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    De la plus grande à la plus petite

    Par Rudi Van der Velde, NBLC, Hollande

    Tout d'abord, je voudrais féliciter la communauté des bibliothèques françaises pour cette fantastique nouvelle Bibliothèque nationale. Un bâtiment imposant ! Une architecture subjuguante. Transparente. Un monument de sagesse et de civilisation. Avec tant de bâtiments impressionnants de style grandiose, sans équivalent en Europe, Paris est devenu de nos jours la Mecque de l'architecture moderne. Cette Bibliothèque nationale, dans une succession de monuments, depuis l'Arche de la Défense, l'Opéra de la Bastille, l'institut du Monde Arabe, le Grand Louvre, La Villette, le ministère des Finances et beaucoup d'autres encore...

    Je me sens très honoré de votre invitation à vous adresser la parole, à vous, collègues français. Le slogan de ce colloque : « De la plus grande à la plus petite peut être appliqué sous maints aspects à ma présence même en ces lieux.

    Permettez-moi de citer une phrase d'une étude de Martine Darrobers publiée aux Éditions du Cercle de la Librairie, intitulée Les Bibliothèques publiques en Europe, au chapitre concernant les Pays-Bas : Une superficie de 41500 km2classerait les Pays-Bas au rang des petits pays européens. »

    Un petit pays, en effet. Et peut-être le fait de vivre dans un tel petit pays explique-t-il pourquoi le grand style n'a jamais été beaucoup apprécié des Néerlandais, ni des gens en général, ni de leur gouvernement. La façon qu'ont les présidents français de laisser leur marque dans la capitale est en général considérée aux Pays-Bas comme une chose exceptionnelle et plus ou moins autocratique, ce qui n'est pas le cas bien sûr. Nous ne possédons pas de telles marques de grandeur et de beauté. Pourtant, les Néerlandais aiment beaucoup la France, non seulement pour le pays lui-même, les montagnes et la Côte d'Azur mais aussi parce qu'ils admirent sincèrement l'importante culture française, son histoire comme son état actuel. Et me trouvant maintenant à Paris, je ressens que je fais partie littéralement de « la plus petite ».

    Tout ceci a pour conséquence notamment que nous n'avons pas de « bibliothèque nationale comme en France et dans beaucoup d'autres pays. Actuellement, nous avons en effet une Bibliothèque royale, ce qui pourrait faire penser à une « bibliothèque nationale », l'adjectif « royal lui conférant même un petit plus. Mais ce n'est pas le cas. Dans mon pays, on éprouve une sorte d'aversion pour tout ce qui se veut national ». Et permet-tez-moi de vous en donner une courte explication. C'est ma vision personnelle des choses mais elle est néanmoins inspirée par des historiens et des sociologues exceptionnels. Pour commencer cette brève explication, je voudrais citer de nouveau Madame Darrobers.

    « L'organisation du système de bibliothèques s'inscrit dans la logique d'administration néerlandaise. Aux yeux d'un étranger, celle-ci a quelque chose de déroutant, puisque à tous les niveaux on trouve combinés le secteur public et le secteur associatif, le secteur laïque et les secteurs confessionnels, l'intervention publique et l'initiative privée. Cette curieuse imbrication est en fait le résultat de deux éléments typiquement néerlandais. D'une part se manifeste un peu partout un individualisme très fort, qui pousse à la prolifération d'associations représentatives. D'autre part l'ensemble de la société est structuré par le système des piliers, représentant les trois grandes composantes religieuses (laïcs, protestants, catholiques) dont l'empreinte socioculturelle reste très forte même dans un contexte de déchristianisation : presse, radios, et toutes les institutions culturelles et éducatives se définissent en fonction des trois piliers. La société néerlandaise échappe pourtant aux risques de fragmentation et d'émiettement du fait de quelques autres caractéristiques nationales, également très fortes : un sens poussé de la démocratie et de la coopération allant de pair avec un art consommé de la négociation et du compromis, un pragmatisme bien développé, soucieux avant tout d'efficacité, allié avec un esprit d'initiative et de libre-entreprise abondamment illustré par l'histoire nationale. »

    Je suis entièrement d'accord avec ce point de vue. J'aimerais y ajouter que je crois que ces « aspects typiquement néerlandais trouvent leur origine dans le développement social, économique et religieux des XV et XVIe siècles, après la première révolution civile en Europe, conduite sous les bannières du calvinisme et du capitalisme marchand. Tous les deux, le calvinisme comme le capitalisme marchand sont fort individualistes et rejettent fermement le collectivisme et l'intervention de l'État. Le simple fait que les Pays-Bas optèrent alors pour une république plutôt que pour une royauté constitue un événement historique frappant.

    Les Pays-Bas sont un pays très décentralisé et si certaines tâches et certaines missions s'effectuent évidemment à un niveau national, nous préférons parler de - royal plutôt que de « national ». C'est ainsi que la Bibliothèque royale a effectivement beaucoup de tâches au niveau national mais sans être une bibliothèque « nationale » au sens que vous lui donneriez, en la comparant à la Bibliothèque du Congrès ou à la Bibliothèque nationale de France. La Bibliothèque royale n'est pas la plus grande (les bibliothèques universitaires de Leyde, d'Amsterdam et d'Utrecht sont plus importantes) et elle n'a pas beaucoup de rapport avec la plus petite Ceci est la mission propre à mon organisation, la NBLC, l'Association néerlandaise des bibliothèques publiques.

