(1) EBLIDA a déployé depuis un an une intense activité autour de l'élaboration de la Directive européenne sur l'harmonisation des droits d'auteurs et des droits voisins dans la société de l'information : le troisième séminaire consacré à ce sujet en un an a été réuni à Rome les 5 et 6 novembre 1998.
Différentes commissions du Parlement européen ont fait leurs les revendications d'EBLIDA, la plus importante d'entre elles (Commission des droits des citoyens) allant même jusqu'à se prononcer en faveur d'une inflexion de la circulaire et c'est un succès important dont nous sommes redevables à EBLIDA et à l'Association des bibliothécaires italiens que d'avoir réussi à gagner le soutien de Roberto Barzanti, président de cette commission et rapporteur du projet de directive.
Son exposé au séminaire de Rome a rappelé que le projet de directive tentait de régler la question des droits d'usage dans leur ensemble et de n'apporter que des aménagements pour prendre en compte les spécificités des documents numériques, par exemple avec la redéfinition de la notion de communication au public ou autour des spécificités de la notion de copie numérique, tout en précisant qu'aucun projet de directive n'était coulé dans le bronze et que les demandes des bibliothèques devaient être prises en considération. L'accès à l'information et à la formation doit selon lui être maintenu et, pour ce faire, les dérogations figurant dans l'article 5 du projet devraient être améliorées et précisées en nommant explicitement les bibliothèques et les services d'archives, même si une rémunération modérée doit être versée au détenteur des droits. Il est par contre exclu selon lui que les formes de rémunération ou de licence d'utilisation soient fixées par la directive : celles-ci resteront contractuelles et non contraignantes, toute dérogation nationale devant rester conforme aux textes européens. D'un autre côté, il ne suivra pas les bibliothèques dans leur demande d'une redéfinition complète des dérogations.
En tant que représentante de la section du copyright à la Commission européenne, Carolla Croella a présenté les principes de rédaction du projet de directive. Il s'agit de définir les principes de fonctionnement du marché intérieur européen en abordant toutes les questions liées à la société de l'information et en se mettant autant que possible en accord avec les législations internationales sur les droits. Les aspects de la question qui touchent particulièrement les bibliothèques sont contenus dans l'article 5, qui repose sur les principes suivants :
Les exceptions favorables aux bibliothèques en matière de duplication à usage privé semblent pouvoir être améliorées, mais aucun remaniement de la notion contestée de communication au public n'est à attendre.
Raffaele Foglia (membre du groupe de travail sur le copyright du conseil des ministres) souligna le souci de cohérence avec les textes internationaux, qui permettent une prise en compte suffisante des impératifs culturels, éducatifs et scientifiques. Comme l'intervenante précédente, elle mit en évidence que les points les plus litigieux du projet de directive étaient les définitions de copie privée, de public et d'usager autorisé. La circulaire fournira un cadre, les solutions devant intervenir par le biais d'accords entre les bibliothèques et les producteurs d'information.
Barbara Schleihagen (EBLIDA) rendit compte des efforts en vue de définir le « fair use » (en anglais dans le texte) et de la position d'EBLIDA en faveur d'une interprétation de l'article 8 de la Convention de Berne et de l'article 10 du Traité international sur le copyright (WIPO) intégrant cette définition, qui peut être appliquée aux documents numériques.
Les principaux problèmes posés par le projet de directive et les revendications des bibliothèques sont les suivants :
Julie Cohen (Georgetown University, Washington) aborda la notion américaine de « fair use ». Le président Clinton vient juste de signer la nouvelle loi américaine sur le copyright. Ce droit, longtemps défini au profit dominant des ayants droit et de l'industrie de l'information, a été aménagé dans un sens plus favorable aux utilisateurs, particulièrement pour les scientifiques. Mais le « fair use » n'est précisément défini nulle part : il relève d'une part de l'application d'un principe constitutionnel (NDT : le premier amendement), d'autre part d'une adaptation constante des relations entre producteurs et utilisateurs. Une « coalition digitale » réunit tous les acteurs de la production et de l'utilisation de données, qui risque d'ailleurs de ne pas fonctionner encore longtemps. Le concept de fair use sera probablement restreint et les dérogations limitées, mais plutôt en ce qui concerne les usages privés ou les usages non commerciaux, les usages à des fins éducatives posant moins de problèmes. On perçoit de façon évidente que le droit du copyright est menacé dans la pratique par l'imposition à l'usager de conditions d'utilisation préalables données au moment de la connexion, ou par des restrictions d'utilisation contenues dans les licences dont la portée n'apparaît pas au premier abord.
Le deuxième jour du séminaire fut consacré à la question des négociations de droits, dans le contexte d'une substitution rampante du contrat d'exploitation au principe du copyright, qui est le thème de travail principal d'ECUP : projet européen qui s'achève en janvier 99. De plus en plus, les exceptions (au principe de la rémunération de l'usage) sont réduites, l'accès à l'information est réglé davantage par la licence que par l'application du droit d'auteur et la négociation des licences met aux prises des partenaires de force inégale. C'est pourquoi la discussion sur l'article 5 du projet de directive revêt tant d'importance.
