Index des revues

  • Index des revues

La constitution d'un fonds d'images et d'ouvrages numérisés par la BNF

1996
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    La constitution d'un fonds d'images et d'ouvrages numérisés par la BNF

    Par Valérie Game, Chef du service juridique

    Pour l'accomplissement de ses missions, à savoir notamment : collecter, cataloguer, conserver et enrichir dans tous les champs de la connaissance le patrimoine national dont elle a la charge, assurer l'accès du plus grand nombre aux collections, la BNF utilise les technologies les plus modernes.

    Dans ce cadre, elle est au coeur d'un certain nombre de projets nationaux et internationaux. L'application du droit de la propriété intellectuelle en la matière inquiète. En effet, les enjeux dépassent largement le rôle de la seule BNF. Tout engagement pris par celle-ci dans un domaine où elle agit comme précurseur est susceptible de constituer un précédent pour d'autres institutions.

    Même si toutes les questions soulevées à cette occasion ne sont pas résolues, il est toutefois apparu utile de rappeler comment jusqu'à ce jour la Bibliothèque a procédé et quelle approche elle a retenue, d'une part pour la constitution de son fonds numérique d'images fixes, d'autre part pour celle du fonds numérisé d'ouvrages imprimés. Pour ces deux expériences, vous verrez que si les démarches suivies ont été différentes, les solutions retenues sont en tout cas contractuelles.

    En préalable, il convient de rappeler que les interrogations et solutions évoquées ci-après concernent les oeuvres encore protégées par le droit d'auteur et seulement celles-ci. En effet, pour les oeuvres tombées dans le domaine public, aucune négociation contractuelle n'est nécessaire avec d'éventuels titulaires de droit. Aussi, des réalisations concrètes ont d'ores et déjà été menées, telle par exemple la mise en accès sur Internet d'une base d'images de mille enluminures.

    Ceci ne signifie pas que la constitution de fonds numériques d'oeuvres du domaine public ne doit pas faire l'objet de protection, car en ce dernier cas, la base de données ainsi constituée peut, quant à elle, bénéficier d'une protection propre. Mais il s'agit là d'une tout autre problématique juridique.

    Quelles questions juridiques soulève donc la numérisation d'images ou d'ouvrages et quel est le droit applicable à ces opérations ?

    Le droit applicable

    Pour répondre à cette question, les grands auteurs de la doctrine juridique en matière de propriété intellectuelle (Sirinelli, Gautier, etc.) s'appuient sur le droit existant. Ils estiment, et les pouvoirs publics les ont d'ailleurs suivis dans cette position, qu'on dispose en droit d'auteur de tout l'arsenal juridique nécessaire pour appréhender ces utilisations des oeuvres de l'esprit. Il suffit donc de reprendre les concepts du droit d'auteur et de les appliquer à la situation supposée nouvelle. Un bref rappel des principes généraux du droit d'auteur s'impose donc.

    Les principes généraux du droit d'auteur

    Les conditions au bénéfice de la protection

    Les oeuvres sont protégées, sans considération de :

    • leur genre (littéraire, musical, arts plastiques...) ;
    • leur forme (écrite, orale, dessins...) ;
    • leur mérite (la protection juridique reste indépendante de toute appréciation esthétique) ;
    • leur destination.

    C'est donc une acception large de l'oeuvre que fait le droit d'auteur. Il faut également remarquer qu'aucune formalité n'est requise pour qu'une oeuvre soit protégée. On rappellera à cette occasion que le non-respect de l'obligation de dépôt légal n'entraîne en France aucune perte ni restriction du droit d'auteur contrairement aux États-Unis où le droit d'auteur est subordonné au respect de formalités auprès d'organismes officiels.

    Une seule condition est requise pour qu'une oeuvre bénéficie de la protection : l'originalité. C'est une notion très subjective, laissée à la discrétion des juges, et donc appliquée de manière très large.

    Les droits résultant de la propriété littéraire et artistique

    Le droit moral

    C'est un droit inaliénable, insaisissable et imprescriptible. Il est composé de quatre prérogatives essentielles qui sont :

    • le droit de divulgation (droit pour un auteur de décider de rendre ou pas son oeuvre publique) ;
    • le droit à la paternité (droit pour un auteur d'exiger que son nom soit apposé sur l'oeuvre, ou au contraire de publier l'oeuvre de manière pseudonyme ou anonyme) ;
    • le droit au respect de l'oeuvre (permet de défendre l'oeuvre contre les atteintes qui pourraient y être portées) ;
    • le droit de retrait et de repentir (permet à l'artiste qui regrette d'avoir divulgué une oeuvre de la reprendre des mains du cessionnaire. C'est la seule prérogative qui ne survit plus après la mort de l'auteur).

