Les périodiques électroniques m'intéressent peu en tant que tels. Mis à part leur côté technique qui fascine toujours un peu les bibliothécaires et les lecteurs, ils ne sont souvent, dans l'état actuel des choses, que des transpositions plus ou moins réussies et plus ou moins améliorées des périodiques existant dans ce que certains appellent poétiquement la " galaxie Gutenberg ". Car c'est précisément là que tout s'est joué et que tout se joue encore. On ne peut parler d'une offre éditoriale propre au domaine électronique si l'on ne parle pas d'abord du très classique périodique imprimé et de la nécessité de décoloniser,, ce secteur.
Comment aborder un sujet en apparence aussi général et dans les faits aussi particulier devant un parterre des plus diversifiés, où se côtoient des représentants de la lecture publique depuis les institutions prestigieuses jusqu'aux petites communautés locales, des représentants du monde universitaire toutes disciplines confondues, des spécialistes exerçant leur profession dans des bibliothèques de ministère, de conservatoire, et que sais-je encore ?
J'en étais à me poser cette question, en m'interrogeant sur l'intérêt que trouveraient à mes propos les personnes ici rassemblées, lorsque trois communiqués sur une même journée m'ont convaincue que le problème était bien d'une actualité qui justifie sa discussion devant un grand nombre. Mais que peuvent bien avoir en commun Harold Varmus, le Bureau du plan du ministère néerlandais de l'Économie et les Who, et quel rapport peuvent-ils bien avoir avec l'offre en matière de périodiques électroniques ?
Pour le premier, Harold Varmus, c'est relativement simple. Il s'agit d'un scientifique de renom que sa brillante carrière a mené à la direction du National Institute of Health, poste dont il a démissionné l'année dernière pour devenir le directeur du Sloan-Kettering Cancer Research Institute. Pendant son passage au NIH, Varmus a considérablement agité le landerneau de la recherche biomédicale en lançant son projet de « conservatoire (repository en anglais) de textes électroniques (1) et en encourageant tous les auteurs scientifiques à y introduire leurs documents. L'accès à l'énorme base de données qu'il espérait serait libre et gratuit.
Pour le ministère néerlandais de l'Économie, le lien est plus difficile à établir mais il est bien là. Nous y reviendrons.
La plus grande suiprise, même si elle est anecdotique, vient des Who. Car enfin, voilà un groupe rock qui, s'il fait plus partie de l'histoire que des tendances actuelles, peut encore, nostalgie aidant, rassembler un important public, et qui s'en va lancer son nouveau disque par des voies alternatives pratiquement à compte d'auteur (2) ? Facile, direz-vous, quand on a déjà la notoriété, de cracher dans la soupe commune. Pas sûr, car le secteur est puissant et doit cultiver la rancune. Lui résister exige du courage même si effectivement la faveur du public fait office de protection.
Mais nous nous éloignons fort des périodiques électroniques. Pas vraiment. Cela démontre simplement que, dans des secteurs assurément fort différents du domaine de l'édition, avec des moyens divers, des gens sortent des sentiers battus pour tirer la sonnette d'alarme, pour inventer de nouvelles pistes, pour constater plus qu'un malaise et chercher des remèdes. Et la question devient : comment traiter d'un sujet en apparence aussi particulier et dans les faits aussi général en un temps limité?
Si nous restons dans le seul créneau des périodiques et de leur offre, quelle est la bibliothèque qui n'y est confrontée ? « Ils n'en mourraient pas tous mais tous étaient atteints... » En physique, lorsqu'on mesure deux valeurs d'une même propriété et que la deuxième est de l'ordre des fluctuations possibles de la première, on peut la négliger. C'est exactement ce que nous allons faire. Nous allons, si vous le voulez bien, circonscrire le problème au domaine des bibliothèques STM, c'est-à-dire aux bibliothèques scientifiques, techniques et médicales, même si à l'intérieur de cette catégorie il faut encore tenir compte de certaines nuances.
Si un bibliothécaire écrit : « La publication scientifique est en crise. Le problème le plus pressant est la réduction de l'accès au savoir scientifique provoquée par les prix toujours croissants des journaux et la limitation des budgets de bibliothèques (3) (TA), on peut se dire : il verse dans le corporatisme, il va demander une augmentation budgétaire.
