En 1992, la Direction des Musées de France (DMF) avait souhaité s'associer à « La fureur de lire Conservateur du musée Bossuet de Meaux, ville-évêché de Seine-et-Marne située à cinquante kilomètres à l'est de Paris, j'avais été sollicitée par le service communication de la DMF pour réaliser une carte des musées et maisons d'écrivains. Ayant la charge d'un musée associé à la littérature, j'avais accepté d'imaginer conjuguer tentative d'inventaire et création graphique afin d'aboutir à l'édition d'un objet nouveau.
Armée du « Cabanne (1) et du « Poisson (2) installée au coeur des archives de l'Inspection Générale des Musée, je dus, en trois semaines, avec l'aide des conservateurs de ce service, rassembler, ordonner et classer des données qu'il était indispensable de confirmer.
Il m'était apparu en effet que les guides qui décrivaient musées et maisons se limitaient très souvent à transcrire des informations devenues parfois obsolètes. En visiteur potentiel que j'étais, j'interrogeai téléphoniquement et anonymement de préférence le personnel d'accueil et obtins des réponses non destinées à la promotion touristique.
Ce travail m'a permis de constater que l'évocation d'un écrivain et de son oeuvre était servie par une simple vitrine avec quelques objets, qu'il était évoqué dans une ou plusieurs salles, que nous étions face à une maison natale ou un lieu de séjour ne conservant aucune trace du littérateur. J'avais également tenté de distinguer les musées contrôlés par la DMF à caractère strictement monographique, les musées contrôlés dont une partie significative des collections était en rapport avec un écrivain ou un mouvement littéraire, les musées non contrôlés propriétés de l'État, de collectivités locales ou d'associations, les maisons privées ouvertes au public.
La tâche était complexe car l'ordonnance du 13 juillet 1945 qui régit encore aujourd'hui la vie des musées français (dans l'attente d'une « loi sur les musées.) prévoit une procédure d'agrément par simple déclaration (Titre II, Art. 6). La DMF n'ayant pas toujours été en mesure, nous le savons aujourd'hui, d'instruire véritablement les demandes des municipalités ou des associations on recense 1 070 musées contrôlés dont certains ne » conservent que fort peu d'objets.
Depuis 1982, le conseil artistique des musées de France examine les «fonds constitutifs» des musées qui souhaitent obtenir le statut de musée contrôlé. Cette instance se réunit chaque mois (11 séances par an) pour valider les projets d'acquisition à titre onéreux ou gratuit des musées classés et contrôlés. Elle émet un avis sur la qualité et le coût des acquisitions projetées. L'avis favorable de ce conseil est indispensable pour accéder aux subventions des Fonds Régionaux d'Acquisition pour les Musées.
Ainsi depuis le début des années quatre-vingt, le conseil artistique des musées de France a instruit favorablement les dossiers des musées Sévigné à Grignan (1990), Colette à Saint-Sauveur-en-Puisaye (1990), Saint-John Perse à Pointe-à-Pitre (1988), Mallarmé à Vulaines (1987). 59 musées classés ou contrôlés sont «concernés» par la littérature (musées monographiques ou musées conservant des fonds littéraires). Depuis 1982, 17 de ces musées ont soumis des projets d'acquisitions au conseil artistique (dont 11 musées monographiques). Nous savons que parfois les débats y furent vifs, car si le monde des musées ne rechigne pas à accumuler des reliques fétichistes liées aux grands personnages de notre histoire (tabatière ayant appartenu au Duc de Maine, carrosses et souliers divers...), un fétichisme identique lié à la littérature n'est pas encore véritablement admis. Cependant les Fonds Régionaux d'Acquisition pour les Musées (FRAM) ont permis des acquisitions prestigieuses (manuscrit du Sonnet des voyelles à Charleville-Mézières, « cadavres exquis à à Saint-Denis [Paul Éluard], éditions rares de Rousseau à Montmorency...) forçant ainsi la tradition des musées de France.
Toutefois, rares sont les musées qui, souhaitant échapper au seul fétichisme de l'objet ou du manuscrit, lient leurs activités à la recherche universitaire en collaborant avec des théoriciens de la littérature.
Je voudrais maintenant revenir à Meaux et à l'imposture que constitue la dénomination « Musée Bossuet ». Que trouve au palais épiscopal le visiteur qui souhaite retrouver les traces de l'évêque-écrivain ? Un musée des Beaux-Arts enrichi régulièrement grâce aux dons d'Annie et de Jean-Pierre Changeux. Il y trouve également une petite salle, simple salle de musée donnant sur un jardin dans ce qui fût la bibliothèque de Bossuet où sont rassemblés une copie (d'atelier) du portrait du prélat par Rigaud, une cheminée ornée d'un portrait en pied d'Henriette d'Angleterre, ainsi que deux autres portraits de Bossuet par Rigaud et Mignard.
Le Musée Bossuet est donc tout simplement un musée municipal où sont évoquées, fort succinctement, les seize années où Bossuet vécut à Meaux. Les manuscrits et les livres sont conservés à la bibliothèque municipale. Courteline, ancien élève du collège de Meaux, avait un temps laissé la trace de son passage grâce à une table de malade d'hôpital en formica (marron) et un buste en terre cuite. Avaient été oubliés Girodias qui avait si bien évoqué les maisons de tolérance de cette cité et Genet qui avait séjourné à la maison d'arrêt.
L'évocation au musée de Saint-Malo, de Chateaubriand, pourrait être décrite d'une manière presque identique et tout aussi décevante.
Aujourd'hui, je voudrais marquer à nouveau le manque cruel d'une véritable réflexion sur l'écrivain dans l'univers des musées littéraires. Manque non pas lié au poids, dans les années soixante-soixante-dix, du structuralisme, de Blanchot ou de Tel Quel « imposant la mort de l'auteur, mais à la tradition associative qui a souvent été à l'origine de la création de ces musées et à l'absence, en France, d'une pratique muséale de la littérature telle que nous la connaissons en Pologne ou en Russie, pays où identité nationale et littérature sont intimement liées.
Pour terminer, je voudrais vous faire partager la lecture d'un extrait du Sade, Fourrier, Loyola de Barthes (1971) :
Et conseiller à tous la lecture des Règles de l'art de Pierre Bourdieu.
Je voudrais enfin remercier l'ABF pour cette journée qui permet pour la première fois aux professionnels des bibliothèques et des musées en charge des collections publiques de dialoguer et surtout d'envisager une collaboration régulière et fructueuse.