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    Une certaine affaire Rushdie

    Par Germaine Frigot

    En 1989, précédée de la fameuse fatwa promulguée à l'encontre de Salman Rushdie par l'ayatollah Khomeiny, la version française des Versets sataniques fut l'un des grands succès de librairie. Rapidement, le Bureau des bibliothèques de la Ville de Paris donna des instructions aux responsables des établissements de son réseau spécifiant que le livre incriminé ne devait pas être mis en évidence. En effet, la plupart des blibliothécaires ont coutume d'exposer sur présentoir leurs récentes acquisitions, surtout lorsqu'il s'agit, comme c'était le cas, d'un livre fortement médiatisé.

    Evidemment, le Bureau des bibliothécaires ne s'était nullement converti aux thèses de l'islam pur et dur, il ne cherchait pas à complaire aux intégristes iraniens mais, tout simplement, à préserver - alors que le souvenir des attentats de 1985 était encore vivace - les locaux, le public et le personnel de tout risque éventuel. D'ailleurs, certains membres du personnel s'étant trouvés à proximité de lieux d'explosion en restaient traumatisés et s'opposaient même à l'achat des Versets sataniques.

    On pourrait parler de paranoïa. Néanmoins, si tel était le cas, cette psychose était largement partagée. Rue Bonaparte, la porte des éditions Christian Bourgois, qui avaient fait preuve d'un réel courage en publiant, malgré les menaces reçues, la traduction d'un ouvrage aussi sulfureux, était gardé jour et nuit par des policiers en uniforme et la plaque, jusque là apposée à l'entrée de l'immeuble, avait été dévisée.

    Toutefois, la directive bureaucratique provoqua « un certain sourire » chez les bibliothécaires de terrain. Ceux-ci n'ignoraient pas que pour rendre invisible un document du fonds, il fallait le prêter, donc l'exposer plutôt que de le noyer dans la masse. Le titre n'existant nulle part en exemplaires multiples, impossible de le repérer, à condition de surseoir assez longtemps à l'intercalation des fiches dans les catalogues. Précisons qu'à cette époque l'informatisation n'était pas encore réalisée. Conclusion : On ne saurait penser à tout du moins dans les services centraux.