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Les directives de l'Union européenne en matière de copyright et les actions de lobbying d'EBLIDA

1999
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    Les directives de l'Union européenne en matière de copyright et les actions de lobbying d'EBLIDA

    Par Barbara Schleihagen, Directeur EBLIDA (European Bureau of Library associations
    Intervention faite lors de la Journée d'étude de l'interassociation ABCD. l'accès à l'information, à quel prix ?

    Cette présentation concerne principalement les derniers développements en matière de législation européenne de la propriété intellectuelle, et plus particulièrement leur impact sur les activités des bibliothèques dans l'environnement électronique. Je passerai brièvement en revue le droit international et européen sur le droit d'auteur ainsi que ses implications pour les services offerts par les bibliothèques. J'examinerai ensuite les implications du projet de directive sur les droits d'auteur de 1997 sur les bibliothèques, les centres d'archive, de documentation et d'information. Je vous ferai part des principales préoccupations d'Eblida concernant le projet de directive et je tracerai brièvement les grandes lignes des activités d'EBLIDA et d'EFPICC pour m'assurer que nos préoccupations sont convenablement prises en compte dans le débat qui a lieu actuellement au sein des institutions européennes.

    Le droit international, européen et national

    Le droit d'auteur est réglementé par les lois nationales. Ces lois accordent une protection à l'intérieur du territoire national. Depuis 1886, c'est la Convention de Berne qui sert de cadre mondial à la protection internationale des droits d'auteur. Elle définit clairement les standards minima de protection des droits d'auteur. Plus de 100 pays ont signé cette convention et sont tenus de la respecter. La Convention de Berne est administrée par une agence spécialisée des Nations unies, l'Organisation mondiale de la propriété Intellectuelle (OMPI), basée à Genève.

    La gamme des droits d'exploitation exclusifs garantis au titre de la Convention de Berne est assez limitée. Le droit le plus important est le droit de reproduction (article 9-1) :

    « Les auteurs d'oeuvres littéraires et artistiques protégées par cette Convention auront le droit exclusif d'autoriser la reproduction de ces oeuvres, de quelque manière ou forme que ce soit ».

    Le droit de reproduction peut être limité à des fins privées, d'éducation ou de recherche, conformément à l'article 9-2 de la Convention de Berne :

    « Il appartiendra à la législation des pays de l'Union d'autoriser la reproduction de telles oeuvres dans certains cas particuliers, à condition que cette reproduction n'entre pas en conflit avec l'exploitation normale d'une oeuvre et ne cause pas aux intérêts légitimes de l'auteur de préjudice déraisonnable ».

    Les trois conditions principales sont donc que la reproduction :

    • soit faite dans certains cas spéciaux,
    • n'entre pas en conflit avec l'exploitation normale d'une oeuvre,
    • ne cause pas de préjudice déraisonnable aux intérêts légitimes de l'auteur.

    C'est ce qu'on appelle le test des trois étapes. La signification précise de ces conditions est source de très nombreux débats et litiges, notamment quand il s'agit de les appliquer dans un environnement numérique.

    L'émergence des technologies de l'information et des nouveaux médias a considérablement modifié le paysage international en matière de copyright. Les directives de l'UE et le traité de l'OMPI de 1996 résultent des ajustements du copyright aux nouvelles technologies. La question de la protection de la propriété intellectuelle concerne la Communauté européenne car elle doit assurer que les biens et les services peuvent circuler librement. Les producteurs, distributeurs et utilisateurs de biens et de services protégés par le copyright doivent être à même d'utiliser la Communauté européenne comme un marché unique. Aussi longtemps que les règles qui gouvernent le copyright diffèrent d'un pays à l'autre, il y aura des obstacles à la libre circulation des biens et des services. Puisque le droit d'auteur accorde une protection à l'intérieur des territoires nationaux, un certain niveau d'harmonisation au plan européen aidera à réduire les disparités entre les états membres. Les institutions de l'UE ont adopté les directives suivantes dans le domaine du copyright entre 1991 et 1996 :

    • Directive sur les logiciels informatiques (1991)
    • Directive sur les droits de location et de prêt (1992)
    • Directive sur la durée de protection du copyright (1993)
    • Directive sur la protection légale des banques de données (1996)

    Ces directives ont donné à l'industrie de plus en plus de protection par rapport à l'accès aux informations électroniques. La finalité de ces directives est leur introduction dans les lois nationales de la propriété intellectuelle. Il n'est pas possible d'en modifier le contenu (on peut juste adapter la formulation) une fois que la directive a été adoptée par le Conseil des ministres de l'UE, qui est l'organe représentatif des gouvernements nationaux.