    Encore un peu d'histoire. L'histoire de la Bibliothèque royale montre le peu d'affinité des Néerlandais pour une bibliothèque « nationale ». La Bibliothèque royale fut fondée en 1798 par... Devinez par qui ? Oui, par l'occupant français des Pays-Bas et d'après la loi française en vigueur pour la Bibliothèque nationale de la France. Mais si vous pensez, chers collègues français, que nous devons notre Bibliothèque royale à Napoléon, vous vous trompez ! Après l'occupation française, le statut de « bibliothèque nationale » de la Bibliothèque royale fut aboli. Pendant l'occupation allemande de 19401945, la Bibliothèque royale fut de nouveau élevée au statut de bibliothèque nationale » mais une fois encore, la Bibliothèque royale perdit ce privilège après la Seconde Guerre mondiale. Vous voyez quel peuple singulier sont les Néerlandais, au moins aux yeux d'un bibliothécaire.

    Si vous êtes d'accord avec ceci, voici encore une précision au sujet de la Suisse. Les Pays-Bas et la Suisse sont les deux seuls pays du monde civilisé à ne pas avoir de dépôt légal. L'occupant allemand avait chargé la Bibliothèque royale de cette tâche en vue d'exécuter la censure. Depuis 1974, la Bibliothèque royale est dépositaire sur base libre, par contrat avec les éditeurs.

    Qu'il n'y ait pas de hiérarchie entre la Bibliothèque royale et toutes les autres bibliothèques des Pays-Bas est donc une conséquence de notre histoire. Pour toute tâche ou toute mission de la Bibliothèque royale, il en va comme pour toute chose dans mon pays : pour être acceptée par les autres bibliothèques, cette tâche ou cette mission doit être négociée. Notre héritage de l'Âge d'Or des marchands est devenu de nos jours le maître à penser même des bibliothécaires. Ils sont disposés à accepter un engagement de la Bibliothèque royale en termes de commerce loyal, sur une base de coopération et avec des responsabilités partagées. Pour les questions internationales, la Bibliothèque royale est reconnue comme primus inter pares, comme la première parmi ses égales. Mais c'est tout!

    Concrètement. Je crois que la Bibliothèque royale partage presque toutes ses activités avec les autres bibliothèques ou organisations de bibliothèques, telles que la PICA, la fondation d'automatisation de la bibliothèque néerlandaise. Attention ! La PICA n'est pas l'institution d'automatisation de la bibliothèque « nationale » mais elle agit également sur base d'une participation libre des bibliothèques.

    Bien qu'une croyance nationale affirme que les Français parlent beaucoup mieux que les Néerlandais, nous passons bien plus de temps à discuter et à négocier chaque chose jusque dans ses plus petits détails, tandis qu'en France, je crois, le monde des bibliothèques est beaucoup plus réglementé par le gouvernement central. Aux Pays-Bas, on ne trouve aucune loi au sujet des bibliothèques publiques. La plupart des bibliothèques publiques sont des fondations privées, subventionnées par les municipalités. En général, il n'y a pas de rapport direct entre la bibliothèque publique, comme métaphore pour la plus petite et la Bibliothèque royale, comme la plus grande ». Et c'est la NBLC que soutient les bibliothèques publiques, quand il s'agit de représenter des intérêts généraux comme d'octroyer des services centraux. Il n'y a aucun lien formel entre la NBLC et la Bibliothèque royale.

    À un niveau national, deux entités unissent la Bibliothèque royale, la NBLC et les associations des bibliothèques universitaires : La PICA et la FOBID, la fédération des associations de bibliothèques. La FOBID représente la communauté des bibliothèques néerlandaises au niveau international, par exemple dans l'IFLA. Mais même la FOBID n'est qu'une fédération de faible profil, sans bureau exécutif.

    Dans la pratique, il y a un lien important entre le monde de la bibliothèque publique et la Bibliothèque royale, même si ce lien est partagé avec la PICA : toutes les deux, la Bibliothèque royale et la PICA, s'occupent du NCC, le catalogue central des Pays-Bas et la coordination du prêt interbibliothèque.

    Les autres tâches de la Bibliothèque royale sont les suivantes :

    • la responsabilité de l'héritage national sous forme écrite,
    • l'expertise dans le champ de la conservation et de la préservation,
    • la production de la bibliographie courante des Pays-Bas,
    • l'encouragement la coopération entre les bibliothèques,
    • l'échange international des publications.

    En conclusion, nous pourrions dire qu'il n'y a donc aucun rapport hiérarchique, formel, sur base de contrat ou d'autre lien direct, entre la Bibliothèque royale et une petite bibliothèque publique dans le pays. En d'autres termes : l'espace entre la plus grande et la plus petite est vide. Or la physique nucléaire nous apprend que l'espace vide, le vacuum, est instable. Le vacuum ne peut exister, si ce n'est un très court moment. Pour cette raison, il n'y a rien avant le Big Bang. Pour autant que nous puissions appliquer ce résultat de la physique nucléaire à la science des bibliothèques, nous pouvons prédire que le rapport entre la Bibliothèque royale et les autres bibliothèques changera tôt ou tard. Le nouveau développement dans le champ de la technologie de l'information, comme celui de l'Electronic Highway, ou des nouveaux médias et d'Internet, pourrait éventuellement entraîner de tels changements. Une des raisons en serait l'énorme investissement nécessaire pour pouvoir jouer un rôle significatif dans ce champ de travail. En effet, ces investissements dépassent de loin le cadre et l'échelle des municipalités. Une coopération nationale et même internationale sera nécessaire pour remplir les demandes des technologies modernes dans le milieu des bibliothèques.