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    Les documents@listes et internet?

    Par Jean Michel, Conseiller du Directeur , consultant en management de l'information-documentation, ancien président de l'ADBS. École nationaledes ponts et chaussées

    Depuis 5 ans, Internet s'impose au monde de la documentation comme une source d'information de première importance et comme un outil de travail incontournable. Internet transforme en profondeur les pratiques professionnelles du secteur de l'informationdocumentation (ID) au point d'engendrer de réels problèmes aux structures documentaires traditionnelles qui tardent à y venir. Internet présente notamment le grand intérêt d'obliger le professionnel de l'ID à redéfinir sa mission, à repenser sa fonction de médiation entre : d'une part, des sources d'information de plus en plus ouvertes, mondiales et surtout surabondantes et, d'autre part, des « demandeurs-utilisateurs «d'information de plus en plus autonomes dans leurs pratiques informationnelles. Internet est l'occasion inespérée pour les documentalistes de se positionner de façon plus claire dans la chaîne de création de valeur ajoutée autour de l'information, de sa production, de sa diffusion et de son exploitation.

    Dans le présent article, on se propose de montrer en quoi les composantes fonctionnelles, les outils et les ressources d'Internet modifient les pratiques des documentalistes et de cerner quelques perspectives d'évolution des pratiques professionnelles.

    Internet, en bref

    On peut définir Internet comme un système de médiation informationnelle et documentaire dont les diverses fonctionnalités recouvrent assez logiquement les traditionnelles modalités de production, de présentation, de dissémination et d'exploitation de l'information. Toutefois, et contrairement aux moyens documentaires classiques que sont par exemple les bases de données développées dans les années 70-90, Internet est bien plus qu'un simple outil et surtout n'est pas un système réservé exclusivement aux seules structures documentaires. Internet s'est développé surtout dans les milieux scientifiques, puis académiques, avec l'objectif de mieux faire circuler l'information utile et de pouvoir partager des ressources de diverses natures. Internet est fondamentalement un système de communication à vocation universelle qui permet à tout un chacun de produire ou consulter des informations. Système qui interconnecte les ordinateurs les plus variés, Internet intègre cette communication médiatisée dans les pratiques quotidiennes de chacun, s'articule de façon souple avec les outils bureautiques disponibles et permet d'amener l'information et le document au coeur même des activités des hommes et des organisations (du bureau d'études de l'ingénieur au laboratoire du chercheur, du cabinet du médecin à la salle de classe, de l'entreprise au domicile du citoyen).

    À partir du protocole de communication TCP/IP qui facilite l'interconnexion des ordinateurs, Internet s'est développé sous la forme de diverses grandes fonctionnalités axées sur la satisfaction de besoins génériques de communication des hommes. Ainsi dispose-t-on de moyens commodes pour échanger des messages, pour transférer des fichiers, pour produire et diffuser des documents numériques, pour consulter des ressources disponibles sur l'ensemble de la « toile », pour travailler à distance sur des machines dont on partage la puissance. Cette première couche de fonctionnalités de base en engendre de nouvelles au fur et à mesure de l'extension des usages d'Internet : c'est le cas par exemple des groupes de « news » ou des listes de diffusion électroniques qui donnent une dimension collective à la communication. Et tout cela se développe dans le contexte de la généralisation du document numérique indéfiniment transformable, réexploitable (au grand dam des titulaires de droits originels) et de la production-diffusion du document multimédia ou hypermédia redonnant sa réelle complexité à l'information qui ne peut pas se limiter à sa seule dimension textuelle.

    Les documentalistes, leur mission et leurs fonctions

    On pourrait immédiatement déduire de la présentation ci-dessus qu'Internet remplit parfaitement les fonctions des documentalistes. Il est du reste frappant de constater que nombre de développements d'Internet tente d'apporter des solutions aux problèmes que se posent depuis longtemps les professionnels de l'ID : ainsi, les moteurs de recherche identifient des ressources pertinentes sur la base de questions formulées sous la forme de chaînes de caractères et combinant des opérateurs booléens. On en vient logiquement à se poser la question de savoir dans quelle mesure la mission et les fonctions des documentalistes sont aujourd'hui remplies (en totalité ou en partie) par Internet et à s'interroger sur ce qui fait la spécificité de l'intervention des documentalistes dans ce nouveau contexte.

