Index des revues

  • Index des revues

La demande explicite des usagers et les acquisitions

2000
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    La demande explicite des usagers et les acquisitions

    A la médiathèque des Sept-Mares

    Par Hugues Van Bésien, Conservateur de la médiathèquedes Sept-Mares

    A la médiathèque des Sept-Mares (à l'époque, avant restructuration en 1999, 1 600 m2, 340 000 prêts annuels et 800 000 F de crédits d'acquisition), le service était organisé en trois espaces adultes, jeunesse et musique, avec trois pratiques différentes. Le service jeunesse tenait en grand dédain son cahier des lecteurs, le dérobant pour éviter qu'on n'y inscrive des grossièretés (prétexte fort répandu) et ne donnant quasiment aucune suite écrite aux rares demandes. Le service musique ne possédait pas de cahier, mais faisait remplir aux usagers des fiches de demande ; les demandes étaient généralement honorées et la fiche suivait le circuit du document.

    Ce système a deux inconvénients : il limite l'expression des usagers aux seules demandes de documents et ne permet pas de porter à la connaissance générale les questions et les réponses faites à un usager ; il accentue l'aspect de personnalisation du service au détriment d'un échange/transparence entre le service et une communauté/collectivité d'usagers.

    La procédure des fiches coexistait avec une pratique de réservation proche d'une pratique de suggestion, dans la mesure où un dialogue intense entre des bibliothécaires/acquéreurs spécialisés par genres musicaux et les usagers permettait à ces derniers de connaître les intentions d'achat avant les prises de commande, de faire connaître leurs souhaits, et éventuellement de se voir réserver les disques à un stade précoce du traitement du document sans passer par les fiches.

    Service personnalisé sans exclusive pour telle ou telle fraction du public et connivence avec un interlocuteur étaient donc les deux caractéristiques d'un fonctionnement difficilement quantifiable mais finalement très satisfaisant pour les deux parties, et contribuant à constituer en usager le public des adolescents, qui pré férera toujours le lien personnel à la procédure écrite...

    Seul le cahier de la bibliothèque adultes (livres, revues, vidéos) se prêtait donc à un bilan classique. Sur l'exercice 1999, il a été utilisé par 87 usagers, donc une infime minorité de ceux-ci, pour diverses remarques et pour demander l'achat de 102 documents (hors vidéos). Des remarques concernaient les horaires d'ouverture, des demandes ou des questions sur les projets de la bibliothèque en matière de nouveaux supports (cédéroms et DVD).

    L'utilisation du cahier, pour être le fait d'une petite minorité, concerne quand même plus de gens qu'il n'y paraît, puisque l'on compte seulement une dizaine d'« abonnés » pour neuf dixièmes d'utilisateurs occasionnels, qui ne s'en sont servis qu'une fois pendant la période en question. On peut donc considérer qu'avec le temps une fraction non négligeable du public entre dans le jeu, d'un volume tout à fait comparable, par exemple, à celui du public concerné par l'action culturelle... Pour les rares demandes de vidéos, pour lesquelles nous ne faisons que quelques commandes annuelles sur des catalogues changeants, nous ne répondons pas en termes de refus ou d'accord, mais nous exposons les limites de notre accès à la production.

    En ce qui concerne les demandes d'imprimés : 6 ont été réorientées vers d'autres sites du réseau qui les avaient déjà, parce que nous ne souhaitions pas acheter un exemplaire de plus ; 8 correspondaient à des titres déjà acquis ; 13 ont échoué parce qu'elles portaient sur des documents épuisés ou non identifiables ; 3 portaient sur des documents en commande ; 18 ont été rejetées ; et 54 ont donné lieu à des acquisitions suivies de réservations.

    La faiblesse du nombre de titres déjà en rayon au moment de la demande témoigne de l'effort antérieur des usagers demandeurs : ceux-ci utilisent effectivement les catalogues ou sont passés par les bibliothécaires. Les demandes satisfaites portent sur des titres qui, pour certains, auraient été achetés de toute façon mais, même dans ce cas, en répondant à une demande exprimée, nous avons valorisé l'usager et la bibliothèque.

