Georges Bataille a dirigé la bibliothèque municipale d'Orléans de 1951 à 1962. Cette ultime période de sa vie coïncide avec un intense moment d'activité intellectuelle et d'écriture. C'est à Orléans que furent écrits quelques-uns de ses livres les plus importants.
L'association « Chantiers forte du succès des rencontres Bataille après tout tenues en 1993, a organisé les 22 et 23 novembre dernier un colloque «Bataille / Leiris, l'intenable assentiment au monde dont Francis Marmande était le commissaire général. Souligner l'amitié qui lia Bataille et Leiris, c'est à la fois entrer dans l'histoire intellectuelle de notre temps et marquer « la singularité de deux figures irrégulières du siècle
La Ville d'Orléans a demandé à Michel Surya, biographe de Bataille, de concevoir une exposition dans un lieu fréquenté par un large public : la médiathèque. Mais comment mettre un écrivain aussi singulier et multiforme que Bataille en exposition ?
Dans l'avant-propos du projet, Michel Surya écrit : « nous avons rejeté l'idée d'une illustration exhaustive, ni même plus modestement représentative, de ce que furent la vie et l'oeuvre de Georges Bataille. De telles expositions (lesquelles forment l'ordinaire du genre) ne suscitent le plus souvent que l'ennui. Qui plus est, il n'est qu'exceptionnellement possible d'en retenir davantage qu'un fatras d'informations incoordonnées. Le plus souvent, ce n'est qu'en vain que ce genre d'expositions cherche à rivaliser avec ce que peuvent seuls les livres'.
Une exposition exige des messages ennombre limité ; pour celle-ci nous avons pris le parti de donner à voir quelques-unesdes images que Bataille a lui-même formées, de donner à percevoir à quel point ces images ont produit un renversement considérable de la «représentation et nous avons demandé à Stany Cambot, scénographe, « d'ériger la vision en principe organisateur de cette "mise en scène" de Georges Bataille
L'exposition Georges Bataille, une liberté souveraine, du 20 novembre 1997 au 31 janvier 1998, s'articule autour de trois parties en trois lieux dans la médiathèque.
L'image a joué un rôle essentiel dans la formation de Bataille, depuis ce père aveugle qui ne le voyait pas, jusqu'à la création de Documents, revue d'art dans laquelle Bataille remet en cause les fondements de l'esthétique.
Dans cette première salle, nous avons cherché à donnera voir quelques-unes des visions qu'a eues Bataille ». Les visiteurs découvrent des images pour la plupart connues de Bataille lui-même : illustrations de Masson et de Bellmer pour ses textes, photographies choisies par Bataille pour les revues qu'il dirigeait, photographies du supplice des cents morceaux : images fortes, choquantes parfois. La mise en espace privilégie le regard individuel, intime. Les photographies sont vues par chaque visiteur, isolément, chacun étant renvoyé à la solitude et à «l'expérience intérieure» dont elles sont nées. L'ambition est aussi, au moyen d'extraits de textes cités, de donner à entendre la voix si singulière de Bataille.
Bataille formait le projet d'écrire une histoire universelle basée sur les savoirs et les pratiques les plus divers. De ce projet, les tomes successifs de la Part maudite, l'Érotisme, Lascaux, Théorie de la religion, Les larmes d'Éros forment des «chutes» essentielles.
Michel Surya a choisi d'en tirer les éléments d'une représentation générale, selon le principe, une citation (presque un concept) / une image. A la différence de la première salle où les images que nous montrons ont presque toutes été vues par Bataille lui-même, dans cette seconde salle c'est nous qui avons « illustré des phrases de Bataille, supposant que les images soient l'équivalence des textes.
L'exposition forme une invitation à lire les textes. Dans cette dernière salle les visiteurs sont conviés à consulter ou à prendre le temps de lire sur place les oeuvres deBataille et les écrits qui lui sont consa-crés.
Autour de l'exposition, plusieurs rencontres ont permis au public, par des regards divers, d'approcher l'oeuvre de Bataille. André S. Labarthe a présenté son film Bataille à perte de vue (un siècle d'écrivain). Michel Surya a montré comment la correspondance Choix de lettres 1917-1962, éditée chez Gallimard en 1997, tout en étant l'exact pendant de l'oeuvre, reste en retrait par rapport à l'oeuvre. Sylvie Patron a mis en parallèle la revue Critique et La Part maudite. Tandis que Daniel Dobbels a évoqué "l'indifférence cinglante», la façon dont Bataille a pensé la fin de l'éloquence en peinture, en particulier avec la publication de Manet en 1955, l'indifférence suprême, vecteur de transgression.
Pour la médiathèque, ouverte en 1994, l'exposition «Georges Bataille, une liberté souveraine» est la première manifestation culturelle de cette importance : occasion d'un projet mené avec un écrivain, d'une collaboration étroite avec d'autres institutions de la ville, d'échanges avec l'association «Chantiers .
Au-delà de l'événement ponctuel, il s'agit, par la constitution et la mise en valeur d'un fonds spécialisé, de mieux faire connaître l'oeuvre de Georges Bataille et des auteurs qui s'en réclament et d'affirmer que parmi tous les enjeux d'une médiathèque, il y a aussi celui de participer à la diffusion de la création contemporaine.
0 Livre-catalogue de l'exposition Georges Bataille, une liberté souveraine, présenté par Michel Surya.- Paris, Fourbis, 1997, coédité avec la Ville d'Orléans. Outre une iconographie importante, il rassemble des textes de Bataille non repris dans l'édition des oeuvres complètes et des inédits : témoignages originaux, transcriptions d'entretiens radiophoniques et d'un entretien télévisuel de Bataille.