Depuis 1986,époque à laquelle j'ai commencé à fréquenter les bibliothécaires, j'ai beaucoup voyagé dans ce milieu. Peut-être devrais-je d'ailleurs dire ces milieux, car à mes yeux de profane, qu'y avait-il de commun entre une bibliothèque de lecture publique et une bibliothèque de conservation, entre un bibliothécaire de BDP et un bibliothécaire de BU, entre la BPI et la BNF, entre les CRF, l'IFB et l'ENSSIB ? Mais, surtout, qu'y avait-il de commun entre eux et un consultant extérieur, issu de l'entreprise privée ? Rien a priori au départ, si ce n'est, de ma part, un attachement certain à la notion de Service public... Attachement que j'ai d'ailleurs eu la surprise de ne pas toujours retrouver chez certains, peu nombreux il est vrai, de mes interlocuteurs...
Comment faire pour seulement s'y retrouver dans toutes ces subtiles différences visant malgré tout à une mission commune : la diffusion de la lecture auprès du plus large public possible et la conservation des ouvrages ? Ce fut long, complexe parfois, mais toujours passionnant.
Au début de mes interventions auprès des bibliothécaires, je les trouvais très habités par les livres, parfois un peu trop à mon goût ! Et moi je venais animer des stages de formation touchant à ce qu'on appelle le Savoir Être (on parle même maintenant de savoir évoluer c'est-à-dire l'amélioration des comportements observables dans des situations données.
Les bibliothécaires vantaient la formation initiale : je répondais formation permanente ! Ils parlaient de technicité, d'expertise : je rétorquais pédagogie ! Ils avançaient contenu : j'avançais objectif ! Ils pensaient formation quotidienne sur le terrain : je répondais réflexion pédagogique, organisation, méthodes...
Bref ! tout avait l'air de se passer comme si former était inné, et le métier de formateur, pas un vrai métier...
Et maintenant ? Maintenant les bibliothécaires se préoccupent de tout (pas seulement en matière de formation d'ailleurs), formations techniques, scientifiques, etc., bien sûr, mais également formation à l'accueil, à la prise de parole en public, à la pédagogie, à l'animation de réunion, au management... Et de plus ils sont devenus critiques, « la formation ne répondrait pas complètement à leurs besoins... il faut du sur mesure... coller plus à la réalité... de l'accompagnement de projet plutôt que du stage... du conseil... ».
Le stage ne serait plus la panacée ? Sans doute, surtout si l'on considère que les stages n'ont pas pour but de répondre aux problèmes structurels internes, le stage a pour objectif de rendre un individu capable de... », encore faut-il que cet individu puisse mettre en application ce qu'il a appris au cours du stage.
À quoi sert d'avoir appris à animer une réunion s'il n'y a pas la possibilité d'en organiser ? À quoi sert d'avoir été formé à l'encadrement du personnel si on est le seul à vouloir appliquer les techniques liées au management ? À quoi sert de maîtriser les outils de pédagogie des adultes si on ne forme pas ? À quoi sert d'avoir été formé à l'accueil du public, c'est-à-dire d'avoir voulu améliorer des comportements observables si la politique d'accueil du public n'est pas analysée dans l'établissement ?
La formation est un moyen pas une finalité, la formation sous forme de stage ne répondra jamais en totalité aux différents problèmes : de structure, de manque de personnel, d'absentéisme, d'organisation, d'encadrement, etc. Alors, de l'accompagnement de projet, du conseil ? Pourquoi pas. C'est là que l'activité conseil aurait sa place, qu'elle serait utile, sous forme d'état des lieux d'abord, d'analyse des besoins et des pratiques puis de propositions/réponses adaptées. Les besoins en formation n'ont pas seulement comme réponse la mise en place d'un stage, les modes d'acquisitions de compétences peuvent être divers.
Le stage, lui, est censé répondre à une demande précise, ce qui sous-entend : que la finalité est claire, que l'objectif de formation visé peut être traduit en termes d'objectif pédagogique précis, que cet objectif sera atteint à l'issue du stage, qu'il ne s'agit donc pas de masquer un problème plus diffus, difficile à exprimer, bref que l'investissement choisi est bien le bon.
Tout ce travail en amont est un travail de conseil en formation, mais pour pouvoir accompagner un projet il faut des pilotes, des responsables de projet internes impliqués, avec qui on va analyser les paramètres du projet, ses avantages, ses inconvénients, ses conséquences... Alors le conseil ? Oui, mais c'est plus long, cela demande un investissement plus important et il est parfois vécu comme une sorte d'ingérence...
Tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut que « cela change » et le conseil pourrait aider à accompagner ces changements, à condition que les acteurs eux-mêmes en aient envie et pas seulement besoin.
Partout la nécessité de ces changements commence à percer, « les salariés du XX" siècle mieux informés et plus longtemps formés, constamment sollicités à faire preuve d'initiative et d'intelligence dans leur travail ne peuvent se désintéresser de ce que sera l'avenir de l'entreprise qui les emploie », pense Edgar Morin.
Condorcet, considéré comme le père de l'éducation permanente, disait dans son rapport en 1792 : « L'instruction doit être universelle, c'est-à-dire s'étendre à tous les citoyens, elle doit, dans ses divers degrés, embrasser le système entier des connaissances humaines et assurer aux hommes, dans tous les âges de la vie, la faculté de conserver leurs connaissances et d'en acquérir de nouvelles. On instruira le peuple des lois nouvelles, des observations d'agriculture, des méthodes économiques qu'il lui importe de ne pas ignorer, on lui montrera l'art de s'instruire lui-même. »
Autrefois, enseignement et formation ne se distinguaient pas, il y a eu dissociation de ces deux termes dès la seconde moitié du XXe siècle. L'écart n'a donc pas toujours existé, il est apparu et n'a cessé de s'agrandir depuis la Seconde Guerre mondiale notamment avec le changement des valeurs.
Le 16 juillet 1971 naît la loi sur la Formation professionnelle continue où « Obligation est faite à tous les Organismes sociaux et professionnels et pratiquement à tous les corps de métier d'organiser la formation permanente de leur personne : c'est le droit à la formation ».
Cette loi est le produit d'une demande de tous les partenaires économiques et sociaux. Le métier de formateur apparaît donc à cette époque, la formation devient un outil de gestion du marché interne du travail ; il se crée ainsi un marché de la formation et, pour la première fois dans son histoire, l'Éducation nationale, qui veut aussi sa part du marché, entre dans un système concurrentiel.
La séparation engagée dans la deuxième moitié du XXesiècle se confirme-t-elle ou est-elle en voie de disparition ? (cf. Enseignant et/ou Formateur d'Agnès Braun aux Éditions d'Organisation).
La loi sur la formation est donc récente, les bibliothécaires ont pris le train en marche (accords-cadres de 1989) mais ils courent vite... et dire que certains prétendent que l'administration, la fonction publique, bref les fonctionnaires ne s'adaptent pas assez vite à la société nouvelle ! ! !
Dix ans après, on n'a pas encore tout à fait le même vocabulaire mais on a appris à travailler ensemble, à se reconnaître, les mots ne sont plus des freins, des barrières, on s'apprend mutuellement et je me demande pourquoi il existe une interrogation, un débat (on parle même de fracture) entre le Public et le Privé, les deux ne sont-ils pas nécessairement complémentaires dans une société démocratique ?