S'il ajoute : « La crise du journal scientifique est le résultat logique de l'organisation actuelle du marché. Les éditeurs qui obtiennent les droits de reproduction sur des articles de grande qualité (leur principale matière première) peuvent imposer des prix selon des monopoles puisque ces articles ne sont pas interchangeables comme des pots de confiture (4) (TA), il s'aventure sur le terrain de l'analyse économique, qui n'est pas le sien, il outrepasse ses compétences.
S'il termine en disant : « Les changements récents des technologies de l'information et de la communication permettent une réforme du marché. Si le gouvernement veut contrer de manière sérieuse la crise, il devrait cibler sa politique sur la limitation de l'accès, à savoir les droits des éditeurs sur les articles scientifiques. Lorsque le droit de copie sera inactivé en le plaçant dans les mains d'un organisme indépendant, et que les auteurs paieront les éditeurs avec de l'argent et non plus avec des droits, il en résultera un système compétitif de publication scientifique et le libre accès aux articles (5) " (TA), il veut saper le système... c'est un anarchiste.
Mais voilà, divine surprise, les personnes qui écrivent cela ne sont pas des bibliothécaires (6) . Maarten Cornet et Ben Vollaard sont des membres du Bureau central du plan (Centraal Planbureau), qui dépend du ministère des Affaires économiques néerlandais et dont le premier directeur fut un prix Nobel d'économie. Économistes donc, et hollandais de surcroît, est-ce un hasard ?
Le moins que l'on puisse dire est que leur constat est sans appel : le système est bien malade. Comment est-ce possible quand on sait que les plus grandes maisons d'édition affichent des bénéfices plantureux, n'est-on pas allé pour certains jusqu'à 40 % de profit ? La formation de mégagroupes, par le rachat ou la fusion d'entités plus petites, est-elle en cause ? Le phénomène n'est pas propre au secteur. Il en touche d'autres, de l'industrie manufacturière à la banque en passant par le transport ou la distribution, et pourtant la concurrence ne semble pas menacée et les prix ne flambent pas. Pourquoi ?
Dois-je rappeler à des bibliothécaires que le premier journal scientifique digne de ce nom, les Philosophical Transactions of the Royal Society of London, paru en 1665, a opéré plusieurs mutations au cours de sa longue histoire, non pas dans sa forme, qui reste encore très proche de la forme originelle, mais dans son organisation. Jusqu'à aujourd'hui, il a respecté les missions que lui avait dès le début assignées la communauté scientifique, à savoir l'archivage permanent des avancées du savoir humain, l'instauration et le maintien d'un contrôle de qualité par la soumission des contributions à un contrôle collégial exercé par des représentants de leur propre communauté, et la datation de l'origine des théories et des découvertes qui balisent le cours de la recherche. Plus tard, lorsqu'il devint évident que la science avait une dimension sociologique, le journal devint aussi un moyen d'affirmation socioprofessionnelle pour les chercheurs. Dans son fonctionnement, le journal s'est adapté aux modifications de son environnement naturel : le monde de la recherche et le monde de l'édition.
De produit artisanal, sous-traité par des artisans imprimeurs pour le compte de sociétés savantes, il est devenu après la Seconde Guerre mondiale un produit industriel. Sa croissance, liée à celle de la recherche et de la démographie, et la tendance à la spécialisation ont limité l'importance des grands journaux sectoriels, qui ont essaimé en un grand nombre plus spécialisés. Les éditeurs commerciaux, entrés dans le secteur et engagés dans une âpre lutte pour se partager ce territoire et pour occuper les nouveaux créneaux issus de son développement, ont favorisé, parfois jusqu'à l'absurde, cette entropie.
Cette situation a prévalu jus-qu'en 1990. Les bibliothécaires se plaignaient certes déjà d'un taux de croissance anormal tant dans le volume de la production, gonflée abusivement par le syndrome « publish or perish », que dans les prix, dont les augmentations dépassaient toujours le taux normal de l'inflation. Les plus clairvoyants repéraient aussi des dysfonctionnements, anomalies plus ou moins bénignes qui témoignaient déjà de la négligence avec laquelle les bibliothèques étaient traitées. La liste en serait longue mais, de mémoire, je citerai : l'abandon de la base annuelle pour la périodicité et l'introduction de périodicités fantaisistes, les changements de titre intempestifs et intellectuellement injustifiés, parfois ridicules, la mauvaise occupation de l'espace typographique, le choix de qualités de papier, mal adaptées à la fonction de documents d'usage intensif...