    Le Traité sur les droits d'auteur de l'OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), 1996

    En décembre 1996, un nouveau Traité OMPI sur le copyright international a été adopté par les représentants de 157 nations. Grâce au lobbying constructif de la communauté internationale des bibliothèques, ce traité est moins dangereux pour l'avenir de l'accès à l'information que ne l'étaient les projets : le lobby a amené des changements significatifs dans le Traité OMPI sur le copyright.

    Sous la pression des bibliothèques, la formule suivante fut introduite dans le préambule du Traité : « les parties contractantes, conscientes de la nécessité de maintenir un équilibre entre les droits des auteurs et les intérêts du grand public, particulièrement en matière d'éducation, de recherche et d'accès à l'information, tel que mentionné dans la Convention de Berne... »

    L'article proposé concernant le droit de reproduction fut supprimé et remplacé par une déclaration jointe à l'article 1 -4 du Traité, confirmant que le droit de reproduction et les exceptions autorisées s'appliquent complètement à l'environnement numérisé.

    L'article sur les limitations et les exceptions est crucial pour les bibliothèques. Le nouvel article 10 du Traité autorise à appliquer également à l'environnement numérisé les anciennes limitations et exceptions du copyright en prenant en compte le test des trois étapes formulé à l'article 9-2 de la Convention de Berne. En outre, il autorise aussi la création de nouvelles exceptions et limitations opportunes dans un environnement numérisé. L'article 10, dans son Agreed Statement, définit que les parties contractantes peuvent transférer, et éventuellement étendre, dans leurs lois nationales les exceptions et limitations appliquées à l'environnement numérisé, du moment où elles ont été considérées comme acceptables au titre de la Convention de Berne. De la même façon, ces dispositions sont destinées à permettre aux parties contractantes de concevoir de nouvelles exceptions et limitations opportunes dans un environnement de réseau numérique.

    La nouvelle directive copyright de TUE

    Les institutions européennes sont en train de débattre d'une nouvelle directive basée sur le Livret vert sur les droits d'auteur dans la Société d'Information, publié en juillet 1995 (Corn (95) 382 final) et son prolongement de novembre 1996 (Com (96) 568 final). Les thèmes traités par la directive sont les suivants :

    • droit de reproduction
    • droit de communication au public
    • protection légale des systèmes interdisant la copie et l'information sur le régime des droits
    • droit de distribution.

    À la lumière de la société d'information émergente, le projet de directive a deux objectifs : la mise en place du Traité OMPI de 1996 et la poursuite de l'harmonisation des législations des états membres de l'UE afin d'assurer un cadre législatif correct pour le marché européen unique. Ceci a diverses conséquences : la directive doit être placée dans le cadre des obligations internationales qui dérivent de la Convention de Berne, du Traité OMPI et de l'accord TRIPS (1) , dans le cadre des précédentes directives européennes sur le copyright, ce qu'on appelle l'acquis communautaire, et enfin dans le cadre des traditions juridiques de chacun des États membres.

    La proposition va préciser et compléter le cadrejuridique existant en accordant une importance particulière aux nouveaux produits et services (en ligne et sur cédé-roms et vidéodisques). Elle insistera particulièrement sur le droit de reproduction, le droit de communication au public (y compris la possibilité de diffuser des documents protégés sur Internet à la demande ), le droit de distribution ainsi que la protection légale des systèmes interdisant la copie, et sur l'information sur les droits d'exploitation.

    Droit de reproduction

    Dans l'optique du développement de nouvelles formes de reproduction telles que la reproduction scannerisée des oeuvres imprimées ou le chargement et le stockage des documents numérisés (tels que textes, musiques ou vidéo) dans une mémoire d'ordinateur ou un autre système électronique, la proposition devrait établir une définition de ce qui est exactement protégé ainsi qu'un niveau de protection homogène à travers toute l'UE.

