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    Les bibliothèques d'hôpitaux pour enfants

    Par Claudie GUÉRIN, coordinatrice médiathèques et centres de docu-mentation de l'Assistance Publique-Hôpitaux deParis

    La lecture à l'hôpital trouve ses origines au XVIIe sous le vocable de «distraction des malades >. Cette pratique s'est développée à l'initiative d'associations caritatives et grâce à des réseaux bien organisés de bénévoles. L'enquête la plus récente, menée en 1992 par le ministère de la Culture et la Fondation de France, montre qu'à l'aube du XXIe siècle, l'institution continue de s'en remettre presque totalement au bénévolat.

    Dans ce paysage français, les médiathèques de l'AP-HP (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris) font figure d'exception puisque depuis plusieurs années, l'AP-HP, soutenue par le ministère de la Culture, mène une politique de la lecture qui a conduit à la création de 25 médiathèques animées par 35 bibliothécaires professionnels. Elles participent pleinement à l'amélioration de la qualité de l'accueil et de la vie du patient et s'inscrivent dans la politique d'humanisation de l'hôpital engagée depuis quelques années.

    Cet article propose des pistes de réflexion sur l'organisation de l'offre et les pratiques de lecture des enfants hospitalisés à partir des expériences de trois médiathèques du réseau de l'AP-HP desservant des enfants : Raymond-Poincaré à Garches, Robert-Debré et Saint-Vincent-de-Paul à Paris (1) .

    Si une médiathèque d'hôpital a les mêmes objectifs que toute médiathèque pour enfants - proposer au plus grand nombre des documents de qualité pour informer, détendre, éveiller la curiosité -, elle est à l'hôpital un lieu atypique. Espace non médicalisé, donc neutre par rapport à la maladie, elle est un lieu de rencontres et d'échanges et à ce titre représente le pôle culturel de l'hôpital.

    On connaît l'importance de la lecture dès le plus jeune âge mais, à l'hôpital, cette activité a une résonance bien particulière. Pour l'enfant « enfermé entre les quatre murs de sa chambre, la lecture peut être en effet un formidable moyen d'évasion qui lui permet d'oublier un temps sa maladie, son angoisse et sa douleur. C'est aussi un moment de détente pendant lequel son corps ne subit pas d'agression.

    Se faire lire un livre ou raconter une histoire par un adulte - bibliothécaire, parent, ami ou soignant - permet par ailleurs, l'espace d'un instant, d'avoir une relation privilégiée dont l'enfant a particulièrement besoin dans l'état de fragilité affective et psychologique dans lequel il se trouve. Par l'intermédiaire de l'histoire, il peut arriver à dominer son anxiété, à parler de sa vie antérieure et de sa maladie. Cette observation est au coeur des réflexions menées par les bibliothécaires : « Nous sommes convaincus de l'importance et de la nécessité de la lecture à l'hôpital. Le livre facilite les relations et échanges entre adultes et enfants, à travers lui on peut se dire beaucoup de choses sans parler. Proposer un livre, même à un tout-petit, c'est favoriser une rencontre qui peut mettre- momentanémentpeut-être- un terme à une solitude bien particulière,,, témoignent Myriam Revial et Isabelle Nicolas à Raymond-Poincaré.

    Même si on retrouve bien sûr à l'hôpital les mêmes enfants qu'en bibliothèque municipale - statistiquement 1 enfant sur 2 est hospitalisé avant 15 ans -, le public y est quand même différent.

    Quels publics, quelles lectures ?

    Tout d'abord, l'hôpital accueille toute une population qui ne fréquente pas habituellement les bibliothèques. Les professionnels sont donc confrontés à des enfants dont c'est parfois le premier contact avec un livre non scolaire. L'hospitalisation est alors l'occasion de faire découvrir la lecture. D'autre part, des enfants viennent de loin se faire opérer en France : Dom-Tom, Italie, Maghreb, pays de l'Est, Afrique noire... Ils ne parlent pas toujours français et ont des durées d'hospitalisation souvent longues qu'ils doivent supporter seuls. Se voir proposer un livre dans sa langue maternelle ou trouver une cassette de musique familière est d'un grand réconfort pour qui, en plus de la maladie, se retrouve dans un milieu aux habitudes de vie différentes. La fourchette d'âges est par ailleurs plus large qu'en bibliothèque municipale puisqu'elle va du nourrisson à l'adolescent de 16 ans et plus.