    Le droit patrimonial

    C'est un droit exclusif (l'auteur décide seul de publier ou non son oeuvre et choisit les modalités financières de cette publication) et temporaire (à l'expiration du monopole, l'oeuvre tombe dans le domaine public). En vertu de ce droit patrimonial, l'auteur est titulaire d'un droit de reproduction et d'un droit de représentation sur son oeuvre.

    Le droit de reproduction

    La reproduction consiste en la fixation matérielle de l'oeuvre par tout procédé permettant de la communiquer au public de manière indirecte. Elle doit toujours être autorisée par l'auteur. Les seules exceptions à l'autorisation prévues par la loi sont :

    • la copie destinée à un usage privé ;
    • les impératifs par nécessité d'information (citations, analyses, revues de presse);
    • les parodies, pastiches, caricatures.

    Le droit de représentation

    La représentation consiste en la communication de l'oeuvre au public par un procédé quelconque. Pour cette utilisation de l'oeuvre, l'autorisation préalable de l'auteur est également nécessaire.

    Une seule exception est prévue : la représentation gratuite, effectuée dans un cadre familial.

    Les autorisations sont assorties d'une rémunération de l'auteur et celui-ci peut cumuler la perception de redevances au titre de la reproduction et au titre de la représentation.

    Toute cession s'interprète restrictivement. Ainsi, la cession du droit de reproduction n'emporte pas cession du droit de représentation (sauf dans le cadre de contrats d'oeuvres audiovisuelles). La précision des clauses contractuelles est donc indispensable, elles doivent définir les conditions de reproduction et de représentation.

    Il faut enfin rappeler que les sanctions au non-respect de ces droits patrimoniaux, que l'on appelle communément la contrefaçon, sont d'ordre civil ou pénal.

    Application du droit d'auteur aux opérations de numérisation de la BNF

    L'application de ces concepts à la numérisation d'oeuvres, qu'il s'agisse d'images fixes ou d'ouvrages imprimés pour mise en consultation in situ ou en ligne par la BNF entraîne donc une succession d'actes qui peuvent être juridiquement qualifiés de la manière suivante :

    • exercice d'un droit de reproduction à l'occasion du transfert d'un document à partir d'un support donné (papier, ekta...) vers un autre support (électronique, numérique) ;
    • exercice d'une droit de représentation à l'occasion de la communication au public sur des postes de lecture ;
    • exercice d'un droit de reproduction par l'usager (le lecteur) lorsqu'il effectue un déchargement du document consulté, sur papier ou sur disquette.

    Dans l'hypothèse d'une transmission en ligne effectuée à partir de la BNF, un double exercice des droits de représentation et reproduction peut avoir lieu s'il y a un chargement du document dans la mémoire de l'ordinateur destinataire de la transmission.

    Dans l'hypothèse d'une transmission transfrontière, la question de la loi applicable se posera en outre. En ce cas, il est important que les contrats la désignent car la doctrine et la jurisprudence sont encore incertaines sur la détermination des lois applicables en l'espèce.

    En effet, il peut être envisagé, soit l'application de la loi du lieu d'émission, en d'autres termes du lieu où le serveur est établi, soit les lois du ou des pays de réception. En conséquence, l'exercice de ces droits implique une autorisation préalable, assortie éventuellement d'une rémunération des ayants droit.

    Or, on ne peut oublier l'importance fondamentale pour l'ensemble des bibliothèques françaises de la gratuité, voire de la liberté, de consultation des ouvrages imprimés. La question qui en pratique se pose avec acuité pourrait donc se formuler de la manière suivante : comment sauvegarder le nécessaire équilibre entre le respect des titulaires du droit de la propriété littéraire et artistique et celui de l'institution dont la mission est d'assurer la diffusion la plus large des collections d'oeuvres ainsi constituées ?

    Dans le cadre de cette problématique, quelles solutions pratiques ont été jus-qu'alors retenues par la BNF pour constituer ses fonds d'images fixes et d'ouvrages imprimés numérisés ?

