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    Le bibliothécaire déterritorialisé

    A la mémoire de Giles Deleuze

    Par Anne-Marie Delaune, Bibliothèque nationale de France

    Il arrive que la bibliothèque disparaisse sans que l'on se soit bien rendu compte du processus. Tout à coup c'est évident, tous les problèmes bizarres qui surgissent, dont on ne peut exactement discerner les causes, n'ont qu'une seule explication : la bibliothèque n'est plus là.

    Alors, faire comme si on y était quand même ? Certes, le bibliothécaire est incité à faire comme si, on veut qu'il parle, qu'il pense, qu'il organise, qu'il s'insère dans le flux de ces notes en tout genre sur tout sujet, qui manquent toujours leur objet, manquent le réel et rendent peu à peu les questions inextricables.

    Non ! se passer d'elle et naviguer à vue, se mettre dans une nouvelle configuration intérieure... vaste programme, ivresse d'expérimenter de nouveaux agencements... Ni lieu ni document ni public : le bibliothécaire, submergé par nature sous les tâches bibliothéconomiques, s'exerce délibérément, joyeusement, à danser maintenant sur la corde tendue de la bibliothèque qu'il imagine à un nouveau mode de vivre, et tend à s'échapper... Déjà il hésite le matin à se dire «je vais à la bibliothèque ». Il va quelque part, mais où ? Le bibliothécaire pour ne pas se laisser engluer, coller au mur, se fait donc acrobate et se rit des mots d'ordre. Il parvient ainsi à une certaine invisibilité, devient imperceptible, aussi bien à ses collègues avec bibliothèque qu'à ses collègues sans bibliothèque"... Il est entre les deux. Il se met à fuir, je suis n'y suis pas, je ne suis pas j'y suis.

    Bibliothécaire, il l'est encore mais cela se voit de moins en moins.

    À suivre...

    (prochain épisode : entretien avec Lawrence, retour d'Arabie).