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Une bibliothèque dans les camps de réfugiés sahraouis ?

1995
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    Une bibliothèque dans les camps de réfugiés sahraouis ?

    Par Joëlle Menant, Bibliothèque départementale de prêt des Bouches-du-Rhône

    Début octobre l'ABF est sollicitée D par l'Association des amis de la RASD (1) pour la création d'une bibliothèque dans les camps de réfugiés sahraouis dans le sud-ouest algérien. Le groupe régional Provence-Alpes-Côte d'Azur décide de s'investir et nous délègue, Odile Simiand, bibliothécaire à Coudoux, et moi-même, avec l'accord du niveau national. Nous partons donc le 28 octobre avec une délégation française d'une centaine de personnes, représentants d'ONG ou d'associations, élus ou simples citoyens, pour un séjour d'une semaine.

    Au-delà de la découverte d'un peuple et de son histoire, et au-delà même de la mission technique qui nous était assignée, cette semaine aura été l'occasion d'une rencontre, d'un partage et le début d'une amitié très forte avec un peuple solidaire, courageux, qui se bat pour sa dignité et son indépendance, un peuple chaleureux qui aurait autant à nous apprendre que nous à lui apporter.

    Historique succinct

    Le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole, a connu une décolonisation tragique. Faisant fi des résolutions de l'ONU (2) d'organiser un référendum garantissant l'autodétermination des habitants du pays, l'Espagne a bradé le pays et ses habitants au Maroc et à la Mauritanie en 1975.

    Aujourd'hui, presque vingt ans après, le Sahara occidental reste sous la botte de l'occupant marocain, 165 000 réfugiés sahraouis vivent dans des camps près de Tindouf dans le sud-ouest algérien et les résolutions renouvelées de l'ONU (3) , cette fois-ci à l'encontre du Maroc, semblent rester lettre morte.

    Si un cessez-le-feu entre l'armée marocaine et le Front Polisario (4) a été prononcé en 1991, la mission de l'ONU, chargée d'organiser un recensement de la population sahraouie en vue du référendum d'autodétermination, rencontre encore de nombreux obstacles de la part du gouvernement marocain.

    La situation des réfugiés est précaire, compte tenu de leur dépendance de l'aide extérieure, du climat politique et social actuel en Algérie, de leur lutte, souvent oubliée des médias, et du soutien dont bénéficie notre ami le roi » du Maroc auprès des gouvernements occidentaux.

    La vie dans les camps de réfugiés

    Ce qui frappe de prime abord, malgré un environnement hostile, (désert caillouteux et inhospitalier), ce n'est pas la misère, car il n'y en a pas, mais l'intensité de la vie communautaire, l'extrême organisation d'un peuple certes démuni, mais qui se bat pour son autosuffisance. L'éducation est une priorité pour les Sahraouis. Tous les enfants sont scolarisés et des campagnes d'alphabétisation ont régulièrement lieu pour les adultes. Les femmes ont pris en main la responsabilité de la vie quotidienne des 165 000 réfugiés, essentiellement des femmes, des enfants et des vieillards. Elles jouent un rôle primordial dans l'organisation de la société sahraouie et jouissent d'un statut plutôt rare dans les sociétés arabes. L'Union de la femme sahraouie (UNFS) est très puissante. C'est elle qui gère l'École des femmes appelée aussi École du 27 février (5) .

    Le projet de bibliothèque de l'École des femmes

    L'École des Femmes ou l'École du 27 février, créée le 14 février 1978, a pour objectif l'instruction de toutes les femmes, aussi bien en ce qui concerne l'apprentissage de la gestion des campements que la préparation aux exigences futures de l'État sahraoui.