    La pratique de la BNF

    Numérisation des images fixes

    La banque d'images fixes que la BNF constitue devrait atteindre 300 000 documents. Le département de la phonothèque et de l'audiovisuel de la Bibliothèque nationale de France sélectionne les reportages les plus représentatifs, à la fois sur l'histoire contemporaine, l'histoire de l'image de la presse, la vie sociale en France, la littérature à travers des portraits d'écrivains et la musique au travers de portraits de musiciens.

    La BNF procède à la constitution de ces banques d'images, soit à partir de ses propres fonds, soit par l'intermédiaire d'agences dotées de fonds importants (Universal Photo, Magnum, etc.) ou par l'intermédiaire de personnalités, d'organismes, institutions dont les missions particulières les ont amenés à accumuler des collections d'images spécifiques (Documentation française, institut Pasteur, ORS-TORM, INSERM, etc.)

    Un lien contractuel est donc établi en cas de partenaire dans le cadre duquel la BNF, suivant la ligne directrice qu'elle s'est fixée, tente d'obtenir les conditions suivantes.

    En premier lieu, un accès à l'ensemble du fonds du partenaire est nécessaire afin d'effectuer une sélection. Cette sélection effectuée, la BNF se fournit en documents sous forme numérique. Pour ce faire, soit le partenaire lui livre des documents numérisés (INSERM), soit la BNF commande la numérisation à des prestataires dans le cadre de marchés publics.

    Il y a donc au départ acquisition matérielle de documents sur un support donné. Parallèlement à cet objet matériel, sont acquis les droits d'auteur attachés à ces oeuvres nécessaires aux utilisations envisagées par la BNF.

    Les droits de reproduction

    En ce qui concerne ces droits la BNF acquiert :

    • l'autorisation pour la BNF de reproduire à partir des oeuvres originales, les documents par tous procédés numériques et sur tous supports connus ou inconnus à ce jour, afin d'établir les copies nécessaires aux utilisations prévues. Elle reste propriétaire des supports numériques de conservation et de consultation ainsi réalisés ;
    • l'autorisation pour les usagers de la BNF de reproduire par sorties sur imprimante. Cette autorisation est en principe demandée pour les seuls chercheurs du rez-de-jardin. Les reproductions sont strictement réservées à l'usage privé des dits chercheurs et non destinées à une utilisation collective ou commerciale. Toute reproduction est estampillée. La BNF s'engage à ce que tous les moyens techniques soient mis en oeuvre pour qu'elles ne soient pas reproductibles ;
    • l'autorisation pour les usager : de reproduire sur des supports photographiques. Cette autorisation est souvent limitée quant au nombre de documents susceptibles d'en faire l'objet et quant à leur dimension (imagettes de petit format). Elle n'est prévue que pour des publications catalographiques et donc pour servir d'exemple à des fins d'information sans caractère publicitaire et purement descriptives consacrées aux collections d'images fixes de la BNF.

    Les autres reproductions sur support photographique, notamment à vocation éditoriale, sont exclues du champ d'application de ces contrats.

    Les droits de représentation

    En ce qui concerne ces droits la BNF acquiert :

    • l'autorisation de mettre les documents en consultation sur écran dans ses locaux, en réponse à la demande de l'usager. L'autorisation est demandée pour les consultations tant individuelles que collectives ;
    • l'autorisation de communiquer les documents à son public, dans ses locaux, sans répondre à la demande d'un usager, par l'intermédiaire par exemple de bornes d'information et d'accès consacrées aux collections.

    Enfin, la plupart de ces conventions font également référence à l'éventuelle possibilité d'une transmission à distance. La mise en oeuvre d'une telle utilisation est toutefois toujours renvoyée à un avenant ultérieur. Les clauses sont le plus souvent de ce type :

    » La BNF et le cédant peuvent chacun mettre en place, à l'avenir, un système de transmission à distance des oeuvres pour en offrir la consultation par un réseau de communication, chacune des parties s'engage à informer l'autre de ses projets en ce domaine, de façon régulière. Dans les cas où la BNF souhaiterait créer un service de transmission d'images, un avenant précisera les conditions de mise en place de ce service et les modalités d'un accord sur la transmission des images. »

    L'ensemble de ces droits sont obtenus en principe pour une durée de vingt années qui commencera à courir à compter de l'ouverture officielle du site de Tolbiac de la BNF. À cette date, la collection d'images ainsi constituée sera donc immédiatement au regard du droit de la propriété intellectuelle susceptible d'être communiquée aux usagers.

    Numérisation des ouvrages imprimés

    Il est prévu que le fonds d'ouvrages numérisés par la BNF atteigne à terme 300 000, mais le premier objectif est de réaliser la numérisation de 100 000 ouvrages imprimés pour l'ouverture du bâtiment au public.