    L'enfant ou l'adolescent est non seulement fragilisé par la maladie mais également privé de ses occupations habituelles. Quelle que soit la durée de l'hospitalisation, elle représente un moment d'exclusion temporaire de la vie familiale, scolaire, de la vie avec les copains et copines... Les perturbations dues à cette situation difficile à vivre entraînent souvent une régression des acquis. La fatigue et la souffrance diminuant les capacités d'attention, on remarque que les goûts et les habitudes de lecture peuvent se modifier d'une manière plus ou moins durable. Le bibliothécaire est obligé d'en tenir compte dans ses propositions tout comme il doit également intégrer certaines données particulières. Un enfant dialysé passant 2 à 3 jours chaque semaine à l'hôpital - et ceci pendant des années en attendant une greffe de rein - présente des retards scolaires importants. Malgré le travail des enseignants à l'hôpital, on constate chez de nombreux jeunes un décalage important entre leur niveau de lecture et leur âge. En fonction des pathologies et des durées de séjour, les attentes et les réactions des enfants ne sont donc pas les mêmes et il est nécessaire d'en tenir compte.

    Cette fragilisation se manifeste au travers des choix des enfants puisqu'ils recherchent avant tout des textes qui leur procurent un sentiment de sécurité : livres très faciles, connus, lus et relus à la maison, à l'école... Des lectures rapides, courtes s'adaptent bien à leurs états de fatigue. Les livres illustrés, bandes dessinées, périodiques, documentaires sur les animaux et le sport sont très empruntés. Lors d'hospitalisations plus longues ou totalement immobilisantes comme en orthopédie par exemple, ils se lancent dans des livres plus longs. « Les contes où les héros subissent puis franchissent diverses épreuves sont extrêmement demandés », témoignent Laure Vincent et Nathalie Dupuis. Ils semblent en effet avoir auprès des enfants en souffrance une résonance toute particulière. Certains enfants des services d'hématologie sont très attachés à l'histoire de Blanche Neige...

    On retrouve ici l'importance de la symbolique et son fort pouvoir d'identification.

    Le désir de comprendre et d'avoir prise sur la maladie ne se traduit pas exclusivement par une demande d'ouvrages de fiction.

    A Raymond-Poincaré - qui accueille de nombreux patients polyhandicapés ou souffrant de traumatismes graves et pour qui la souffrance est une réalité de chaque instant - les pré-adolescents et adolescents recherchent souvent des documents sur la douleur. La vulgarisation sur ce sujet accessible à cette tranche d'âge est malheureusement bien mince... Les livres sur le corps, l'hôpital et la mort sont demandés par les adultes comme support à une explication ou pour susciter la parole chez l'enfant. Ces demandes sont d'autant plus fréquentes que la bibliothèque est bien implantée dans la vie des services médicaux.

    Contrairement à l'idée fort répandue de la nécessité de ne pas proposer certains documents pour protéger le patient, les acquisitions se font avec les mêmes critères qu'en bibliothèque municipale, même si le bibliothécaire doit parfois tenir compte au moment du prêt de la situation spécifique dans laquelle se trouve son public. Selon ce que vit un lecteur à un moment déterminé, il peut être amené à différer l'instant où il propose tel livre afin d'en parler d'abord avec l'équipe soignante ou le parent. La demande de l'enfant sera cependant satisfaite, même si ce n'est pas nécessairement en temps réel. Ceci est particulièrement vrai dans les services de pédopsychiatrie par exemple.

    Le livre n'est pas le seul support à être utilisé. La musique remporte aussi auprès des adolescents un franc succès. Les comptines, les albums lus sont très demandés par les parents de jeunes enfants. Les cassettes sonores sont donc très empruntées non seulement parce qu'elles correspondent aux pratiques culturelles des jeunes mais également parce qu'elles permettent à certains enfants trop fatigués d'avoir encore une activité.