    Plus spécifiquement, la proposition devrait garantir aux détenteurs de droits le droit d'autoriser ou d'interdire les reproductions (des directives plus anciennes confèrent déjà un droit exclusif équivalent de reproduction exclusive pour les auteurs de logiciels et de bases de données ainsi que pour quelques autres détenteurs de droits). La définition harmonisée du droit de reproduction devrait couvrir tous les actes en rapport avec la reproduction directe ou indirecte, temporaire ou permanente, en ligne ou non, sous forme matérielle ou immatérielle.

    Il y aurait une exception obligatoire au droit de reproduction pour certains actes techniques de reproduction dictés par la technique mais sans signification économique propre (comme certaines copies « cache » qui apparaissent dans des transmissions via Internet). De plus, les États membres auraient la faculté d'ajouter des exceptions au droit de reproduction dans les cas suivants :

    • 1. reproductions sur papier ou support équivalent par l'usage de toute technique photographique ou autre procédé ayant des effets similaires (reprographie),
    • 2. reproductions de supports enregistrés, audio, visuels ou audiovisuels, par des individus, à titre privé et sans but commercial (copie privée),
    • 3. actes spécifiques de reproduction réalisés par des bibliothèques publiques, musées et autres établissements accessibles au public, à condition que ces actes ne procurent pas un avantage commercial ou économique, direct ou indirect.

    Ces exceptions optionnelles auraient pour effet de permettre aux États membres par exemple de conserver leurs systèmes actuels de compensation des droits d'auteurs pour les copies privées ou les photocopies (par exemple des droits sur les ventes de cassettes audio ou vidéo vierges, des droits sur les photocopieuses et les photocopies). Par conséquent, la directive n'introduirait aucune obligation pour les États membres à mettre en place de tels droits sur les copies privées ou les photocopies, ou à harmoniser le niveau de ces droits.

    Droit de communiquer au public

    On devrait donner aux auteurs un droit général exclusif d'autoriser ou d'interdire toute communication de leurs oeuvres au public par des moyens câblés ou sans fil. Les services « à la carte » sont caractérisés par le fait que les documents enregistrés en format numérique (comme les textes, films, phonogrammes, logiciels et bases de données) sont mis à disposition du public ou des individus de telle façon qu'ils puissent y accéder et demander leur transmission individuellement à un moment et un lieu déterminés. Ces droits sont distincts et complémentaires de ceux applicables aux émissions (y compris de télévision payante par abonnement ou par film) et ne concernent pas les communications privées.

    Outre les exceptions spécifiques concernant le droit de reproduction, les États membres auraient également la possibilité de prévoir des exceptions à la fois au droit de reproduction et au droit de communication au public dans les cas suivants :

    • usage uniquement destiné à des fins d'illustration de l'enseignement ou d'une recherche scientifique,
    • utilisations non commerciales destinées à des malentendants, malvoyants,
    • utilisation d'extraits liés à la diffusion d'information sur des événements d'actualité,
    • citations pour des critiques ou comptes rendus,
    • utilisation liée à un problème de sécurité publique ou dans le cadre d'une procédure administrative ou judiciaire.

    Dans le projet de directive, la liste des exceptions est exhaustive, en d'autres termes, les États membres ne seraient pas autorisés à mettre en oeuvre d'autres exceptions que celles figurant expressément dans la liste de la directive. Par ailleurs, quand ils appliquent les exceptions, les États membres devraient les limiter à des cas spécifiques et respecter les intérêts des détenteurs de droits. Cette limitation importante apportée aux exceptions correspond à ce qu'on appelle le « test des trois étapes » dans les deux nouveaux Traités OMPI.

    Protection légale des systèmes interdisant la copie et l'information sur le régime des droits

    La directive proposée demanderait aux États membres d'assurer une protection légale convenable contre toute activité - y compris la fabrication ou distribution d'appareils ou la prestation de services - qui permettrait de contourner sans autorisation des mesures techniques (telles que codes d'accès ou décryptage) destinées à protéger tout copyright ou droit s'y rattachant. De la même façon, les États membres auraient à donner une protection légale convenable contre toute personne qui, sans en avoir le droit, supprime ou modifie des informations sur le régime des droits électroniques.