    Ce n'est du reste pas le cas de figure le plus fréquent. En effet, les demandes ne portent quasiment jamais sur des best-sellers ou sur des titres en vue, mais concernent des acquisitions banales, peu notables, appartenant aux « non-incontournables » : la demande de l'usager permet d'opter entre deux équivalents, de lever un doute, elle donne un paramètre décisif. Elle contribue donc, à la marge (étant donné les quelques dizaines de titres concernés), à améliorer la diversité de nos collections, et nous conduit à expliciter certains choix, à nous poser certaines questions, en particulier sur ce que nous refusons d'acheter.

    On peut dire que chaque réponse fait progresser la définition de nos limites. Les demandes rejetées le sont parce qu'elles portent sur des publications anciennes (nous limitons au maximum les achats rétrospectifs), sur des titres trop spécialisés (manuels universitaires) et, pour une dizaine, sur des ouvrages de développement personnel, de psychologie pseudo-scientifique de la mouvance new age ou sur des manuels de pratiques divinatoires.

    La charte des acquisitions locale nous permet en théorie de poser ces limites (1) , mais les motivations ne sont en général pas données (mention « non retenu »), pour ne pas stigmatiser l'usager ou ne pas entrer en conflit idéologique avec lui. Elles le seraient en cas de contestation de notre réponse, ce qui ne s'est encore jamais produit. Si une contestation se produisait, nous devrions probablement en passer par une explication de texte pour prouver que le titre refusé entre bien dans les catégories d'ouvrages exclues, par exemple celle des ouvrages racistes et antisémites ; on peut penser que l'usager contesterait encore soit notre appréciation de celui-ci comme appartenant à une catégorie proscrite, soit le bien-fondé de notre exclusion, par exemple à propos des pseudo-sciences.

    Jusqu'ici, il n'y a jamais eu de commentaires secondaires sur nos décisions, mais divers indices montrent que le cahier est aussi suivi par le public (« merci pour votre réponse du... »). Le fait que le plus grand nombre des demandes soit visiblement satisfait contribue sans doute à conférer une forme de légitimité aux décisions de la bibliothèque... C'est pourquoi on peut penser que le cahier améliore nos relations avec les usagers.

    La demande exprimée dans le cahier, et en particulier le fait que ces demandes ne reflètent pas la demande massive portant sur certains titres, décelable par exemple dans le grand nombre de réservations portant sur ceux-ci, peut s'expliquer de deux façons : les utilisateurs du cahier ont peut-être un profil différent de celui des lecteurs de succès ; et plus probablement, la demande massive ne s'exprime pas dans le cahier parce qu'elle est correctement satisfaite, à la fois dans sa nature et dans ses délais.

    Le terme correct » a lui-même deux significations possibles. D'une part, il n'y a pas de pénurie, cette demande est satisfaite. D'autre part, les usagers ont admis un autre de nos principes de fonctionnement : en matière de fiction, nous achetons sans exclusive de genre parmi les nouvelles publications, sans jugement de valeur littéraire dans le sens d'une exclusion, mais jamais plus d'un exemplaire. L'usage actuel du cahier attesterait alors la pertinence de nos acquisitions par rapport à la demande, le caractère satisfaisant de nos délais de mise à disposition et le niveau correct de nos moyens, qui permet de répondre à la demande et de travailler largement sur l'offre.

    Dans une ville de banlieue récente à la sociologie simplifiée, où certaines classes sociales très présentes dans les bibliothèques des villes moyennes de province sont absentes ou sous-représentées (intelligentsia universitaire, bourgeoisie érudite des sociétés savantes, retraités, personnels des services de l'État), la demande est elle-même relativement « tronquée par rapport à ce qui peut être observé ailleurs : il en résulte une moindre tension sur le système d'acquisition. Notre cahier est donc un modeste indicateur, mais néanmoins un indicateur valable, fût-il au beau fixe.

    1. Voir dans ce numéro « La mise en place d'une politique de gestion des collections formalisée dans les médiathèques du syndicat d'agglomération nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines ». retour au texte