Si dans les années 1982-1984 on recensait une quinzaine de progiciels (1) de gestion de bibliothèques disponibles sur le marché français, une enquête récente que nous avons menée auprès des fournisseurs ayant au moins une référence en France fait apparaître une offre plus diversifiée en 1996. Une quarantaine de progiciels sont proposés par 26 fournisseurs pour tous types de bibliothèques : bibliothèques publiques (BM et BDP), bibliothèques universitaires (BU et BUFR), bibliothèques de comités d'entreprises, bibliothèques des écoles, collèges et lycées (BCD et CDI) et bibliothèques spécialisées (2) .
Les bibliothèques pionnières qui s'étaient équipées dans les années quatre-vingt se trouvent confrontées après dix ans de fonctionnement au problème du renouvellement d'équipement informatique et de changement de progiciel. Sur la totalité de leurs ventes en 1995, les fournisseurs ont procédé à 104 réinformatisations (si l'on exclut les chiffres correspondant aux seuls CDI-BCD), soit en installant leur tout nouveau produit chez un de leurs clients (migration interne), soit en remplaçant un produit concurrent (migration externe).
Le premier constat que l'on peut faire est que la durée de vie des systèmes de gestion de bibliothèque est relativement longue eu égard aux évolutions de l'informatique : beaucoup de bibliothèques conservent le même produit pendant une dizaine d'années. Cela s'explique par deux types de raisons : les évolutions des logiciels de gestion de bibliothèque ces dernières années et les difficultés inhérentes aux projets de réinformatisation pour les bibliothèques.
Les fournisseurs font évoluer leur progiciel, tant sur le plan fonctionnel que sur le plan technique informatique, afin de disposer d'un produit opérationnel sur différentes plates-formes matérielles et conforme aux standards informatiques : abandon de systèmes propriétaires au profit des systèmes d'exploitation les plus répandus sur le marché (UNIX, MS-DOS), généralisation des systèmes de gestion de bases de données relationnels (SGBDR), protocoles réseaux, architecture client-serveur... Le problème du changement ne se pose que lorsque l'on a affaire à un produit de nouvelle génération, qui n'a plus rien à voir avec les anciennes versions, et que le fournisseur ne souhaite pas maintenir le produit ancien.
Pour les bibliothèques, l'informatisation représente une lourde charge et la décision de changer de système informatique n'est pas prise à la légère. Ce sont souvent des contraintes extérieures graves qui sont à l'origine de la réinformatisation : disparition d'une société ou d'un produit, contraintes d'environnement informatique externe comme le remplacement du serveur, ou apparition de nouveaux besoins non couverts par les évolutions fonctionnelles du système installé. Selon l'offre de son fournisseur, on change alors de produit en restant fidèle au même fournisseur (continuité dans le changement), ou l'on change de société (rupture). Dans certains cas de migrations internes, les coûts d'installation du nouveau produit développé par le fournisseur sont quelquefois tels que la logique des marchés publics oblige la bibliothèque à procéder à une nouvelle mise en concurrence avec d'autres offres du marché.
Les causes objectives de changement les plus fréquentes sont liées soit au fournisseur lui-même (faillite d'une société ou rachat d'une société par une autre) ou au produit (produit en fin de vie qui n'évolue plus). La bibliothèque se trouve alors contrainte de migrer de système.
Un autre cas fréquent est lié au changement d'environnement informatique, par exemple passage d'un système-propriétaire à des machines UNIX : si le progiciel installé n'est pas compatible avec les nouveaux choix informatiques effectués par la tutelle, la bibliothèque doit alors changer de progiciel.
Sur 74 migrations externes (57 externes + 17 internes-externes) réalisées par les fournisseurs pour l'année 1995, la majorité, soit 46, ne sont pas liées à des contraintes identifiées, 17 sont liées au rachat d'une société par une autre (migration « interne-externe » d'Oasis au profit de Card-Datalog société Data Trek International), 6 sont liées en partie à la faillite de la société qui diffusait Mobi-Bop, (même si l'acquisition de systèmes locaux par les BU n'est pas seulement motivé par la fin de système de prêt), 5 sont liées à des progiciels en fin de vie : IRIS, SDL-Media, Tobias, Glis 9 000 et Libs 100 (cas de rachat). Pour ces progiciels, 4 d'entre eux se retrouvent dans le tableau des migrations internes puisque l'on trouve :
Néanmoins, certaines bibliothèques qui utilisaient ces systèmes ont choisi de changer à la fois de progiciel et de fournisseur.
Pour les 46 migrations sans contraintes identifiées, les causes sont plus difficiles à analyser à partir des seules données que nous possédons. Certains produits remplacés ont pu l'être à cause, soit de manque de certaines fonctionnalités (Alexandrie par rapport à certains progiciels documentaires qu'il remplace offre des fonctions de gestion plus performantes et un module de gestion électronique de documents), soit d'environnement machine (produits IBM tel que Dobis-Libis, par exemple), soit parce que la pérennité du système était menacée (Sibil). Les différentes causes peuvent d'ailleurs se combiner. Il faut tout de même noter qu'en 1995 trois migrations sont liées au remplacement d'un système maison par un progiciel du marché.
Pour l'année 1995, le total des migrations réalisées est de 47 si l'on isole le cas particulier du CRDP Poitou-Charentes avec le remplacement du produit Mémolog VI. (1 905 sites) par les nouveaux produits BCDI, BCDI-écoles et Mémolog 3 qui équipent majoritairement les BCD et CDI.