    Les préoccupations d'EBLIDA sur le nouveau projet de directive

    Avant d'examiner plus en détail ce que le projet de directive implique pour les bibliothèques, je voudrais insister sur le fait que les bibliothèques soutiennent fermement la protection de la propriété intellectuelle. Elles considèrent que les droits des créateurs doivent rester correctement protégés dans le nouvel environnement électronique. Toutefois, l'adaptation du droit européen du copyright à l'ère de l'électronique doit également viser à maintenir l'équilibre entre les droits exclusifs des détenteurs de droits et l'intérêt du public, qui est lié à la nécessité d'offrir à tous un accès aisé à l'information et à la connaissance en mettant en place les exceptions qui conviennent.

    Toutefois, le projet de nouvelle directive gênerait sérieusement l'Union européenne dans son désir de connecter les écoles et les bibliothèques aux réseaux d'information garantissant l'accès à tous. Il gênerait également le souhait de l'Union européenne de promouvoir la formation continue, base de la société d'information. Je vais attirer votre attention particulièrement sur quatre problèmes posés par le projet de directive.

    Premièrement, la directive proposée n'autoriserait les États membres à fournir aucune autre exception que celles explicitement listées dans la directive. Contrairement à ce qui est autorisé dans le Traité OMPI sur le copyright, les États membres ne pourraient pas « poursuivre et étendre à l'environnement électronique, en les incluant dans leurs lois nationales, les limitations et exceptions qui ont été considérées comme acceptables par la Convention de Berne » (Agreed Statement Article 10). De plus, la directive proposée laisserait toutes les exceptions listées (sauf une) comme de simples options au libre choix des États membres ; le texte précise qu'ils peuvent autoriser des exceptions. De ce fait, les exceptions ne seraient pas harmonisées et rien ne garantirait qu'elles seraient introduites dans les lois nationales afin de préserver un bon équilibre du copyright. EBLIDA partage cette préoccupation avec d'autres associations européennes représentant les consommateurs européens, les personnes handicapées, les enseignants et les fabricants d'électronique grand public : pour cette raison, elle s'associe étroitement à la campagne pour des pratiques européennes loyales en matière de droit d'auteur (EFPICC : European Fair Practices in Copyright Campaign).

    Deuxièmement, le projet de directive réduirait à seulement deux le nombre de mesures nationales déjà existantes dans beaucoup d'États membres et couvrant les exceptions légales en matière d'utilisation et de copie à des fins spécifiques, à savoir l'exception concernant « l'usage destiné à illustrer un enseignement ou une recherche scientifique ». Ceci est trop limitatif. Les pratiques existantes et loyales de recopie d'informations pour un usage privé non commercial - études ou recherche- n'ont rien à voir avec de la piraterie commerciale. Ces pratiques loyales sont en conformité avec la règle des trois étapes de la Convention de Berne. Nous ne parlons pas ici des copies que chaque individu peut faire chez lui, ni de toutes les copies qui sont faites dans le cadre d'un enseignement, mais des copies réalisées conformément aux règles de pratique loyale. Voici quelques exemples de ces pratiques loyales : dans une bibliothèque, réaliser une copie d'archive afin d'assurer qu'une oeuvre pourra être préservée pour les générations futures, ou bien recopier un nombre limité de pages d'une oeuvre consultée en bibliothèque pour ses propres recherches, qui ne sont pas nécessairement des recherches scientifiques.

    Dans son préambule, le Traité OMPI sur le copyright reconnaît « les valeurs importantes de nos sociétés telles que la recherche, la formation et l'accès à l'information » : il n'y a pas de raison que cela soit aboli dans la société de l'information européenne. Les bibliothèques européennes fournissent une large gamme de services à des millions de chercheurs, d'étudiants et d'individus. Ces services sont rendus en conformité avec les lois nationales sur le copyright. Les bibliothécaires sont les gardiens de notre héritage culturel : ce rôle leur est largement reconnu mais pas assez souvent applaudi. Dans le monde entier on devrait reconnaître le travail accompli par les bibliothèques et le défi auquel elles sont confrontées quand elles se battent pour faire face à la croissance exponentielle de l'information.