    Si l'on prend un peu de distance par rapport aux outils et aux pratiques professionnelles constatées (notamment au cours des deux dernières décennies) et si l'on s'intéresse aux « fondamentaux » de l'intervention des documentalistes, on arrive vite à la conclusion que la mission de base de ces professionnels est d'assurer une médiation dans l'accès à l'information et au document. Il s'agit d'aider des chercheurs, des ingénieurs, des médecins, des juristes, des responsables administratifs ou économiques... à obtenir au bon moment des informations pertinentes leur permettant de travailler efficacement, à prendre des décisions étayées par des argumentations valables, à consolider des identités culturelles, etc. Les ressources mises à disposition vont de la pure information très immatérielle (ce qui s'exprime en termes de veille ou d'intelligence économique) au très classique document (livre, article de journal, rapport technique, etc.). Cette transmission de ressources d'ID peut viser des cibles individuelles (sur profils préétablis notamment) comme des groupes variés dans les organisations. La fourniture de telles ressources peut être faite en mode « push » (on envoie ces ressources aux clients ou utilisateurs selon des modalités appropriées) ou en mode « pull » (ce sont les clients qui viennent chercher les ressources pertinentes dans des viviers préalablement constitués). Cette mission de médiation peut être exercée par un professionnel individuel, intégré ou non aux organisations « clientes », ou par une structure documentaire spécifique satisfaisant des besoins plus nettement collectifs.

    Il est possible d'identifier plusieurs composantes fonctionnelles de cette mission de médiation ID :

    • fournir très précisément des informations pertinentes en réponse aux demandes ou attentes des clients ou utilisateurs ;
    • fournir des documents qui permettent aux clients de procéder eux-mêmes à leurs investigations sur des sujets donnés ;
    • fournir des indications utiles permettant l'accès aux ressources pertinentes ; grosso modo établir les cartes routières qui permettent aux clients de se débrouiller par eux-mêmes pour leurs visites des territoires info-documentaires ;
    • et dans certaines circonstances, mettre directement en relation les clients avec les sources émettrices.

    Pour assurer ces fonctions et remplir la mission de médiation, les documentalistes doivent savoir identifier les besoins de leurs clients, connaître les territoires et ressources ID, assurer la communication des informations et des documents et gérer un ensemble de moyens propres permettant de réaliser les diverses opérations (un stock de ressources documentaires de proximité, des flux informationnels à organiser, des outils techniques efficaces, des procédures, etc.).

    Internet dans les pratiques actuelles des documentalistes

    On comprend assez vite qu'Internet va considérablement aider les documentalistes à assurer de façon renouvelée leur mission de médiation et développer leurs fonctions avec des produits et services appropriés. Examinons quelques-unes des fonctionnalités d'Internet et regardons comment les documentalistes les ont intégrées dans leur fonctionnement au quotidien (on ne détaillera pas toutes les possibilités offertes, ce qui nécessiterait aujourd'hui d'écrire un livre complet sur le sujet).

    La messagerie électronique

    Outil de communication professionnel idéal, la messagerie électronique raccourcit le lien avec les clients et les utilisateurs, stimule la médiation info-documentaire, peut amplifier (à volonté) soit la personnalisation des services rendus soit au contraire l'extension collective de ces services (ce qui peut accélérer certains progrès dans les organisations concernées). La messagerie électronique facilite aussi le lien transversal entre collègues documentalistes, ce qui permet à de vastes communautés professionnelles de se constituer en véritables réseaux de ressources aisément mobilisables pour satisfaire les besoins des clients. La messagerie électronique a par ailleurs de multiples avantages : simplicité et rapidité de fonctionnement, coût relativement bas, traçabi-lité des opérations, contacts plus directs entre les personnes, possibilité de cibler des individus comme des groupes.