    On connaît, par ailleurs, aujourd'hui mieux l'importance de la communication avec les enfants en réanimation. Les équipes soignantes et les parents utilisent donc de plus en plus la musique et les textes lus dans le cadre du travail sur le réveil. On a pu constater que le premier mot d'un enfant - à qui on avait chanté des comptines pendant son coma - avait été un mot de l'une d'entre elles.

    Le service public à l'hôpital

    Une des spécificités du service public à l'hôpital est qu'il se répartit entre des permanences dans la bibliothèque et le prêt de livres dans les chambres des enfants hospitalisés, y compris en cas d'isolement. Pour une bonne fréquentation des patients, la localisation et la surface de la bibliothèque sont déterminantes. Ici comme ailleurs, les jeunes - accompagnés de parents ou d'amis, en groupes avec des éducateurs et des enseignants - viennent lire sur place, écouter de la musique, emprunter, assister à l'heure du conte, rencontrer un scientifique... aller à la bibliothèque est vécu comme un moment d'autonomie et de liberté particulièrement rare dans la vie d'un enfant hospitalisé soumis à des rythmes imposés. Parce que de nombreux enfants ne peuvent pas se déplacer, la bibliothèque vient à eux chaque semaine. Le service de chambre en chambre avec le chariot est essentiel en pédiatrie. Sa ponctualité et sa régularité sont très importantes car il est un point de repère dans le temps. A Raymond-Poincaré par exemple, 400 lits sont visités chaque semaine. La sélection des documents à emporter est tout un art. Cette bibliothèque en réduction doit en effet répondre à des besoins extrêmement variés et imprévisibles. Le bibliothécaire choisit les documents en fonction des prêts antérieurs, des questions des enfants, des services visités... Il doit intégrer de nombreux paramètres : « En dehors des albums, j'utilise très largement les romans courts et les nouvelles, qui s'adaptent plus facilement aux rythmes de vie morcelés par les soins et les intervenants » (Laure Vincent). Il faut aussi penser à ceux ayant de grosses difficultés de lecture et rechercher des livres en adéquation entre leur niveau et leurs centres d'intérêt ; aux demandes des parents ; aux lectures faciles qui vont rassurer les petits nouveaux du service. A Raymond-Poincaré, pour aider certains enfants souffrant de lésions neurologiques à retrouver objets et mots du quotidien, des imagiers sont utilisés.

    « Faire le chariot » c'est aussi s'adapter aux fonctionnements des services, ne pas déranger et savoir se faire accepter par l'équipe soignante tout en proposant et stimulant l'enfant. « Il est important de prendre son temps, on ne passe pas uniquement pour prêter, on lit aussi beaucoup avec les enfants, même avec les grands de 8-10 ans. C'est un moment de relation individuelle intense'(Isabelle Nicolas). Disponible, le bibliothécaire qui est à l'écoute de chacun, sans se laisser accaparer par l'un ou l'autre, doit également savoir « composer avec le dit et le non-dit". Ce travail au chevet du patient est à la fois difficile et très fort. Le contact individuel existe aussi en bibliothèque municipale mais il prend ici un relief particulier puis-qu'il confronte avec la maladie, la souffrance et la mort.

    Dans cet environnement éprouvant, le travail en partenariat avec les équipes soignantes, les éducateurs, animateurs, ergothérapeutes, orthophonistes, psychologues... est une nécessité absolue. Les enseignants présents dans les hôpitaux de pédiatrie, travaillent en étroite collaboration avec les bibliothécaires et participent à la lutte contre l'isolement de l'enfant en maintenant une continuité avec sa vie quotidienne. Le bibliothécaire fait partie d'une équipe pluridisciplinaire avec laquelle, alors qu'aucun espace de parole n'est organisé, il peut échanger autour des patients et essayer de mieux vivre les situations parfois extrêmement difficiles auxquelles il se trouve confronté. On comprend dès lors que la fréquentation de la bibliothèque par le personnel hospitalier pour ses propres besoins professionnels ou de loisirs permet de nouer des liens informels facilitant la mise en place de collaborations indispensables. Le personnel et tous les acteurs sont des relais essentiels.

    Quelles animations ?

