Index des revues

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    Par Yves Alix
    Gabriel de Broglie, Président
    Francis Donnat, Rapporteur

    Le Droit d'auteur et l'internet

    Rapport du groupe de travail de l'Académie des sciences morales et politiques. Presses universitaires de France, 2001. - 105 p. -(Cahier des sciences morales et politiques). -ISBN 2- 1305- 1468-5. 98 F.

    La question du droit d'auteur, et plus généralement de la propriété intellectuelle, sur internet est une de celles qui donnent lieu dans la presse au plus grand nombre de commentaires infondés, d'approximations et d'à-peu-près. Déjà égaré par la complexité des problèmes que l'univers numérisé introduit chaque jour dans la maîtrise des contenus protégés par le droit d'auteur qui circulent sur le réseau, le praticien des bibliothèques et des centres documentaires est encore plus démuni à la lecture des comptes-rendus de presse dès qu'il s'agit d'affaires mettant en jeu ces problèmes. Il était temps que des analyses vraiment sérieuses viennent mettre un peu d'ordre dans nos esprits.

    Déjà, en 1999, André Bertrand, assisté de Thierry Piette-Coudol, rappelait opportunément l'essentiel, à savoir qu'internet n'est pas un espace de non-droit, dans un « Que sais-je ?» toujours d'actualité . Tout récemment, Bertrand Warusfel a consacré un volume de la collection « Dominos » aux seules questions de propriété intellectuelle ; c'est une approche tout à fait recommandable également. Cependant, c'est le rapport de l'Académie des sciences morales et politiques publié par les PUF qui, en dépit de son apparence un peu officielle, apporte le plus de lumières sur le sujet et peut être recommandé en toute priorité. La raison en réside essentiellement dans la rigueur de raisonnement qui soutient l'ensemble du discours, et dans la clarté de l'exposé, qui permet au profane de se faire une idée parfaitement suffisante (et utile pour l'action) des enjeux mis en oeuvre.

    La législation sur le droit d'auteur doit à la fois protéger les droits que les auteurs (et aujourd'hui les interprètes et les producteurs) ont sur les oeuvres et leurs copies, et assurer dans de bonnes conditions la diffusion de la création littéraire et artistique. Cet équilibre toujours difficile à maintenir est mis en péril par l'environnement numérique, qui permet de réaliser sans limites des copies quasi parfaites et de les faire circuler sans altération sur le réseau. Cette nouveauté fondamentale peut laisser croire de prime abord que la construction patiemment élaborée depuis plus de deux siècles pour protéger efficacement la création n'est plus adaptée à cette nouvelle donne. Or, il n'en est rien : d'un point de vue juridique, comme le souligne l'introduction, « le droit d'auteur s'applique entièrement au réseau internet et la numérisation de l'oeuvre ne change rien à cela dès lors que la législation sur la propriété intellectuelle saisit l'oeuvre en tant que résultat d'une activité créatrice de l'esprit

    Cependant, l'introduction du numérique et le développement de l'échange des oeuvres sans support-objet ont fait apparaître le caractère lacunaire du droit, qui en réduit sensiblement l'effectivité, en particulier en ce qui concerne les droits patrimoniaux. Il importe donc de combler ces lacunes, dans le cadre d'une harmonisation non plus nationale mais internationale ; c'est l'objectif des traités de 1996 signés sous l'égide de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, qui adaptent aux conditions nouvelles de circulation de l'information les règles essentielles en la matière. La directive en cours d'adoption sur « l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information » s'inscrit dans ce cadre.

    Pour mieux cerner les insuffisances actuelles du dispositif législatif et réglementaire, rendre possible son actualisation et ouvrir la voie à une véritable régulation, l'ouvrage, dans un discours fortement charpenté et dense (une gageure tant la difficulté de synthèse est ici difficile), fait successivement un bref rappel historique du droit d'auteur, dont il ressort essentiellement qu'il est né du support et qu'il s'appuie sur lui, et un exposé des implications du numérique sur ce droit : l'oeuvre désormais clonée (la copie ne se distingue plus de l'original), désagrégée (l'hypertextualisation autorise toute forme de modification et de tronçonnement), enfin insituée ou a-topique (où est l'original ?), peut être reproduite, mixée, consultée et conservée dans des conditions radicalement nouvelles.

    Sur cette base, l'ouvrage s'attache ensuite à mesurer l'importance des lacunes du droit, étant entendu que par ailleurs la numérisation ne modifie en rien la nature des oeuvres (en tant que contenu). C'est ainsi que les deux volets traditionnels des droits patrimoniaux apparaissent dans ce contexte les plus menacés : la reproduction évidemment, mais aussi la représentation, dont la définition est complètement remise en cause. À cet égard, les utilisations dites « privées », plus ou moins bien cernées et considérées comme licites dans le dispositif qui protège l'auteur contre la contrefaçon, le parasitisme ou la concurrence déloyale, prennent sur internet une dimension d'une tout autre nature.

    Le troisième chapitre fait l'inventaire des moyens à mettre en oeuvre pour combler les lacunes de la législation et conduit à un développement très éclairant sur la « voie de la régulation », dans lequel le rapporteur plaide pour une voie médiane de corégulation, seule susceptible d'éviter les conséquences néfastes de la seule autorégulation des opérateurs ou de la régulation autoritaire par l'État. Enfin, la conclusion évalue les conséquences prévisibles de l'adaptation en cours des législations sur les conceptions présumées antagonistes du droit d'auteur et du copyright.

    Bien entendu, cet ouvrage de réflexion, très marqué par une vision académique sans cesser pourtant d'être pragmatique, ne peut pas rendre les services d'un manuel ou d'un guide pratique ; s'il fait par ailleurs un état précis et détaillé des évolutions juridiques en cours, il est hélas condamné à être très rapidement dépassé sur le plan strictement factuel. Mais la mise au point théorique et analytique qu'il apporte a, quant à elle, toutes les chances de servir longtemps de référence. On ajoutera que, sur un tel sujet, un livre de surcroît écrit dans une belle langue, ni technocratique ni jargonnante, est un objet trop rare... qui devrait être protégé.