Au Québec, comme sans doute ailleurs dans le monde, la question du droit d'auteur et la mise en application des dispositions législatives qui s'y rattachent ont toujours soulevé des problèmes aussi complexes qu'innombrables. Depuis plusieurs décennies, les questions demeurées sans réponses à ce sujet s'accumulent ; les zones grises s'étendent d'une façon inquiétante, et le phénomène de l'Internet, loin de clarifier les choses, ajoute au brouillard ambiant. La Bibliothèque nationale du Québec se doit d'accomplir sa mission fondamentale, qui est celle de toutes les bibliothèques nationales, en usant de ses seules ressources dans le contexte canadien. Elle ne dispose pas d'ententes particulières avec les éditeurs pour la gestion du droit d'auteur et les problèmes qu'elle rencontre sont ceux de tous les organismes documentaires québécois.
Au Canada, le droit d'auteur est rattaché au concept juridique de propriété intellectuelle, qui comprend aussi les brevets d'invention et les marques de commerce. La compétence exclusive en matière de droit d'auteur appartient au gouvernement fédéral, en vertu de l'article 91, paragraphe 23 de la Constitution canadienne. La loi sur le droit d'auteur, actuellement en vigueur, a été adoptée en 1921 et est entrée en vigueur le 1er janvier 1924. Inspirée d'une loi britannique de 1911, la loi canadienne n'a subi que des modifications mineures depuis son adoption. Le Canada adhère aussi à plusieurs conventions internationales en matière de propriété intellectuelle, dont la Convention de Berne, qui porte sur la protection des oeuvres littéraires et artistiques, et la Convention universelle sur le droit d'auteur, ou Convention de Genève.
Il n'est pas dans mon propos de faire une présentation exhaustive de la loi canadienne sur le droit d'auteur, qui regroupe des éléments communs à plusieurs lois de même type en vigueur dans d'autres pays, et je m'en tiendrai à souligner des aspects qui intéressent particulièrement le monde des bibliothèques. La loi canadienne actuelle assure la protection des droits patrimoniaux et des droits moraux ; elle attribue aux détenteurs des droits exclusifs de reproduction et de représentation. La loi ne vise nullement à restreindre la diffusion des oeuvres qu'elle protège, mais elle assure la reconnaissance des droits des créateurs lors de la diffusion. Cependant, afin de permettre un accès raisonnable à l'information, la loi prévoit certaines exceptions dont la principale repose sur la notion d'« utilisation équitable ", traduction de fair dealing ". L'utilisation équitable désigne l'usage « d'une oeuvre quelconque pour des fins d'étude privée, de recherche, de critique, de compte rendu ou en vue de préparer un résumé destiné aux journaux - (art. 17). Cette notion soulève cependant plus de problèmes qu'elle n'offre de solutions parce que la loi ne suggère aucun critère permettant de circonscrire le caractère équitable d'une utilisation. L'article 3 de la loi précise que « le droit d'auteur s'entend du droit exclusif de produire ou de reproduire une oeuvre, ou une partie importante de celle-ci (..) Mais qu'est-ce qu'une partie importante d'une oeuvre ? La jurisprudence a déterminé que la notion de partie importante était liée à la valeur de la partie reproduite, à sa valeur relative dans l'oeuvre d'où elle est tirée et dans l'oeuvre nouvelle, au but poursuivi par cette partie dans chaque oeuvre ainsi qu'au tort causé à la vente de l'oeuvre originale. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a ici matière à interprétation. Précisons enfin que l'utilisation équitable ne constitue pas une véritable exception à la loi mais bien un moyen de défense contre une action en contrefaçon. D'autres cas énumérés dans la loi peuvent constituer des exceptions mais celles-ci ne permettent pas aux bibliothèques d'exercer leur mission de communication de l'information sans contraintes majeures.
Dans les faits, la Bibliothèque nationale, comme d'autres bibliothèques québécoises ou canadiennes, n'est pas en mesure de respecter les dispositions de la loi sur le droit d'auteur dans l'exercice de pratiques documentaires indispensables à la mise en oeuvre de sa mission. Ainsi, la reproduction d'un ou de plusieurs articles de périodique ou de tout autre document au complet aux fins du prêt entre bibliothèques constitue une violation du droit d'auteur selon la loi actuelle. Il faut savoir que 80 % des documents qui font l'objet d'un prêt entre bibliothèques sont des photocopies. Or, aucun mécanisme de compensation, aucun système de perception de redevances n'est actuellement en place, et il faudrait effectuer des démarches particulières afin d'obtenir dans chaque cas les autorisations nécessaires. Dans l'hypothèse la plus optimiste, les délais occasionnés ne manqueraient pas d'être considérables, et dans bien des cas, l'opération serait compromise. Faut-il alors refuser de transmettre les documents demandés ? ou faudrait-il, dans les conditions actuelles d'application de la loi, renoncer à la pratique du prêt entre bibliothèques ? L'expédition, par télécopieur, d'un ou de plusieurs articles de périodiques ou d'extraits d'ouvrages dans le cadre de programmes d'échanges ou de coopération appelle les mêmes observations car cette pratique contrevient aussi aux dispositions de la loi actuelle.
La reproduction en entier d'un ouvrage endommagé et qui n'est plus disponible sur le marché est interdite. De même, le fait de mettre à la disposition des usagers des appareils de reproduction des documents peut constituer une infraction à la loi si la bibliothèque n'exerce pas les contrôles nécessaires sur l'activité de contrefaçon (reproduction ou photocopie). Enfin, une bibliothèque qui impose des frais lors de la communication de documents ou d'informations tirées de documents protégés par la loi génère une activité économique liée à des biens qui ne lui appartiennent pas et prive ainsi ou peut être réputée priver les titulaires de revenus légitimes.
