc.
A la suite de cette journée, la DLL a annoncé oralement la création d'un groupe d'étude sur ce sujet brûlant des droits d'auteur. La DLLa d'ailleurs assisté systématiquement à tous nos travaux depuis la création de la commission et envoyé deux représentants à la bibliothèque municipale de Caen pour participer aux travaux de l'IFLAsur les personnes non voyantes dans le monde. La DLLprend de plus en plus conscience de l'importance des problèmes soulevés.
Deux des membres de la commission ABF qui participent aux travaux de l'IFLA sont aussi membres de la section des bibliothécaires pour aveugles de l'IFLA et participent très régulièrement à tous leurs travaux : Marie-José Poitevin, conservateur en chef de la bibliothèque municipale de Caen, et moi-même. Lors du congrès de Barcelonne, outre les problèmes des droits d'auteur, l'avancée des nouvelles technologies, nous nous sommes essayés au recensement de tous les publics défavorisés et handicapés. Il en est ressorti la liste suivante : les malades hospitalisés, les détenus, les personnes âgées, les sourds, les aveugles, les handicapés mentaux et physiques, les internés, les pensionnaires des maisons de santé, les personnes âgées en centres de soins de jour, les réfugiés dans les camps, les natifs d'un pays colonisé et autres groupes indigènes et les sans-abris (à desservir dans les parcs ?).
J'ai demandé qu'on y ajoute les personnes handicapées, pour des raisons d'âge ou d'ergonomie, par l'accès aux nouvelles technologies qui conditionnent le plus souvent l'accès aux documents. Tous nos collègues étrangers m'ont approuvée chaleureusement ; j'en ai donc conclu que ce groupe devait être fort nombreux à travers le monde. Ce qui veut dire que notre travail est loin d'être terminé.
Voici des missions toutes trouvées pour les bibliothécaires, bien que nous en ayons peu parlé lors de ce congrès dédié à cette question.
L'IFLA s'interroge sur une réforme de ses structures qui ferait une place plus en rapport avec le nombre grandissant des établissements desservant un large public dans le monde. L'ABFdevra aussi agrandir ses voiles pour prendre en compte tous ces publics handicapés dans l'acte de lire. Il s'agit là d'une mission stricte de bibliothécaire, puisque personne ne viendra les remplacer dans ce domaine !
Vous vous souvenez sans doute avoir reçu une enquête de l'ABF sur l'accessibilité des bâtiments, et vous devez vous impatienter de ne pas en voir paraître le dépouillement. Pour des raisons techniques indépendantes de notre volonté, ce dépouillement n'est pas complètement achevé. Mais nous avons commencé à y travailler et nous en avons déjà tiré quelques informations.
C'est l'enquête lancée par l'ABF à laquelle vous avez répondu le plus nombreux, ce qui tend à prouver que c'est le sujet qui vous intéresse le plus, ou sur lequel vous vous interrogez le plus. Cinq cent quarante-cinq questionnaires ont été saisis (471 bibliothèques municipales, 68 bibliothèques universitaires, 16 bibliothèques spécialisées, 5 bibliothèques départementales). Il n'y a aucune bibliothèque qui réponde positivement à toutes les questions.
Quelques difficultés que vous avez pu rencontrer pour répondre au questionnaire : les petites villes n'ont pas de transports en commun, ce qui explique le fort taux de réponses négatives ; on pose des questions sur l'adaptabilité de l'ascenseur mais pas de son existence ; ou sur l'informatique, le téléphone ou le distributeur de boissons... mais un certain nombre de bibliothèques n'en bénéficient pas, le fort taux de " sans réponses pour les bornes parlantes a la même explication.
Premières remarques sur les réponses données: les efforts faits le sont, par ordre décroissant :
La mauvaise adaptation des bibliothèques aux handicapés peut s'expliquer par des locaux anciens, un manque de moyens, plutôt consacrés à l'achat d'un fonds de livres à gros caractères ou livres-cassettes, ou encore portage à domicile, des élus locaux ne considérant pas cela comme une priorité.
Cependant, les projets de construction tiennent compte de ces problèmes d'accessibilité. Le grand nombre de non-réponses sur la date de construction des établissements ne nous a pas encore permis de voir l'influence de la loi de 1978 sur les constructions.
Certains aimeraient une journée d'études sur le thème (médiathèque d'Orléans, ABF-Centre, BM de Ville-neuve-d'Ascq, d'Orange pour la future médiathèque) ou recevoir un compte rendu de l'étude (BMde Claix, BU d'Aix-Marseille).
Presque tout reste à faire pour ouvrir les bibliothèques aux publics handicapés, notamment aux personnes âgées dont le nombre grandissant devra être pris en compte dans nos établissements. Notre collègue A. Massuard m'a fait une réflexion fort juste : « Être bibliothécaire pour aveugles, c'est une forme du métier en émergence. »
A la fin de ce congrès où nous avons tellement parlé de l'explosion des sources et des moyens d'accès aux médias, veillons à ne laisser personne sur le bord des autoroutes de l'information. Notre travail doit continuer non seulement dans le domaine législatif, mais dans l'établissement de structures à niveau national et francophone et dans le domaine du prêt de documents adaptés à niveau international. Pour finir, je citerai cette belle phrase de Sal-vador Giner entendue à Barcelone : « Il est essentiel que le professionnel, le bibliothécaire universel, ne soit pas indifférent au sort de tout ce qui est fragile, petit ou sans défense, dans le domaine si varié de la culture. »