    Un séjour à l'hôpital peut être l'occasion d'écouter Muriel Bloch ou Fiona Mac Leod, de rencontrer Albert Jacquard, de discuter avec des postiers de leur métier... Comme dans toute bibliothèque municipale, des animations sont organisées. Elles se déroulent dans la bibliothèque, dans les chambres et les couloirs d'un service ou à la Maison de l'enfant, quand il en existe une comme à Robert-Debré par exemple.Leur qualité est une priorité pour les professionnels. Parce que l'hôpital renvoiechacun de nous à des questions essentielles, il faut, ici peut-être plus qu'ailleurs,offrir le meilleur. Cette exigence est fortement ressentie par les différents interve-nants. Muriel Bloch, qui mène actuellement un travail autour du conte à l'hôpitalRobert-Debré, évoque ces heures du conteavec émotion. « Ces rendez-vous réguliersdepuis septembre sont des rencontres quicomptent pour moi. je ressens une plus grande intensité dans ma façon de raconter... sans doute parce qu'ici l'enjeu estplus fort. J'emporte plus fortement les visages. L'intensité est réciproque car,malgré la fatigue et les souffrances, la participation et l'écoute des enfants sontétonnantes. Les contraintes dues au rythme de vie à l'hôpital impliquent, parailleurs, une grande capacité d'adaptation de la part des intervenants, la priorité res-tant aux soins. Il est par exemple toujours très difficile de prévoir à l'avance lesconditions même de l'intervention, l'état d'un enfant pouvant varier d'un jour à l'autre, d'un moment à un autre. Vousattendiez 15 enfants, ils seront 4 ; vous comptiez sur des plus jeunes, c'est un groupe hétérogène qui vient. Raconter à un petit groupe dans la salle de jeux d'unservice médical alors que circulent parents et soignants, qui s'interpellent, viennentchercher un enfant pour un soin... demande une grande concentration. L'in-térêt d'une animation sur la durée est particulièrement évidente dans les hôpitaux de moyen et long séjour ou dans les services d'hospitalisation chronique.

    Au fil des séances du conte par exemple, d'indifférent, voire d'hostile, le personnel est passé à la sympathie et à l'écoute de loin et a fini par s'installer avec les enfants pour suivre les contes. Dans un hôpital comme Raymond-Poincaré où la durée de séjour est assez longue, « le travail en profondeur est essentiel pour coller au plus près des réalités de l'hôpital et de ses spécificités ». Des adolescents y ont par exemple suivi des ateliers d'écriture cinématographique et réalisent actuellement un court-métrage. Ces activités menées régulièrement sont des rendez-vous, des points de repère et poussent à se projeter dans l'avenir. Les animations organisées par la bibliothèque sont à la fois l'occasion de partenariats étroits entre les différents acteurs de l'hôpital et une ouverture indispensable sur le monde extérieur.

    S'intéresser à la lecture dans un lieu spécifique, comme l'hôpital l'est, semble permettre de mieux comprendre son rôle pour un enfant.

    Dans ce lieu où on touche à des questions essentielles, son impact et son importance apparaissent peut-être de manière plus évidente. Développer des réflexions communes et des échanges plus étroits entre tous les partenaires de la lecture publique, dont les bibliothèques d'hôpitaux font partie, est essentiel pour tous.

    (Reproduit avec l'aimable autorisation de la Revue des livres pour enfants.)

    1. Raymond-Poincaré est un hôpital dont un tiers des 643 lits sont occupés par des enfants souvent polyhandicapés, séjournant longtemps et scolarisés sur place dans une école. Robert-Debré et Saint-Vincentde-Paul sont des hôpitaux pour enfants (respectivement 450 et 300 lits), où les durées de séjour varient en fonction des pathologies. Chacun de ces trois hôpitaux dispose d'une médiathèque (Raymond-Poincaré depuis 1982, Robert-Debré depuis sa création en 1988 et Saint-Vincent-de-Paul en cours de création) animée par un ou deux professionnelles avec la participation desquelles cet article a été réalisé . Nathalie Dupuis (Robert-Debré), Isabelle Nicolas, Myriam Revial (Raymond-Poincaré) et Laure Vincent (Saint-Vincent-de-Paul). retour au texte