Emmanuella Giavara fit l'analyse de contrats de licences pour des documents numériques proposés par Chadwick-Healey, Elsevier, JSTOR et Thesaurus Linguae Graecae.
Les principaux pièges juridiques contenus dans les contrats sont les suivants :
Hans Geleijnse (bibliothèque universitaire de Tilburg, Pays-Bas) fit état des expériences de licence et de négociations de droits : il est clair que les éditeurs ont soigneusement préparé leur coup alors que les bibliothèques manquent d'expérience et ne lisent pas assez précisément les contrats. Les bibliothèques, notamment allemandes et néerlandaises, associées, doivent formuler des principes de négociations autour de la notion de fair use pour pouvoir en particulier faire du prêt interbibliothèques, donner accès à leurs usagers, garantir un accès permanent etc. C'est pourquoi a été créé en mars 1998 le Consortium international des consortiums (NDT: d'utilisateurs de données) (ICOLC). 80 consortiums répartis dans le monde entier observent et développent des principes communs, édités sous forme de guides techniques. L'ICOLC a recommandé, lors de sa conférence de Denver en 1998, la formation d'une section européenne de fédération de consortiums.
Elmar Mittler (bibliothèque de Gôttingen), plus réservé à ce sujet, relevait ensuite que la relation des bibliothèques et des éditeurs, heureuse à l'âge de l'imprimé, se dégrade constamment dans la mesure où ces derniers en sont venus à considérer que la copie par les bibliothèques et leurs usagers menace l'exploitation normale des oeuvres et tentent d'y remédier par des tarifs de plus en plus élevés qui conduisent les bibliothèques à se désabonner. Mais on peut considérer que les bibliothèques rendent service aux éditeurs en leur servant elles-mêmes de banques de données. De plus, on oublie l'auteur dans cette histoire, qui décide où son oeuvre sera rendue publique, et ce peut être dans une bibliothèque ou une institution scientifique. Les consortiums offrent quand même un moyen de mise en commun des ressources. La bibliothèque de Gôttingen a un programme de numérisation de périodiques dont les aspects juridiques ont été travaillés par E. Giavarra.
En Grande-Bretagne (programme FredFriend, University College, Londres), les droits ne sont pas négociés centralement mais répartis entre différentes tutelles qui se concertent au sein du Joint Information System Committee. Une structure baptisée NESLI (National Electronic Site Licence Initiative) est en cours de création pour négocier des droits au niveau national. Elle est conseillée juridiquement par le cabinet Swets et Zeitlinger. L'action des consortiums peut modifier les rapports de marché avec les éditeurs.
En Suède (exposé de Kjell Nilsson, de la Bibliothèque Royale de Stockholm), le BIBSAM, service de la Bibliothèque Royale, sert d'organe d'information et de coopération entre les bibliothèques et organise un consortium national regroupant 35 bibliothèques universitaires et scientifiques, et aussi quelques autres bibliothèques dont des bibliothèques de lecture publique. Un petit pays comme la Suède a impérativement besoin d'un consortium, notamment dans l'optique d'une future bibliothèque nationale virtuelle, et d'une coopération scandinave. Les recommandations germano-néerlandaises sont très profitables.
En Finlande (exposé de Inkeri Salonharju, université d'Helsinki), le système ressemble à celui de la Suède, mais n'est pas encore étendu aux bibliothèques publiques. Des contrats ont été signés avec Academic Press, Springer, EBSCO, etc., couvrant 100 bases de données en ligne et 2 000 périodiques.
En Italie (Antonia Ida Fontana, Bibliothèque Nationale de Florence), une tentative de formation de consortium est en cours autour de principes de négociation définis en commun, qui s'efforcent d'aligner les conditions d'obtention des documents électroniques sur celles des documents imprimés.
Hans Gelijnse termina la séance en faisant observer que les licences négociées nationalement ou avec un consortium sont négociées en position de force et permettent de meilleures conditions financières et un accès plus large, mais que c'est long et coûteux. Des bibliothèques peuvent demeurer sur la réserve parce qu'elles ont l'impression de payer aussi pour des services qu'elles n'utiliseront pas. Le projet européen DECOMATE Il (consortium transfrontalier de négociation avec Elsevier et Kluwer) est lancé et coopérera vraisemblablement avec le projet anglais Chest.
[NDLT Nous laisserons les participants du séminaire à leur optimisme car, outre le fait que la France, quand elle est officiellement représentée, défend des positions radicales en faveur de la réduction des exceptions dans le cas d'usages non commerciaux, on peut remarquer que la Bibliothèque Nationale s'est lancée isolément et pour son compte dans la négociation de droits et que, d'une manière générale, c'est la logique du marché qui prévaudra dans l'abandon du principe de service public...]