    Les documents à partir desquels sont effectués les opérations de numérisation proviennent pour partie de marchés d'acquisition, pour partie d'emprunts à d'autres bibliothèques et enfin des collections patrimoniales de l'établissement.

    La sélection des documents tend à constituer une bibliothèque encyclopédique fondamentale dont la répartition thématique est la suivante : littérature 31 %, histoire 26 % et sciences 13 %. Le reste étant réparti entre la philosophie, les sciences politiques, l'anthropologie, le droit, l'économie, la linguistique et quelques généralités.

    La constitution de ce fonds s'effectue dans le cadre d'un protocole d'accord conclu entre l'EPBF et le SNE signé le 4 novembre 1991 et de contrats passés conformément à ce protocole avec les éditeurs concernés. Une autre convention a été signée le 15 mars 1993 avec les sociétés d'auteurs. L'objectif de l'accord EPBF/SNE était de définir les principes généraux selon lesquels les opérations de numérisation pouvaient s'effectuer pendant une phase dite d'expérimentation, c'est-à-dire précédant l'ouverture au public de la BNF.

    Au regard des aspects du droit de la propriété littéraire et artistique dont il est traité, il est affirmé la nécessité d'une autorisation préalable des éditeurs pour la numérisation des ouvrages en vue de leur consultation sur écran, leur diffusion en réseau et leur reproduction éventuelle dans ce cadre. Il est en conséquence également rappelé qu'une rémunération des éditeurs et des auteurs est susceptible d'être générée par l'exercice de ces droits de reproduction et représentation.

    De même, le nécessaire respect du droit moral des auteurs en cas de reproduction ou représentation sur écran de leurs ouvrages est mentionné.

    La possibilité de reproduire les ouvrages à seule fin de conservation du patrimoine sans autorisation préalable est pour sa part accordée.

    Les éditeurs concernés ont donc contracté avec la bibliothèque dans le cadre de ce protocole. Ces contrats, comme celui conclu avec les principales sociétés d'auteurs concernées, autorisent pour la période expérimentale la numérisation des ouvrages en vue de la représentation sur écran et de la reproduction sur tous supports.

    Une communication par lettre simple des listes d'oeuvres retenues par l'établissement pour leur numérisation est prévue avec une possibilité pour l'ayant droit de refuser son autorisation sur un titre donné dans un délai de deux mois.

    L'accès aux ouvrages ainsi numérisés, par représentation et par reproduction, est limité aux chercheurs et autres participants au banc d'essai, dans les locaux de l'établissement et tout autre local non commercial choisi par l'établissement pour la phase expérimentale.

    Les principes posés par le protocole conclu avec le SNE sont contractuellement repris, une rémunération est fixée que les ayants droit renoncent à percevoir compte tenu des conditions dans lesquelles se déroule la phase expérimentale.

    Depuis le début de l'année 1995, des discussions sont ouvertes en vue de la conclusion de nouveaux accords destinés à permettre les utilisations du fonds. Les solutions permettant d'assurer le juste équilibre entre le respect du droit de la propriété littéraire et artistique et des missions de service public de l'établissement sont dans ce cadre très délicates à mettre en place.

    Seule la question de la reproduction sur papier au profit des usagers des documents numérisés est désormais légalement résolue. En effet, la loi 95-4 du 3 janvier 1995 relative à la gestion collective du droit de reproduction par reprographie trouve en ce cas application. L'article 122.10 de cette loi énonce que « la reprographie s'entend de la reproduction sous forme de copie sur papier ou support assimilé par une technique photographique ou d'effet équivalent permettant une lecture directe ».

    De l'étude des débats parlementaires, il apparaît clairement que cette disposition recouvre toute reproduction d'un document écrit, y compris les restitutions sur papier de documents numérisés. En revanche, les restitutions sur d'autres supports (disquettes, ...) ne sont pas couvertes par ce texte.

    Outre le nécessaire respect de cet équilibre, dans le cadre d'une collection de 100 000 ouvrages, de nombreuses difficultés pratiques se posent, telles que la détermination des titulaires de droits et celle des oeuvres protégées.

    Sous réserve de ne pouvoir donc réaliser la communication que des seuls ouvrages libres de droits, l'ensemble de ces difficultés doivent être surmontées et les discussions aboutir d'ici la mise en fonctionnement des systèmes informatiques qui permettront la consultation des dits documents.