    EBLIDA accueille très favorablement la résolution récemment adoptée par le Parlement européen sur « le rôle des bibliothèques dans les sociétés modernes » : elle couvre en effet les sujets importants et demande à la Commission et aux États membres de prendre les mesures qui s'imposent. Nous sommes également très satisfaits de l'annonce toute récente faite par la Commission européenne qui va commencer à travailler sur une communication portant sur un certain nombre de problèmes auxquels les bibliothèques sont actuellement confrontées, tels que : la formation continue, le copyright, l'illettrisme, les services locaux d'information et la contribution des bibliothèques publiques à l'accès à la connaissance.

    Troisièmement, selon le projet de directive, n'importe quel contournement des systèmes interdisant la copie et la gestion des droits deviendrait illégal, même pour des gens qui n'ont nullement l'intention d'enfreindre la loi. L'ordinateur pourrait tout simplement bloquer toute tentative d'accès à l'information et personne n'irait vérifier que cette information est copiée dans un but spécifique et autorisé par l'exception du copyright. Une bibliothèque qui est verrouillée aujourd'hui rouvrira demain ses portes, accueillant à nouveau ses lecteurs pour lire et emprunter. Des mesures techniques vont bloquer pour toujours l'accès à l'information et créer de fait un monopole technique qui contrôlera tout accès à l'information. Des exceptions dans l'intérêt du public sont accordées par les gouvernements pour contrebalancer les intérêts des détenteurs de droit. Il n'est pas possible de laisser aux usagers le soin de négocier des exceptions avec les détenteurs de droits qui ont évidemment envie d'obtenir un contrôle complet de l'accès à leurs oeuvres.

    Avec la nouvelle directive, l'usager de la bibliothèque pourrait être obligé de payer « au compteur » les informations numérisées qu'il ou elle obtient actuellement gratuitement à la bibliothèque. Les bibliothèques sont prêtes à payer un prix raisonnable pour avoir le droit de mettre à la disposition de leurs usagers réguliers les informations numérisées, de la même façon qu'elles payent pour les livres et journaux imprimés. Les usagers des bibliothèques ne devraient pas avoir à demander la permission des détenteurs de droits chaque fois qu'ils souhaitent lire une information numérisée disponible à la bibliothèque et la pratique loyale de la copie devrait être possible. On ne doit pas dégrader la mission des bibliothèques qui est la collecte, l'organisation et la préservation des documents pour les futures générations ainsi que la mise à disposition des informations à tout public quels que soient ses moyens financiers.

    Quatrièmement, il n'y a aucune mention dans la nouvelle directive sur le fait que le droit contractuel n'est pas supérieur au droit de la propriété intellectuelle, ce qui est le cas dans la directive UE sur les bases de données. Pourquoi est-ce si important ? La volonté d'instaurer des droits monopolistiques pour tout contenu est le moteur caché de l'action de quelques détenteurs de droits qui voudraient remplacer toutes les exceptions légales en matière de copyright par des accords de licence librement négociés.

    Les oeuvres numérisées ne sont pas vendues et achetées, mais c'est leur accès avec leur utilisation qui est réglementé par une licence. La licence permet de donner un droit d'usage d'un bien sans pour autant en conférer la propriété. Les relations entre le propriétaire et l'utilisateur sont alors entièrement définies par le droit des contrats, avec une complète liberté de négociation, et non par le droit du copyright. Le propriétaire est libre de demander le prix qu'il veut et de définir les conditions d'utilisation qu'il veut, conformément aux conditions du marché.

    Toutefois, les détenteurs de droits ont des droits exclusifs, c'est-à-dire des droits de monopole pour leurs oeuvres dans le cadre du copyright. Les exceptions au copyright furent introduites principalement pour contrebalancer ce monopole et sauvegarder l'accès à l'information dans l'intérêt du public, sans avoir à demander la permission chaque fois, tout en permettant de copier une part raisonnable d'une oeuvre sans être en conflit avec l'exploitation normale de cette oeuvre. Il est donc essentiel de maintenir les exceptions au copyright dans le domaine des oeuvres numériques : en effet, cela garantit que des accords de licence peuvent être négociés entre un détenteur de droits avec des droits presque exclusifs et un utilisateur capable de s'appuyer au moins sur quelques exceptions de pratique loyale garanties par la loi. Tout accord de licence doit automatiquement inclure ces exceptions de pratique loyale.

