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Y a-t-il des personnes handicapées dans les bibliothèques ?

1998
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    Y a-t-il des personnes handicapées dans les bibliothèques ?

    Est-il (im)pertinent de se poser la question?

    Par Catherine Desbuquois, Chargé de mission pour l'accès à la lecture des personnes handicapées DLL

    Ayant travaillé dans des bibliothèques publiques pendant presque 15 ans, je n'y ai jamais rencontré de handicapés, à l'exception d'un faux aveugle en quête de lectrices bien voyantes et bienveillantes...

    Les causes de ce constat sont connues : pas d'accessibilité réelle, pas d'accueil spécifique, pas (ou peu) de collections adaptées, pas de liens avec les associations ni les structures spécialisées et, disons-le, peu d'intérêt pour ce public. Mais les handicapés sont-ils mieux traités et accueillis ailleurs ? Les transports en commun, les écoles, les structures professionnelles, les musées, les théâtres, les magasins, etc. sont-ils mieux adaptés ?

    Les places de stationnement réservées aux GIG/GIC (grands infirmes de guerre/grands infirmes civils) sont-elles effectivement disponibles ? Les lois sur l'accessibilité des bâtiments publics et l'insertion professionnelle des handicapés sont-elles appliquées ?

    Et d'abord, que veut dire « handicapés » ?

    On peut dire des personnes âgées laissées debout dans le métro, des parents encombrés d'une poussette et qui ne peuvent pas accéder au passage piétons du fait du stationnement abusif, des accidentés provisoirement plâtrés qui sautillent pour monter dans le bus, des myopes sans lunettes, incapables de déchiffrer les panneaux de correspondance dans le métro (la nouvelle signalétique est esthétique et... illisible), des étrangers allophones, des asthmatiques qui habitent dans des immeubles sans ascenseur... qu'ils sont handicapés. On devient handicapé dans une situation précise, et on ne l'est plus à d'autres moments. Une personne handicapée est empêchée de faire quelque chose dans un contexte particulier (étant entendu que l'on ne parle pas ici de handicap mental).

    Si ce contexte change, si l'on peut pallier la déficience par des moyens techniques, ou simplement humains, le handicap disparaît : on parle alors de compensation du handicap.

    En d'autres termes, on devrait employer le mot « handicap dans un sens positif : celui de handicap de « situation Ayant adopté ce point de vue, nous devrions ainsi être capables de rendre la vie quotidienne plus facile à bon nombre de personnes, et devenir plus aptes à aborder le handicap dans notre activité professionnelle.

    Accueillir des handicapés suppose que l'on aille les chercher, que l'on réussisse à les faire entrer et circuler dans la bibliothèque, et que l'on soit en mesure de répondre à leurs attentes.

    Mais n'en est-il pas de même pour le public ? L'information, la publicité, la qualité de l'accueil, l'organisation des espaces et des collections ne sont-elles pas au coeur de l'activité d'une bibliothèque ? Les bibliothécaires qui se sont intéressés à ce sujet sont unanimes : la réflexion, la conception et l'amélioration de l'accueil des handicapés rejaillissent positivement sur l'ensemble de l'établissement. Pourquoi ?

    Un bibliothécaire qui reçoit une formation sur la langue des signes, l'accompagnement d'un aveugle ou la reconnaissance de la dyslexie (particulièrement paralysante devant un catalogue ou un classement décimal) est plus attentif aux difficultés que rencontre le public, à ses besoins, et plus tolérant en cas de réclamations.

    Un architecte convaincu de la nécessité de construire une rampe d'accès en pente douce, de ménager de bonnes circulations, d'éclairer les espaces de manière contrastée et différenciée, de réaliser une signalétique lisible travaille pour l'ensemble du public, et pas seulement pour les personnes en fauteuil roulant, ou pour des malvoyants.

    Un directeur d'établissement qui décloisonne la bibliothèque en l'ouvrant sur des associations spécialisées, donc à des publics particuliers, contribue à une vie sociale un peu plus harmonieuse.

    Mais, objectera-t-on, il faut de la place, des mètres carrés, des moyens techniques et humains des budgets... Oui, il faut tout cela. Et plus encore : il faut transformer son regard, surmonter son appréhension, et même quelquefois son premier mouvement de recul.

    Il n'est pas rare qu'un aveugle demeure au bord du trottoir de longues minutes dans l'attente qu'on l'aide à traverser. Et quand une bonne volonté se présente, son ignorance peut être source de maladresse et entraver l'aveugle plus qu'elle ne l'aide. Celui qui connaît un infirme moteur cérébral, un aveugle, un sourd profond sait quels gestes et quelles attitudes conviennent. Il lui est aisé de dépasser la déficience et de ne considérer que la personne.

    Vignette de l'image.Illustration
    Orientation bibliographique

    Les bibliothécaires sont confrontés à tous types de publics, ils doivent apprendre comment il convient de réagir et dans quelles circonstances. Mais, objectera-t-on encore, nous ne sommes pas des travailleurs sociaux. Et puis nous sommes au service du plus grand nombre et nous ne faisons aucune différence de traitement : que les personnes handicapées s'intègrent et qu'elles soient autonomes et nous les accueillerons comme tout un chacun.

    Encore faudrait-il qu'elles parviennent à trouver le chemin et à se faire entendre. Il ne s'agit pas ici de donner des leçons, encore moins de moraliser. Mais il se trouve que je travaille en relation avec des personnes dont l'énergie et la volonté de vivre en dépit des difficultés sont très stimulantes. Je connais des personnes sourdes, aveugles, paraplégiques ; je travaille avec des associations spécialisées tout aussi professionnelles que les nôtres. Je sais quelles attentes sont les leurs et aussi quelle lucidité les tempère...

    Merci donc à P. Caldo, D. Siegrist, G.R. Jabalot, M. Duchateau... et les autres pour leur contribution (involontaire) à ce texte.