Petit à petit, des comportements moins innocents se sont fait jour : vente forcée de documents inclus dans d'autres dont ils se séparent subitement en une mitose qui reproduit deux entités autonomes dont les prix s'additionnent ; revente de matériel déjà publié sous une autre forme, comme c'est le cas pour des comptes-rendus de congrès que l'on retrouve à la fois sous forme de monographies et sous forme de fascicules de périodiques, le lien étant noté de la façon la plus discrète.
En 1990, c'est le vertige. Les prix flambent. Les augmentations dépassent allègrement la barre des 10 quand ce n'est pas des 20 %. Les prix peuvent même doubler, officiellement pour répondre à un retard dû au flot croissant de communications, ce qui est parfois vrai. Mais la vraie raison n'est pas là. Ces augmentations sont dictées par les exigences de l'actionnariat, qui réagit au baromètre des bilans financiers. Ravi par la poussée des bénéfices liée à la mondialisation des entreprises du secteur protégé par ses tendances micromonopolistiques, il entend que les résultats se maintiennent d'année en année. Le journal est devenu un produit spéculatif.
Or personne ne semble se poser les questions taboues, même quand le facteur d'impact de certains journaux amorce une descente spectaculaire, à savoir : tout cela vaut-il la peine d'être publié, tout cela vaut-il la peine d'être lu, et d'ailleurs parfois cela est-il lu par quelqu'un d'autre que l'auteur ? Autrement dit, la satisfaction narcissique de certains, auteurs ou laboratoires, justifie-t-elle pareille dépense ?
La réponse serait probablement non si les dépenses liées à leur publication étaient internalisées dans les coûts de la recherche. De même, si les éditeurs devaient comptabiliser dans leurs pertes les frais de publication de ce qui n'est pas lu, ils s'empresseraient de recruter des comités de lecture professionnels aussi sévères que ceux des éditeurs de fiction. Mais voilà, il y a les bibliothèques. Ce sont leurs budgets qui assument les coûts de cette activité dont le produit est offert presque gracieusement aux éditeurs. Les bibliothèques qui, comme la Sécurité sociale, jouent le rôle du tiers payant, se voient accusées de dérapages budgétaires sur lesquels elles n'ont aucune prise. Et c'est l'impasse.
Mais voilà qu'arrivent les NTIC, technologies de l'information et de la communication baptisées nouvelles pour la circonstance. Longtemps restées l'affaire de spécialistes, elles font irruption sur le devant de la scène, et il y a toujours quelqu'un pour déclarer doctement : « Les bibliothèques, c'est fini. Tout est sur internet et tout est gratuit. » Commençons donc notre quête de gratuité parmi les périodiques électroniques.
L'espèce la plus commune est le clone. Copie conforme de son équivalent sur papier, il en diffère par le fait que sa lecture passe par l'imprimante plutôt que par le photocopieur. En effet, si, au grand dam des éditeurs, le périodique se copie beaucoup, ce n'est pas, comme ils le disent, par souci d'économie. Ce réflexe est presque inconnu des chercheurs qui, en la matière, évoluent dans une sphère de pseudo-gratuité. C'est avant tout par souci de confort, car la copie, ça s'annote, ça voyage avec vous. Vous pouvez la prendre au lit ou dans le train. C'est votre bonne conscience aussi : vous avez copié donc déjà à moitié lu, vous pouvez la citer et, ingrat, l'envoyer à la corbeille à papiers sans trop de remords lorsqu'elle devient poussiéreuse.
Gratuit, le clone ? Eh non. Il s'en trouvera toujours pour tenter de vous le vendre en supplément de l'exemplaire papier, ou seul mais plus cher. Reconnaissons qu'il en est d'assez honnêtes pour vous consentir un petit rabais de 10 à 15 %. À ce prix, beaucoup de nos collègues refusent l'offre. Encore, si le clone était aussi fiable que le bon vieux papier, mais la distribution n'est pas toujours au point : les adresses changent, les chargements sont pénibles et, pis que tout, le bastringue ne joue plus si on n'y met pas de thune et il n'y a pas d'archivage possible sans continuité d'abonnement.