    Comment ces problèmes peuvent-ils être réglés par la directive ?

    Premièrement, il faut que la directive prévoie une liste minimum d'exceptions obligatoires afin de garantir un niveau minimum d'harmonisation des exceptions de pratique loyale. Elle doit également prendre en compte les différentes traditions juridiques des États membres en leur offrant la possibilité de conserver, en complément, d'autres exceptions au copyright dès lors qu'elles sont traditionnellement accordées par la législation du pays et respectent la Convention de Berne. Le Traité OMPI sur le copyright donne aux États membres la permission de le faire.

    Deuxièmement, la directive a besoin d'un article 5.3 révisé autorisant les États membres à prévoir des exceptions pour l'usage et la copie de documents destinés à l'éducation, la formation, la recherche et les utilisations privées, ce qui est justifié par la pratique loyale. Là encore, ces exceptions doivent être conformes à la Convention de Berne et ne doivent en aucun cas légitimer n'importe quel acte de copie. Le clonage (reproductions complètes et multiples d'oeuvres protégées) ne constituerait pas une pratique loyale et serait illégal. Mais il est absurde d'exiger que, de ce fait, tout type de duplication numérisée soit considéré comme illégal.

    Troisièmement, il faut réviser le texte de la directive sur les mesures techniques en se basant de plus près sur l'article 11 du Traité OMPI sur les droits d'auteur. On doit avoir le droit de contourner ces mesures techniques dans le cas d'activités autorisées par la loi. Seule devrait être illégale la création de dispositifs ayant pour but évident de contourner les obligations du droit d'auteur. La même chose vaut pour les individus qui ne devraient être punis que s'ils ont intentionnellement contourné les systèmes de protection du copyright. Par ailleurs, la vie privée des citoyens doit être protégée lorsqu'ils utilisent ces systèmes : il faut encore sérieusement réfléchir à ce sujet important.

    Quatrièmement, indépendamment des exceptions obligatoires, il faut doter la directive d'un nouvel article, similaire à l'article 15 de la directive sur les bases de données qui prévoit que toutes dispositions contractuelles contraires à ces exceptions seront nulles et non avenues. Dès lors, les exceptions obligatoires ne pourraient plus être ignorées dans les contrats ou accords de licence. Il est essentiel de disposer d'exceptions qui s'appliquent dans tous les pays de l'UE afin de permettre l'accès aux informations contenues dans des oeuvres protégées par le droit d'auteur sans avoir à demander constamment la permission de s'en servir ; de même, il faut que la reproduction loyale à usage personnel, éducatif ou de recherche, soit autorisée et ne puisse pas être balayée par des dispositions contractuelles. Ce que nous ne pouvons pas soutenir, c'est une législation qui considérerait l'accès à l'information comme une simple marchandise, un produit qui s'achète et se vend alors qu'il s'agit d'un droit civique.

    Les activités de lobbying d'EBLIDA et d'EFPICC

    EBLIDA a effectué un lobbying actif au profit des bibliothèques et de leurs usagers bien avant que le projet de directive sur les droits d'auteur soit publié. EBLIDA a été créée en 1992 pour représenter les intérêts des professionnels européens de l'information au niveau européen, qu'il s'agisse de la Commission européenne, du Parlement européen, du Conseil des ministres ou du Conseil de l'Europe.

    EBLIDA était représentée, aux côtés de l'IFLA, à la Conférence diplomatique OMPI de décembre 1996, ce qui a permis de faire largement connaître aux bibliothécaires européens les résultats de la conférence et les traités adoptés. Grâce aux efforts accomplis durant les quatre dernières années dans le cadre de la plate-forme des Utilisateurs européens des droits d'auteur (ECUP), les bibliothécaires ont pu acquérir une bonne connaissance et une bonne compréhension des enjeux du débat.

    Dès l'automne de l'année dernière, EBLIDA a tenu les premières réunions avec d'autres associations européennes d'utilisateurs afin d'échanger des idées, des informations et de préparer une stratégie commune. Parmi ces associations se trouvaient : l'Association européenne des consommateurs, l'Association européenne des aveugles, le Forum européen des handicapés et l'Association européenne des fabricants d'électronique grand public.