    Chaque année, 800 femmes de tous âges et de tous niveaux sont formées pendant huit mois à l'École du 27 février. Les cours vont de la culture générale à des formations techniques très poussées, en passant par des activités tel le tissage et la couture. Toute la famille est accueillie dans l'enceinte de l'école (village de tentes, crèche, école...). Dans ce contexte a été conçu un projet de bibliothèque de 120 m2associée à une salle de projections, de musique, etc., au sein d'un centre culturel. Reste à trouver les financements pour les matériaux de construction et pour l'équipement de ce centre. La nécessité de compléter la formation dispensée à l'école et le besoin d'occuper le temps libre se font ressentir. L'Association des amis de la RASD a obtenu un budget de 50 000 francs pour l'achat de livres, de cassettes vidéo et de matériel de visionnement. Les demandes des conceptrices du projet sont essentiellement documentaires : dictionnaires arabe-français, arabe-espagnol, arabe-anglais, usuels, ouvrages sur les femmes, le développement de l'enfant, etc. L'arabe est la première langue, l'espagnol la seconde (apprentissage systématique depuis l'âge de 8 ans). Nous avons disposé d'un après-midi sous le tente pour les prémices d'une formation. Quelques livres pour enfants en arabe, quelques rouleaux de Filmolux, le guide du bibliothécaire édité par le CLEF, beaucoup d'attention et d'intelligence de la part des apprenties bibliothécaires, une volonté de coller au terrain de notre part... le message semble être passé.

    Il est certain que nos schémas bibliothéconomiques habituels, même simplifiés, ne sont pas tout à fait adaptés à une bibliothèque dans un camp de réfugiés. D'autre part, notre organisation ne correspond pas forcément à leur culture : quelle part accorde par exemple la classification Dewey à l'histoire, à la géographie ou à la littérature arabe ?

    Est-ce une raison pour ne pas les aider ? Même s'ils ne disposent pas encore d'un lieu spécifique, faisons-leur confiance. Ils ont pour eux la volonté, le sens de la gestion, ils sauront toujours trouver une tente ou une pièce pour accueillir les livres et les faire circuler dans la communauté, ils sauront adapter notre aide à leurs besoins, ce qu'ils font déjà dans d'autres domaines. L'urgence, c'est d'avoir à lire !

    En conclusion...

    Après ce séjour les projets ne manquent pas. Réfléchir à la meilleure manière de les aider, commencer à acheter des livres avec les 50 000 francs dont dispose à cet effet l'Association des amis de la RASD, les acheminer dans les camps, être à l'écoute de leurs demandes, suivre l'évolution du projet...

    De manière plus générale, car les Sahraouis ne sont pas les seuls à avoir besoin de notre aide, pourquoi ne pas concevoir un manuel de bibliothécaire franco-arabe ? Nous y travaillons déjà avec un collègue bibliothécaire arabophone.

    Tout cela pourrait peut-être sembler vain ou dérisoire. Mais qu'on le veuille ou non, en tant que bibliothécaires et en tant que citoyens français, nous avons des responsabilités. Ces responsabilités concernent le respect des droits de l'Homme, le devoir de solidarité, mais aussi l'information sur les risques encourus par certains peuples.

    Aujourd'hui les Sahraouis ont besoin de livres et de tant d'autres choses encore ! La fin de notre séjour dans les camps a été bouleversée par des inondations catastrophiques qui ont détruit une wilaya abritant 40 000 personnes, rendant encore plus incertaine une situation déjà bien précaire, surtout à l'heure où la montée de l'intégrisme en Algérie menace leur existence même (6) . Si le FIS prend le pouvoir, c'en est fini des Sahraouis. Essayons de ne pas l'oublier...

    1. RASD : République arabe sahraouie démocratique. retour au texte

    2. Résolution 2428 de l'ONU en 1968. retour au texte

    3. Résolution 4050 de l'ONU du 2 décembre 1983. retour au texte

    4. Front populaire pour la libération de la Sagui el Hamra et du Rio-de-Oro, mouvement nationaliste sahraoui, créé en 1975, qui proclama la République arabe sahraouie démocratique (RASD) le 27 février 1976. retour au texte

    5. Pour en savoir plus, lire l'ouvrage de Christiane Perragaux, Femmes sahraouies, femmes du désert. - L'Harmattan, 1990. De nombreuses informations contenues dans ce livre ont servi à la rédaction de cet article. retour au texte

    6. Association des amis de la RASD, BP 244, 75227 Paris cedex 05 ; têt : 47 27 89 93, CCP 19303 94 Paris, mention spéciale -Solidarité inondations sahraouies retour au texte