Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Droit d'auteur et copyright

    Où en est-on?

    Par Françoise Danset, Responsable de la Commission Coopération et développement de l'ABF
    Par Claudine Belayche, Présidente de l'ABF

    Bibliothèques, droit d'auteur et droits voisins

    Aujourd'hui les bibliothèques françaises, comme les bibliothèques du monde entier, se trouvent confrontées au problème de la reconnaissance et du versement de différents droits, qu'il importe de bien analyser.

    1 Le droit de prêt

    La directive 92/100/CEE du Conseil des communautés européennes du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle prévoit le droit d'autoriser ou d'interdire le prêt ou la location des oeuvres et d'en obtenir une rémunération équitable.

    L'article 5-3 indique que les États membres peuvent exempter certaines catégories d'établissements du paiement de ce droit.

    La France n'a jusqu'à présent pas transposé cette directive, arguant du fait que le droit d'exclusivité se trouve déjà dans la loi de 1957 sur la propriété intellectuelle.

    Cependant, le Syndicat national de l'édition ainsi que plusieurs sociétés d'auteurs français ont fait campagne pour l'application de la directive en France, donnant pour argument que les emprunts de livres en bibliothèque ont augmenté ces dernières années, tandis que les ventes de livres dans certains secteurs de l'édition étaient en baisse.

    Les bibliothécaires, appuyés, il faut le rappeler, par un certain nombre d'éditeurs et d'auteurs, font campagne pour l'adoption de l'article 5 de la directive permettant que les bibliothèques de lecture publique et de l'enseignement soient exemptées de la perception du droit de prêt. Ils avancent comme argument : le rôle culturel et social des bibliothèques, les moyens financiers limités des collectivités locales, le prix d'achat trop élevé des livres pour une grande partie de la population, les missions de conservation ainsi que le rôle de médiateur, voire de véritable vitrine de l'édition que jouent les bibliothèques, le faible nombre de librairies, l'aide élevée déjà versée par l'État aux auteurs et aux éditeurs via le Centre national du livre.

    Le ministre de la Culture et de la Communication a confié à M. Borzeix le soin d'élaborer un rapport sur la question du droit de prêt dans les bibliothèques. Ce rapport a été remis en juillet 1998 et rendu public (1) .

    M. Borzeix propose en première partie de son rapport une analyse intéressante du rôle et des missions des bibliothèques, dont il montre toute la complexité. Il souligne l'existence d'une sorte d'équilibre entre les divers métiers de la chaîne du livre.

    Suite à cette analyse, la conclusion de M. Borzeix aurait pu être en faveur de l'adoption par la France d'une exemption du droit de prêt dans les bibliothèques, comme l'ont fait à ce jour les pays du Sud de l'Europe.

    Cependant M. Borzeix préconise ce qu'il persiste à appeler un droit de prêt, à un tarif modique de 10 à 20 F par an par emprunteur adulte, ce qui serait en fait une taxe sur les acquisitions des bibliothèques puisque les auteurs (pour 70 °/o du produit de la taxe) et les éditeurs bénéficiaires seraient identifiés par le biais des listes d'acquisitions des bibliothèques.

    On évoque pour établir ce droit le sacro-saint droit de la propriété intellectuelle, que par ailleurs les bibliothécaires, considérant que leur travail de promotion et de conservation du livre représente en définitive une formidable valeur ajoutée à l'oeuvre elle-même, n'ont jamais contesté.

    En revanche, le rapport est particulièrement discret sur le mécanisme de la collecte et de la répartition de la taxe (entre 40 et 80 MF), mécanisme qui devra faire une équation convenable entre environ 15 000 auteurs, 3 000 éditeurs et les acquisitions des quelque 3 500 bibliothèques (plus les 5 000 bibliothèques relais des bibliothèques départementales).

    Aujourd'hui, la balle est dans le camp du législateur, qui devra auparavant régler les points juridiques et convaincre les élus locaux, très réservés sur la perception d'une nouvelle taxe, et encore plus réservés sur le fait qu'elle pourrait en définitive retomber sur le poids des finances locales. Élus locaux qui pour certains osent encore défendre cette notion qui semble démodée de l'accès libre et gratuit à un service public de l'information et de la culture.