    En coopération avec l'Association danoise des Bibliothèques, EBLIDA a organisé à Copenhague, en février dernier, une conférence sur le droit d'auteur destinée à donner à ses membres une information détaillée sur le projet de directive et à discuter d'un texte donnant une position commune. Ce document a été achevé en mars et largement diffusé. EBLIDA a répondu à un questionnaire sur le projet de directive émanant du Comité économique et social et a été invitée à donner sa position au cours de deux auditions du Parlement européen : l'une organisée par le Comité sur les affaires juridiques et l'autre par le « Consumer Intergroup ». Non seulement EBLIDA a participé à toutes les réunions des quatre comités du Parlement européen concernés par le débat législatif, mais encore elle a préparé et envoyé à des parlementaires européens des suggestions en vue d'amendements, elle a rencontré individuellement de nombreux parlementaires européens tandis que les associations nationales intervenaient efficacement dans leurs pays. Plusieurs interviews ont été données à la presse, qui a publié des articles soulevant l'attention des politiciens et des citoyens sur nos préoccupations. Enfin, les membres d'EBLIDA sont tenus régulièrement informés des derniers développements.

    Nous avons mené à bien toutes ces activités avec l'aide et la coopération étroite de nos amis des autres associations européennes d'utilisateurs. Les réunions interassociations mentionnées plus haut ont amené, au printemps dernier, à lancer le programme EFPICC-Campagne pour une pratique européenne loyale en matière de droit d'auteur. En dehors de multiples réunions avec des parlementaires européens et de nombreuses lettres où nous commentions les débats législatifs et suggérions des amendements préparés en commun, EFPICC a vraiment attiré l'attention quand elle a lancé sa campagne de presse CD par laquelle elle invitait des politiciens à écouter « le son du silence » : quand ils mettaient le disque compact dans leur lecteur, ils n'entendaient rien. De fait, le disque compact était vierge, montrant ainsi ce qui allait se passer si l'on refusait à des usagers honnêtes le droit d'accès et le droit d'utilisation à des documents sous copyright, tels qu'ils en bénéficient actuellement.

    EFPICC a également à son actif un autre résultat tout à fait tangible : une vidéo de 10 minutes qui explique simplement, en trois langues et avec beaucoup d'exemples pourquoi il est si important de conserver les exceptions de pratique loyale dans la société de l'information. Les membres d'EBLIDA qui étaient à la conférence de Copenhague se souviendront que la production de cette vidéo faisait partie des nombreuses suggestions créatives faites lors du débat.

    EBLIDA et EFPICC vont continuer leurs activités afin d'assurer que (je cite un extrait d'une résolution du Parlement de mars 1997) : « le modèle européen de la société de l'information est conduit par des préoccupations démocratiques, sociales, culturelles et éducatives et non pas dominé par les intérêts économiques et technologiques».. +

    1. L'Organisation mondiale du commerce (OMC) a été instituée à l'issue des conclusions positives de l'Uruguay Round (négociations du GATT sur les échanges commerciaux multilatéraux, 15 avril 1994). L'un des accords négociés est l'accord sur les aspects liés aux échanges des droits de propriété intellectuelle (accord TRIPS), venu en application le 1 janvier 1995. L'accord TRIPS ouvre une nouvelle ère dans la protection et la mise en oeuvre des droits de propriété intellectuelle, tout en renforçant la valeur du programme de travail de OMPI. L'accord TRIPS comprend des dispositions concernant le copyright et les droits qui s'y rattachent, les marques de fabrique, les indications géographiques, le design industriel, les brevets et les dessins de circuits imprimés. Ces dispositions complètent directement les conventions et traités internationaux auxquels le secrétariat de OMPI et son prédécesseur ont travaillé, dans quelques cas pendant plus de cent ans. Le 1" janvier 1996, un accord entre l'OMPI et l'OMC est entré en vigueur. Il donne des bases de coopération pour la mise en place de l'accord TRIPS telles que : notifications des lois et règlements, assistance technique juridique, coopération technique en faveur des pays en développement. retour au texte