Certains éditeurs, plus engagés dans la technologie multimédia, publient des périodiques à valeur ajoutée. Bien sûr, dans de nombreux secteurs, c'est attrayant de pouvoir contempler des illustrations de grande qualité que l'on peut détailler, de disposer de tables de données trop volumineuses à imprimer, de pouvoir visualiser des images en trois dimensions et même des animations. Gratuit tout cela ? Que nenni, et on le comprend. Mais, pour le bibliothécaire déjà confronté à des finances contestées, rabotées, tiraillé entre ceux qui veulent conserver les acquis et ceux qui veulent profiter du changement, la tentation est grande de voter le statu quo.
Quant au vrai périodique électronique, il se suffit à lui-même, il n'a pas d'équivalent imprimé. Économique, il ne nécessite pas de gros moyens, mais il rapporterait peu sans la présence d'un message publicitaire qui apporte les fonds nécessaires. Certains y croient dur comme fer. Après tout, alimenter la recherche par la publicité, n'est-ce pas déjà ce que font les grandes collectes médiatisées ? Le danger serait plutôt que l'homopublicitatis, comme l'éponge gorgée d'eau, ne sature et ne rejette le sublime message, et qu'alors le dieu publicitaire cesse de faire tomber sur l'éditeur la manne de ses investissements.
Ainsi donc, le périodique scientifique est devenu un produit comme un autre, que l'on lance et soutient par des campagnes publicitaires, dont on soigne ou modifie le " look et que l'on peut éliminer sans pitié si les bénéfices ne sont pas suffisants. Il est dès lors normal que non seulement le produit mais aussi ses méthodes de vente se diversifient.
La plupart des éditeurs favorisent la vente par lots (bundles, packages...), qui leur permet d'imposer - ils disent offrir - aux bibliothèques un certain nombre de titres dont tous n'ont pas le même degré de nécessité, au nom de la cohérence des collections et avec à la clef un petit rabais qui a souvent tendance à se perdre dans les augmentations annuelles. Cette pratique, qui s'est largement répandue ces dernières années dans le monde de l'imprimé, se confirme dans le paysage électronique.
La vieille pratique du prix différentiel, selon laquelle les abonnés individuels bénéficient d'un tarif outrageusement préférentiel, n'a de sens que si le journal est offert comme un service au titre de membre d'une société sans but lucratif. Dans une transaction commerciale, une telle discrimination arbitraire entre acheteurs devrait être mieux réglementée. Peu de chercheurs sont vraiment intéressés par ces journaux-mammouths visiblement destinés au marché captif des bibliothèques. Les leur offrir tient plus de l'opération publicitaire que d'une réalité économique, preuve que ces offres concernent des surplus sans valeur, le périodique étant déjà rentabilisé par son marché naturel.
Récemment, un éditeur a créé la surprise en proposant l'instauration d'un prix différentiel pour les périodiques électroniques selon la catégorie de bibliothèque, basé sur des estimations budgétaires et éventuellement sur la fréquence et le volume des connexions. C'est une piste intéressante, que les bibliothécaires devraient négocier via leurs associations professionnelles et qui pourrait profiter aux deux parties.
Les éditeurs commerciaux auraient certes apprécié le principe du « pay-per-view », qui leur eût permis de transformer les ordinateurs de nos étudiants et chercheurs en machines à sous, mais la communauté scientifique, encore attachée au modèle de la bibliothèque et de la recherche dans des services secondaires, n'a pas vraiment réagi. Ils ont rebondi en cherchant la présentation la plus adaptée à ce modèle bien accepté et ils ont choisi la présentation en portail.
Celui-ci se présente comme une bibliothèque virtuelle donnant accès à toute une panoplie de journaux qui peuvent d'ailleurs aussi appartenir à d'autres éditeurs que le propriétaire, les accords commerciaux sont faits pour cela. Si l'on y ajoute la publication de tables des matières, parfois envoyées par courrier personnel, la présence d'un module de recherche plus ou moins sophistiqué, le lecteur se retrouve dans un environnement qui lui paraît extrêmement familier. Ce n'est pas par hasard que les bibliothécaires assimilent les portails à des chevaux de Troie. Nonobstant, ils sont d'autant plus lourds à charger et plus lents à manoeuvrer que le contenu en est gonflé ; l'organisation est généralement loin d'être exemplaire, et la publicité pour les autres produits de l'éditeur est souvent envahissante. Ce faisant, ce sont aussi les distributeurs de périodiques, après les bibliothèques, que veulent bouter hors du marché les éditeurs afin de fidéliser un public qui, malgré un conformisme largement répandu, pourrait se laisser tenter et s'aventurer dans des voies alternatives.