Comme on le voit, la communication documentaire et le respect intégral de la loi sur le droit d'auteur ne sont guère compatibles au Québec et au Canada. La révision de la loi, rendue nécessaire pour plusieurs raisons, a été amorcée depuis près de quarante ans et il semble qu'elle trouvera bientôt son aboutissement, après l'examen de commissions diverses et le dépôt de nombreux rapports et analyses. Au cours des années, quelques modifications mineures ont été apportées, qui ne changeaient pas l'esprit de la loi. En 1988, des amendements touchant notamment les programmes d'ordinateur et les sociétés de gestion collectives des droits d'auteur ont été inscrits dans la première phase d'une révision en profondeur de la loi. Lors des consultations préalables au dépôt de la seconde phase de la révision de la loi, le gouvernement canadien s'est montré peu enclin à favoriser la création d'exceptions visant à faciliter la communication documentaire dans les bibliothèques. Attentif aux pressions des créateurs et des éditeurs, le gouvernement a choisi d'assurer la mise en place de sociétés de gestion collective des droits d'auteur.
Face à une orientation gouvernementale qui risquait de compromettre l'exercice de la communication documentaire, plusieurs organismes ou associations ont fait entendre leur voix. Ainsi, la Bibliothèque nationale du Québec s'est associée aux revendications de l'Association des bibliothèques de recherche du Canada, de l'Association des universités et collèges du Canada, de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec et de l'Association pour l'avancement des sciences et des techniques de la documentation. Dans le cadre des travaux du Comité consultatif sur les bibliothèques et le droit d'auteur, créé par le gouvernement canadien, l'Association des bibliothèques de recherche du Canada a formulé des dispositions visant à protéger les droits des usagers et ceux de la bibliothèque :
L'inscription dans la loi de l'exemption pour la copie unique s'avère essentielle pour les bibliothèques qui rappellent au gouvernement que trente-cinq pays, parmi lesquels les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Australie possèdent une telle disposition dans leur loi. Le refus d'inscrire cette exemption dans la loi entraînerait des conséquences économiques désastreuses pour le Canada puisqu'en vertu des ententes internationales, celui-ci devrait verser des redevances sans contrepartie toutefois, car un pays comme les États-Unis possède une disposition prévoyant l'exemption pour la copie unique. Or, une enquête à l'échelle du Canada a démontré que près des trois-quarts des documents photocopiés proviennent des États-Unis.
Le 25 avril 1996, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi C-32, modifiant la loi sur le droit d'auteur, deuxième phase de la révision de la loi. Contre toute attente, la plupart des exceptions souhaitées par les établissements d'enseignement et les bibliothèques ont été inscrites dans le projet de loi. L'utilisation équitable figure à l'article 29 : «L'utilisation équitable d'une oeuvre ou de tout autre objet du droit d'auteur aux fins d'étude privée ou de recherche ne constitue pas une violation du droit d'auteur. »
Viennent ensuite les conditions d'exercice de l'utilisation équitable, comme l'obligation de mentionner la source et l'auteur.
Des dispositions permettent aux bibliothèques, aux musées et aux services d'archives de reproduire des documents, publiés ou non, en vue de la gestion ou de la conservation des collections. Il peut s'agir d'originaux rares ou non publiés, qui se détériorent ou qui risquent de se détériorer ou d'être perdus. Il peut s'agir aussi de documents fragiles qui ne peuvent être manipulés ou qui doivent être conservés dans des conditions atmosphériques particulières. La loi autorise aussi la reproduction d'un document dont le support original est désuet, la reproduction à des fins de gestion ou de catalogage, d'assurances ou d'enquêtes policières, ou pour la restauration. Ces dispositions, si elles sont adoptées, faciliteront le travail particulièrement dans les établissements à caractère patrimonial.
La pratique du prêt entre bibliothèques a été considérée favorablement et le législateur a prévu des dispositions concernant les articles de périodique : « Ne constitue pas une violation du droit d'auteur la reproduction par reprographie, réalisée par une bibliothèque, un musée ou un service d'archives ou une personne agissant sous l'autorité de ceux-ci, d'une oeuvre qui a la forme d'un article de journal, de revue, de magazine ou d'un autre périodique, ou qui est contenue dans un tel article, si la personne à qui la copie est destinée la demande aux fins d'étude privée ou de recherche, dans un lieu documentaire ou non. »
Le projet de loi impose, bien sûr, certaines conditions à l'exercice de cette activité mais les principes essentiels sont bien établis. De plus, un article prévoit que la reproduction décrite dans l'article cité peut être exécutée par un établissement documentaire pour les usagers d'autres établissements.
Enfin, le projet de loi stipule que les établissements d'enseignement, les bibliothèques, les musées ou les services d'archives ne violent pas le droit d'auteur lorsqu'une oeuvre imprimée est reproduite au moyen d'une machine à reprographier installée dans leurs locaux et disposant des avertissements affichés selon les modalités réglementaires. Une telle disposition permettra au personnel des bibliothèques de respirer plus à l'aise.
Il ne s'agit ici, faut-il le rappeler, que d'un projet de loi qui sera attaqué par les différents groupes qui représentent les créateurs et par tous ceux qui adoptent une position radicale excluant toute forme d'exception. Il faut cependant souhaiter que tous les aspects qui favorisent la communication des documents et de l'information demeureront, afin de permettre aux bibliothèques d'exercer adéquatement leur mission, dans le respect des créateurs et des usagers.