    2 Le droit de photocopie

    La loi française du 3 janvier 1995 relative à la gestion collective du droit de reproduction par reprographie régit actuellement le droit de copie.

    Cette loi remet à une société de collecte agréée par le ministère de la Culture le soin de percevoir des droits sur toute reprographie d'une oeuvre, sous forme de copie sur papier ou support assimilé par une technique photographique.

    Le Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC) décide des tarifs dont les derniers sont applicables depuis le 1er janvier 1998.

    Ces tarifs, annoncés comme étant d'une lecture claire et d'une mise en oeuvre aisée, sont en fait très complexes, distinguant 14 catégories de documents, et irraisonnablement élevés, puisque allant de 0,20 F à 5 F la page. Ils sont aujourd'hui unanimement décriés et leur application devrait à l'évidence être révisée.

    Même si le principe d'une perception de droits ne peut être remis en cause, il faudrait se diriger vers des solutions prévoyant des tarifs forfaitaires négociés au niveau national, et en ce qui concerne les service publics, par les administrations de tutelle.

    3 Les droits liés à la consultation des documents électroniques

    Les nouveaux modes de transmission et d'utilisation du document que permet leur numérisation bouleversent le paysage de la documentation. Aux termes des nouvelles réglementations, on s'achemine vers la perception de revenus liés non plus ou non seulement à la vente d'un document, mais à son utilisation.

    Ainsi, tout acte lié à la transmission électronique et à la visualisation sous différentes formes, et en particulier sur écran, serait assimilé à un acte de copie ou de représentation, donc soumis à des droits.

    Le deuxième traité de l'OMPI, Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur le droit d'auteur, signé à Genève en décembre 1996, réaffirme l'importance que revêt la protection des documents au titre du droit d'auteur qui s'étend à tous les modes d'expression de l'oeuvre.

    Cependant, il reconnaît clairement qu'il faut préserver un équilibre entre la propriété intellectuelle et l'intérêt public général, notamment en matière d'enseignement, de recherche et d'accès à l'information.

    Il prévoit que les législations nationales peuvent mettre en place des limitations ou des exceptions ne portant pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre, en particulier dans les bibliothèques.

    Par ailleurs, la Commission européenne prépare une Directive sur l'harmonisation de certains aspects des droits d'auteurs et des droits voisins dans la société de l'information, présentée par la DG XV, qui dans sa rédaction actuelle assimile sans ambiguïté tout acte de transmission et de simple visualisation d'un document électronique à un acte de copie, ou de prêt, ou de communication au public, donc soumis dans tous les cas à perception de droits. Et qui refuse le principe général d'exemption pour les bibliothèques.

    Position plus dure que celle du deuxième traité de la Convention de Berne, car elle contribuerait à aligner le droit d'auteur sur les droits voisins, et parce qu'elle repose avant tout sur une analyse commerciale.

    Ceci obligerait toute bibliothèque utilisant des documents électroniques à établir des contrats avec leurs fournisseurs et à verser des droits, basés sur un paiement à l'acte de lecture, qui pourraient être difficilement supportables pour les budgets des établissements ou des usagers.

    Les éditeurs - et en particulier les grands groupes d'édition - ont pesé de tout leur poids dans ce projet, peut-être cherchent-ils, dans certains cas, à écarter les bibliothèques de la fourniture de documents électroniques, indiquant qu'elles deviennent des concurrents commerciaux, et que le rôle primordial que l'on devrait désormais leur reconnaître est un rôle de conservation.

    Cette conception a été défendue à plusieurs reprises : Congrès international des éditeurs, Barcelone, juin 1996 ; débats sur la révision de la Convention de Berne, Genève, décembre 1996 Congrès de l'ABF, Bordeaux, juin 1997 ; réunion Imprimatur, Amsterdam, octobre 1997; Séminaire EBLIDA, Copenhague, février 1998.

    Les associations de bibliothécaires, mais aussi de chercheurs et de consommateurs, se sont largement mobilisées au niveau européen et international pour faire reconnaître d'une manière forte que l'accès public à l'information et à la culture tel qu'il est aujourd'hui proposé dans les bibliothèques ne saurait être remis en cause pour la seule cause de monopoles commerciaux maquillés en défense de la propriété intellectuelle.