    En matière de services nouveaux rendus possibles par la messagerie électronique, on peut citer la diffusion sélective, périodique ou non, d'informations profilées (aisément récupérables par les clients sur leurs ordinateurs), la diffusion de revues de presse électroniques (quotidiennes ou hebdomadaires), les alertes de toutes natures (nouvelles parutions par exemple), les échanges d'informations utiles entre clients et documentalistes (identification de sources pertinentes, validation de ces sources, etc.).

    De plus en plus, la messagerie électronique sert de vecteur privilégié au transfert de fichiers (documents de toutes natures), ce qui permet d'amener dans des conditions très satisfaisantes les textes pertinents aux clients. On peut évoquer aussi ici la fonctionnalité FTP (File Transfer Protocol) qui, bien que ne relevant de la logique de la messagerie électronique, est utilisée par certains documentalistes pour le transfert de documents ou dossiers importants, relativement lourds ou complexes.

    Les listes de diffusion électronique

    Les milieux bibliothécaires et documentalistes français ont depuis plusieurs années l'habitude de telles listes de diffusion qui sont assez largement plébiscitées : bibliofr, adbs-info. Ces listes généralistes et très ouvertes, suivies par plusieurs milliers de professionnels, servent principalement de forums collectifs pour l'échange de tuyaux professionnels, ce qui, indirectement, contribue au développement des professions concernées.

    Dans les entreprises ou organisations, des listes de diffusion électronique sont désormais constituées et animées par les documentalistes de façon à créer des communautés d'échange avec leurs clients sur des thématiques données. Ces listes, restreintes ou au contraire très larges, facilitent la diffusion collective de l'information utile et améliorent le lien entre les documentalistes et leurs clients. L'animation de telles listes par les documentalistes leur permet par ailleurs de capitaliser ce qui est échangé (archives) et de constituer de véritables bases de ressources utiles qui peuvent aussi être mises à la disposition de divers groupes de clients sur les sites Internet ou Intranet des organisations concernées.

    La consultation et l'exploitation des ressources de la « toile »

    Les documentalistes sont bien sûr très directement concernés par l'explosion des ressources disponibles sur Internet. Il est évident qu'Internet (notamment la toile ou le Web) devient la source principale d'information, même si les professionnels sont amenés à se poser de légitimes questions sur la qualité de ce que l'on y trouve. Les documentalistes développent des stratégies les plus variées d'utilisation de ces ressources électroniques : investigations ponctuelles par le biais des moteurs de recherche, consultations régulières de sites préchoisis, exploitations occasionnelles sur la base d'indications données ici ou là (via les listes de diffusion notamment), recherche des sites de confiance, etc.

    Une des principales retombées de cette prolifération des pages ou sites Web est d'amener les documentalistes à renforcer ou à développer une importante fonction : celle qui consiste à cartographier les nouveaux territoires des ressources info-documentaires disponibles sur Internet. Il faut désormais savoir constituer et structurer, pour soi d'abord, mais aussi pour ses divers groupes de clients, des répertoires de signets ou favoris. Les documentalistes, désormais cartographes de l'ID, doivent aussi être en mesure de sélectionner, d'authentifier, de valider les sources ou ressources identifiées ; cette fonction de validation prend désormais le pas sur la traditionnelle - et parfois exclusive - fonction de fourniture de l'information ou d'accès au document qui devient très aisée dans le contexte d'Internet.

    La production de pages, sites Internet ou Intranet

    De nouvelles démarches ou pratiques éditoriales sont développées par les documentalistes, qui doivent désormais mettre à disposition l'information pertinente auprès de groupes de clientèles variés, selon les nouvelles modalités permises par le Web. Qu'il s'agisse de sites Internet ouverts sur l'extérieur des organisations ou, plus fréquemment désormais, de sites Intranet visant des cibles internes précises, les documentalistes sont conduits à produire de tels outils de diffusion de l'information.

    Cela commence bien sûr par la mise à disposition de tout un chacun des ressources accumulées par les structures documentaires : en gros, les pages de la documentation sur le site de l'entreprise, ou organisation avec la possibilité d'obtenir les documents disponibles ou les prestations de service annoncées. Mais très vite, la question se pose du rôle de la documentation et des documentalistes dans la conception, production et maintenance de l'Intranet de l'organisation. Au fond, l'Intranet est le système d'information interne qui met à disposition de tous les membres de l'entreprise toutes les informations ou tous les documents utiles. La structure documentaire : les documentalistes y sont forcément impliqués, soit comme leader du projet Intranet, soit comme partie prenante à part entière.