Les autres sociétés concernées ont donc rééquipé leurs sites installés avec leur nouveau produit : 19 sites ont migré de l'ancienne version d'Opsys pour le nouveau produit V8.10, AB6 a remplacé SDL-Média (5 sites), Geac Advance a remplacé Glis 9000 et Libs 100 (2 sites), Marquis-Horizon a remplacé Dynix (2 sites), Orphée l'ancien Tobias (1 site) et le nouveau Best-Seller l'ancienne version. Pour la société Data-Trek avec les 17 migrations d'Oasis vers Card Datalog, il s'agit d'un cas de rachat (cf. tableau page ci-contre).
Les données que nous avons recueillies auprès des fournisseurs ne nous permettent pas d'avoir une répartition précise des réinformatisations 1995 par type de bibliothèque ; néanmoins en combinant ces données avec ce que nous avons pu constater sur le terrain, il est possible de dégager quelques tendances.
Cette catégorie est un peu particulière car elle est couverte par peu de produits du marché. Au vu des chiffres annoncés par le CRDP Poitou-Charente, la majorité des BCD et CDI a procédé à une réinformatisation en 1995.
Les causes des changements dans ce type de bibliothèque sont plus difficiles à analyser. Pour celles qui cumulent des fonctions de centre de documentation classique et des problèmes d'archivage, le besoin se fait sentir de trouver un progiciel unique capable de répondre d'une manière satisfaisante à la fois à la recherche documentaire fine, aux besoins de gestion de bibliothèque (acquisitions, prêt et bulletinage) et à la gestion électronique de document pour de la documentation technique interne. Équipé au départ d'un simple logiciel documentaire, on migre vers des systèmes plus complets. Fait non négligeable, un certain nombre de bibliothèques de ce type sont encore équipées de logiciels maison et la reprise des données n'est pas toujours évidente.
Dans le cas d'une acquisition d'un progiciel intégré par une BU, on peut toujours parler de réinformatisation, dans la mesure où les BU sont généralement équipées d'un système de prêt (Mobi-Bop), d'un système de catalogage et éventuellement d'un système pour les périodiques. La difficulté de ce type de projet est liée au passage d'une informatisation éclatée à une informatisation intégrée : les problèmes de récupération des fichiers prêts et données bibliographiques sont toujours très importants dans le cas des BU. L'autre difficulté est souvent liée aux problèmes d'interfaces avec des progiciels documentaires de bibliothèques d'UFR ou de laboratoires.
Il ne semble pas que les BDP, dont toutes ne sont pas encore équipées, en soient au stade de la réinformatisation. En revanche les BM vont représenter le secteur le plus porteur pour le marché de la réinformatisation dans les années qui viennent. Dans les grandes villes. de très fréquents schémas directeurs informatiques concluent à l'abandon de systèmes propriétaires au profit de machines UNIX, à la mise en place d'une architecture client-serveur, à des préconisations de SGBDR (3) type ORACLE.
La bibliothèque se trouve alors confrontée au problème de la migration avec des contraintes informatiques qui font que son choix se limite à deux ou trois produits du marché qui sont conformes aux normes préconisées par les services informatiques de la ville.
Il faut veiller à la reprise des fichiers bibliographiques pour des bases importantes, aux fichiers des prêts pour lesquels le nouveau fournisseur a tendance à recommander plutôt de repartir à zéro, au fichier des commandes en cours et des budgets que personne n'a vraiment envie de récupérer (mais on ne peut pas toujours changer de système en fin d'année pour geler les commandes !).
Les difficultés propres aux projets de réinformatisation des BM vont être liées à leur politique de choix : si la migration est interne, le fournisseur saura reprendre (et pour cause) les fichiers bibliographiques.
Si l'on change de fournisseur et que l'on n'a pas pris la précaution de rédiger lors du premier cahier des charges, des clauses contractuelles précises sur la propriété des données, au moment de la réinformatisation la bibliothèque sera en difficulté pour connaître la structure des fichiers, pour décrire les données à reprendre, afin que le nouveau fournisseur effectue les opérations de migration. Par contre quand le logiciel que l'on quitte est en fin de vie, on a généralement la possibilité de récupérer les sources.
Sur un total de 587 ventes signalées en 1995 (à l'exclusion des chiffres des BCD et CDI), 104 ventes correspondent à des réinformatisations. Si l'on examine le seul nombre des migrations externes, soit 57, on peut conclure que la fidélité est la règle dans les couples fournisseurs-bibliothèques, avec seulement 10 % de ruptures.
Le pourcentage de réinformatisation n'est pas négligeable pour les fournisseurs (environ 20 % du chiffre d'affaires des ventes). La tendance va aller en s'accélérant. Les bibliothèques vont avoir à faire face à une nouvelle problématique de choix où la qualité du progiciel ne sera plus le seul facteur discriminant, mais où la qualité des services offerts par la société en termes de migrations de fichiers sera très importante. Les cahiers des charges seront plus complexes à rédiger ; il faudra veiller aux clauses de propriété si on ne l'a pas fait la première fois.
Avec l'apparition d'une nouvelle génération de produits (architecture client-serveur, systèmes UNIX, protocole TCP-IP), on assistera au retour en force des informaticiens des services de tutelle dans les applications de bibliothèque. Les relations vont devenir plus complexes et les tâches d'exploitation plus lourdes.
Si ces dernières années la fidélité régnait largement encore dans les couples four-nisseur-bibliothécaires, qu'en sera-t-il dans des ménages à trois ?