    Certes, la création littéraire et artistique doit être protégée, elle ne peut l'être au détriment de droits fondamentaux inscrits dans toutes les constitutions.

    Des propositions d'amendements ont été faites à cette proposition de directive, rédigées par EBLIDA: la fédération des associations européennes qui travaille assidûment à faire entendre la voix des professionnels auprès de la Commission européenne.

    Elles visent à réintroduire le principe d'équilibre entre la protection des ayants droit et d'autres valeurs de la société tels que le droit à l'éducation et à l'information, à réintroduire la notion de droit à la reproduction pour usage privé ou pour archivage. Enfin elles militent pour l'élargissement des cas d'exemption de droits dans les établissements qui ne visent pas essentiellement des avantages commerciaux.

    Aujourd'hui, le projet de directive effectue les va-et-vient de rigueur entre le Parlement européen et les différentes Commissions concernées : affaires juridiques, affaires culturelles, groupes politiques.

    Il faut noter que la position de la France, représentée par le ministère de la Culture et de la Communication, est particulièrement proche de la défense des ayants droit, et à l'inverse particulièrement dure à l'encontre du droit de l'accès public à l'information.

    Par ailleurs, le Parlement européen vient d'adopter à l'unanimité moins une voix, un rapport sur Le rôle des bibliothèques dans la société moderne, présenté par Mme Ryynanen de la Commission de la culture, de la jeunesse, de l'éducation et des média (2) .

    Ce rapport vise à relancer le débat sur le rôle des bibliothèques, au moment même où se prépare la directive sur les droits d'auteur.

    // rappelle que la mission des bibliothèques est d'acquérir, d'organiser, de mettre à la disposition du public et de conserver les sources disponibles sous quelque forme que ce soit, de sorte que celles-ci soient accessibles et puissent être utilisées. Aucune autre institution ne réalise ce travail systématique et de longue haleine.

    4 Les droits spécifiques aux documents audiovisuels

    Le Code la de la propriété intellectuelle reconnaît aux auteurs le droit exclusif d'exploiter leurs oeuvres.

    La SACEM est l'organisme agréé par le ministère de la Culture et de la Communication pour gérer les droits des auteurs et éditeurs de musique de percevoir et de répartir les sommes qui leur sont dues pour toute forme d'utilisation d'une oeuvre, après perception de ces sommes.

    En ce qui concerne les bibliothèques, la SACEM procède actuellement par prélèvement de droits forfaitaires qui ne tiennent pas compte des particularités de l'oeuvre, selon des tarifs décidés unilatéralement et qui ne semblent pas établis officiellement et nationalement.

    Ces forfaits s'appliquent à la sonorisation des établissements, aux accès télévision, aux casques d'écoute individuels, qui sont des points indiscutables d'accès sonore hors du cercle familial..

    Ils devraient s'appliquer aussi aux accès Internet, et aux accès vidéo et multimédia (3) .

    Ce que conteste la profession des bibliothécaires : en effet peu d'accès Internet sont utilisés avec une sonorisation, beaucoup de cédéroms, en particulier les cédéroms professionnels, ne comportent pas de musique, et les droits sur les vidéos sont perçus à la source au moment de l'acquisition des documents.

    Sur ce dernier point, il y a un grave litige avec les fournisseurs de vidéo qui disent déjà payer les droits aux éditeurs et la SACEM qui affirme qu'il ne s'agit pas des droits musicaux dont elle est le seul représentant.

    Pendant ce temps, les bibliothèques paient, et pour certaines fort cher, des sommes qui risquent d'être le plus souvent prélevées sur les budgets d'acquisition. Certaines refusent, se mettant dans leur tort.

    Il est, semble-t-il, temps de négocier au plus haut niveau et non établissement par établissement, du champ exact d'intervention de la SACEM, ainsi que des tarifs qui sont imposés aux bibliothèques.