Car l'alternative, c'est précisément ce que cherchent certains. Dans les bibliothèques, on s'intéresse davantage à l'aspect technique de l'acquisition par la négociation plus réfléchie des contrats et licences qui lient aux éditeurs. On retrouve le vieux réflexe de solidarité et de réciprocité qui est à la base de toutes les activités regroupées sous le terme faussement précis de prêt interbiblio-thèques au travers de regroupements coopératifs de type consortia. Malheureusement, s'ils ont les meilleures intentions du monde, les consortia risquent de freiner la recherche d'une solution.
Grosses machines administratives, fort éloignées des préoccupations de la recherche elle-même, ils offrent aux poids lourds du secteur une sécurité que l'évolution de ce dernier était prête à leur retirer. Les consortia arrêtent le cours des désabonnements, ou du moins, en les intensifiant apparemment mais en évitant la perte financière par un transfert de coûts sur des titres moins demandés, ils stabilisent la position de l'éditeur et lui offrent un répit qu'il mettra à profit pour opérer tranquillement la reconversion du secteur.
Et la concurrence dans tout cela ? La panacée universelle de la mondialisation, le combustible de la croissance, qu'en est-il ? Muselée dans un secteur dont les tendances oligopoles ont été à plusieurs reprises stigmatisées par des économistes, elle va peut-être surgir là où on l'attendait le moins, chez les chercheurs eux-mêmes, car certains bousculent les habitudes et s'engagent dans la voie de l'expérimentation, la plus naturelle pour eux.
Libre accès, le mot est lâché. Pionnier, le physicien Ginsparg a lancé en 1991 le concept d'archives électroniques alimentées par les auteurs et accessibles gratuitement à tous. Le moins que l'on puisse dire est que l'initiative fort semblable imaginée l'année dernière par Harold Varmus n'a pas reçu une adhésion aussi massive qu'il l'espérait. Peut-être a-t-il eu le tort d'y donner au départ trop de publicité ? Il reste vrai que les domaines visés sont très différents.
Il est difficile pour ne pas dire impossible d'être un imposteur dans le domaine de la physique théorique. C'est au contraire facile en médecine et dans les sciences humaines, où l'on rencontre assez fréquemment des phénomènes de fraude et des canulars. Un contrôle sévère s'impose donc à l'entrée, mais c'est une question d'organisation plus que de philosophie. En hurlant « c'est impossible chez nous », on fait l'affaire de ceux qui jouissent depuis longtemps d'un droit de cuissage sur la recherche.
« Sans avenir, gadget d'étudiant », criaient aussi les informaticiens lorsque l'un d'entre eux eut l'idée de créer un système d'exploitation dont le code serait public et que chacun aurait la liberté de perfectionner sans avoir celle de se l'approprier. Pourtant, Linux est né, il grandit, il se porte bien et des sociétés commerciales ont bâti en aval des activités qui leur rapportent là où des sociétés traditionnelles voient leurs stratégies remises en cause.
Cette évolution est-elle possible et viable dans l'édition scientifique ? Je n'en sais rien, mais je constate qu'au moins une société commerciale a déjà été fondée sur le principe du libre accès aux lecteurs et aussi aux auteurs, dans un premier temps du moins. Reprenant un concept qui a réussi dans le domaine papier aux deux plus prestigieux journaux généralistes que sont Nature et Science, l'éditeur espère rentabiliser son projet par les rentrées publicitaires et l'accès à des articles spécifiques comme les informations [news] et les états de la question [reviews] (7) .
Quoi qu'il en soit, l'éditeur a réussi à intéresser à son concept le décidément récidiviste Harold Varmus, déjà cité, et Steve Hyman, le directeur du National Institute of Mental Health. Les 6 et 7 juillet prochains devraient nous en apprendre plus sur la question puisque le nouveau venu parrainera une conférence sur le libre accès à la New York Academy of Medicine.
Ceux des bibliothécaires que la fluctuation inverse du prix des périodiques et des finances de leur institution avait pratiquement mis hors jeu fêteront-ils bientôt leur grand retour? Ou, selon la boutade déjà un peu éculée, tous les bibliothécaires seront-ils au chômage parce que tout sera gratuit sur internet ? Ce n'est pas parce que la voiture est plus répandue, moins coûteuse et plus fiable qu'il y a trente ans qu'il n'y a plus de garagistes. Bibliothécaires scientifiques, gardez confiance, l'avenir est devant vous.