    De nouvelles perspectives pour les documentalistes

    Internet semble bousculer aujourd'hui les habitudes prises par les documentalistes dans les années 70-90, pendant lesquelles le métier a eu parfois tendance à se concentrer sur la seule production de notices documentaires pour alimenter la ou les bases de données (approche purement manufacturière de la profession). Internet concurrence désormais directement les documentalistes dans les fondamentaux de leur mission. Essayons de faire le point sur les évolutions perceptibles et de voir en quoi les documentalistes ont quelque chose à apporter de spécifique dans ce nouveau contexte.

    Il est intéressant de souligner d'emblée que des fonctions classiques des documentalistes sont plus que jamais à l'ordre du jour grâce ou à cause d'Internet :

    • identifier les besoins des clients et aider à la reformulation opératoire de ceux-ci : s'il est évident que tout individu est désormais en mesure de consulter directement Internet, les documentalistes en contexte professionnel apportent un plus dans la mesure où la recherche de la pertinence devient cruciale face à l'explosion des sources disponibles sur Internet et que savoir poser correctement sa question devient déterminant pour avoir de bonnes réponses ;
    • connaître justement les sources pertinentes et identifier ce qui a de la valeur ;
    • pouvoir acquérir des ressources (informations, documents) et les mettre à disposition des clients dans des conditions toujours plus exigeantes.

    Dès lors, de nouvelles compétences sont nécessaires et de nouvelles fonctions émergent :

    • savoir authentifier et valider des sources et des ressources : la question de la pertinence et de la confiance devient primordiale dans l'environnement Internet;
    • savoir cartographier les nouveaux territoires infodocumentaires , établir les routes donnant accès aux ressources intéressantes, mettre sur pied les dispositifs de balisage appropriés ;
    • savoir s'affranchir des subtilités de formats techniques, pouvoir manipuler les documents numériques de telle façon qu'on puisse les mettre à disposition des clients quelles que soient leurs plates-formes de travail ;
    • être en mesure d'assurer de nouvelles opérations de stockage, d'archivage et de capitalisation active de ce qui a déjà été perçu comme pertinent et utile, avec l'idée de manoeuvre, de pouvoir réexploiter cet acquis ;
    • concevoir, créer, réaliser de nouveaux produits et services d'ID qui mettent en valeur les potentialités d'Internet, satisfont les clients et valorisent les compétences des documentalistes ;
    • accompagner les clients dans leur propre maîtrise des fonctionnalités et ressources d'Internet, les sensibiliser et les former, en faire de véritables partenaires dans la démarche informationnelle tant individuelle que collective ;
    • organiser de nouveaux réseaux d'accès à (ou de diffusion de) l'information, la documentation et la connaissance.

    Internet est un phénomène étonnant, intéressant mais très perturbateur pour une profession qui se plaît parfois à travailler dans le cadre de schémas et procédures bien établis. Il a l'avantage de produire cette nécessaire onde de choc déstabilisante sans laquelle on finit par s'endormir, se satisfaire de formules éculées mais au fond de moins en moins pertinentes. Internet est à la documentation ce que l'arrivée de la calculette a été pour la règle à calcul. Dès lors, il ne sert à rien de diaboliser Internet mais il faut au contraire faire l'effort de comprendre en quoi consiste fondamentalement Internet, de repenser dans ce contexte la mission et les fonctions de la documentation et d'oser imaginer de nouveaux possibles professionnels.

    Le documentaliste devient donc document@liste, c'est-à-dire un professionnel de l'information-documentation qui sait utiliser au mieux les ressources d'Internet, mais aussi, et de façon schématique ou symbolique, un professionnel qui sait identifier et référencer un document sur une liste de possibilités (démarche de cartographie documentaire) pour satisfaire le besoin en information de ses clients. .