    Devant la multiplication des exigences présentées aujourd'hui par les éditeurs et par les ayants droit au niveau national et international, les bibliothèques et services de documentation français, qui ont par ailleurs toujours respecté le Code de la propriété intellectuelle, demandent que la législation française, en conformité avec les principes réaffirmés par le deuxième traité de la Convention de Berne, de respect d'un juste équilibre entre le droit des auteurs et le droit des usagers, en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme du respect du droit de tous à l'information, adopte un dispositif légal d'exception pour les bibliothèques à vocation de lecture publique, d'enseignement et de recherche, de perception de droits de prêt et de droits, autres que des droits fixes d'acquisition et d'accès au document, dans le cas des documents électroniques. (4)

    Cadre juridique national

    Loi du 11 mars 1957 sur la propriété intellectuelle

    Loi du 03 juillet 1985 sur les logiciels et les vidéos

    Loi du 01 juillet 1992 relative au Code de la propriété intellectuelle

    Loi du 03 janvier 1995 relative à la gestion collective du droit de reproduction par reprographie

    Loi du 27 mars 1997 portant transposition dans le Code de la propriété intellectuelle des directives du Conseil des Communautés européennes du 27 et du 29 octobre 1993

    Loi du 01 juillet 1998 portant transposition dans le Code de la propriété intellectuelle de la directive 96/9/CE du Parlement européen du 11 mars 1996 concernant la protection des bases de données

    Cadre juridique européen

    Circulaire du 17 octobre 1989, sur la télévision sans frontières

    Directive du 19 novembre 1992 relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle

    Directive du 24 novembre 1993 relative à l'harmonisation de la durée de la protection du droit d'auteur et des droits voisins

    Directive du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données

    Proposition de directive du 10 décembre 1997 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information

    Cadre juridique international

    Premier traité de la Convention de Berne, 1886

    Deuxième traité de la Convention de Berne, 20 décembre 1996. +

    1. Texte intégral du rapport sur le serveur web du ministère de la Culture www. culture.fr Réaction de l'ABF : www. abf. asso. fr et Note d'informations de septembre 1998 retour au texte

    2. À propos des vidéogrammes En bibliothèque, les vidéogrammes sont très généralement achetés par l'intermédiaire de diffuseurs qui assurent la négociation collective pour leurs clients des droits attachés au support, prêt à domicile et visionnement sur place. Selon la Direction du livre et de la lecture, qui a mis ce système en route il y a plus de 10 ans, cela assurait la disposition des cassettes dans le respect des droits d'auteurs et droits voisins. Selon la Sacem, ces droits à l'achat ne sont pas suffisants et ne rétribuent pas les interprètes qu'elle déclare représenter. Elle demande donc par lettre aux établissements, dans plusieurs régions, la perception forfaitaire d'un droit annuel pour le visionnement sur place, droit forfaitaire assis sur le nombre de lecteurs, de casques d'écoute... Nous nous en sommes alarmés, car il y a selon nous double taxation. De plus, s'il s'agit réellement d'un droit d'auteur, et qu'il doive être redistribué aux ayants droit, on voit mal quelle clé de répartition sera utilisée pour les toucher ? À quel type d'auteurs les sommes ainsi perçues seront-elles affectées ? Ssur quels critères ? retour au texte

    3. Les postes multimédia dans les bibliothèques Dans la même lettre, la Sacem demandait aux bibliothèques se dotant de postes de lecture multimédia d'acquitter un droit forfaitaire sur le nombre de postes ou de bornes de lecture : 1 000 F TTC par borne ! La raison : multimédia veut dire texte, image, et sons : la Sacem (éventuellement par délégation d'autres sociétés d'auteurs et d'ayants droits) se charge de les percevoir et de les répartir. D'autant que dans ces bornes multimédia, en bibliothèque, sont présentés des cédéroms bibliographiques (pas de son), des cédéroms informatifs et des cédéroms de revues de texte intégral (La Recherche,L'Histoire, Le Monde, Le Monde diplomatique, pour citer quelquesbest-sellers...).<?PIBLOC/?><?PIBLOC/?>Les prix des cédéroms étant libres, notons également que lesproducteurs appliquent un prix plus élevé pour les collectivités(incluant de fait l'utilisation collective de leurs disques). retour au texte

    4. Publié en traduction française dans un supplément au Bulletin d'informations de l'ABF, n° 181, novembre 1998. retour au texte