Index des revues

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    Coup de blues sur Toulouse

    Par GENEVIÈVE BOULBET.
    Par JEAN-NOËL SOUMY, Conseiller pour le livre DRAC Midi-Pyrénées
    Par CHRISTINE BATAILLE, Présidente groupe ABF Midi-Pyrénées
    Par RAYMOND CLEE, Directeur Médiathèque départementale de la Haute-Garonne
    Par PIERRE JULLIEN, Directeur BM de Toulouse
    Par CLAIRE CHAIGNEAU, Bibliothécaire école des Beaux-Arts.
    Par Marie-Dominique HEUSSE, Directeur SICD et du SCD Toulouse 1
    Par PIERRE CHOURREU, Directeur SCD Université Paul-Sabatier Toulouse 3
    Par THÉRÈSE GROS, Ingénieur CNRS au Laboratoire de Génie chimique Responsable de la médiathèque depuis 1965
    Vendredi 21septembre 2001, 10(120 : l'usine chimique AZF (Azote de France) explose. L'onde de choc cause des dégâts considérables : 30morts, 2500blessés, 25000logements et un tiers des établissements d'enseignement partiellement ou entièrement détruits. Les bibliothèques ne sont pas épargnées. Nous avons souhaité donner la parole à nos collègues qui ont eu à faire face à « t'événement » et surtout à ses conséquences, à court et long terme. Chacun s'exprime selon sa sensibilité, son esprit de solidarité et surtout sa volonté de reconstruire... vite... pour le public.

    JOURNÉE NOIRE POUR LE LIVRE

    Le choc du 21septembre à Toulouse restera aussi une journée noire pour le livre : si, heureusement il n'y eut à déplorer que peu de blessés (et même ce peu est de trop), des lieux du livre ont été touchés, tous les lieux, des éditeurs aux bibliothèques, plus profondément souvent que par les importants dégâts matériels.

    Que l'on en juge par ces exemples :

    • Les éditions Milan ont vu leur siège, situé au plus près du désastre, complètement dévasté (plusieurs millions de réparations) ; malgré cela, par un sursaut d'énergie, avec une pugnacité sans pareille, les éditions ont mis à peine une douzaine de jours pour sortir un ouvrage sur le 21septembre, vendu au profit des sinistrés.
    • * Les Presses Universitaires du Mirait, pivot de la politique éditoriale de l'Université du Mirait, situées dans l'un des bâtiments les plus exposés, se trouvent sans domicile fixe sinon des appartements personnels ; leur énergie et la solidarité active de tous devraient leur permettre de repartir bientôt.
    • * La librairie Études, moins touchée peut-être, se retrouve à panser ses plaies sur un campus déserté, avec une rentrée retardée.
    • * La nouvelle bibliothèque universitaire du Mirail, ravagée avant son ouverture, voit sa mise en route reculée probablement de presque un an ; l'ancienne ne pourra rouvrir que dans des conditions précaires et provisoires.
    • * La Médiathèque départementale, fortement touchée (deux millions de dégâts), a dû arrêter ses tournées et l'accueil des dépositaires ; la formation ABF, brusquement privée de toit, a heureusement trouvé refuge à Colomiers grâce à la commune.
    • * Les quatre annexes de quartiers de la bibliothèque municipale de Toulouse les plus touchées, Bagatelle, Reynerie, Bellefontaine et Empalot se sont trouvées dévastées (plus de deux millions et demi de travaux), incapables d'exercer leurs missions.

    À l'urgence de la remise en marche de tous ces établissements, le ministère de la Culture et le Centre National des Lettres vont apporter leur soutien ; tout sera fait pour aider au maximum à une reprise rapide, mais rien ne pourra effacer les blessures internes des personnels de ces établissements, qui réagissent à retardement à la violence de ce choc. Cependant, une image me restera de cette catastrophe : celle de la bibliothèque Empalot, seul bâtiment encore en état de marche dans un quartier en ruines, devenant la cellule d'urgence où se regroupaient assistantes sociales, psychologues, assureurs et secouristes pour répondre - ou essayer de répondre - à la détresse de centaines de personnes par jour : cette bibliothèque meurtrie était la bibliothèque dans la ville, le retour de la vie dans le quartier.

    Que son personnel en soit particulièrement remercié.

    LE RÉSEAU SE MOBILISE

    Les premiers coups de fils sont brefs, graves, lourds d'anxiété retenue :

    • Allô ?... Ça va ?
    • Ça va, pas de blessé, des dégâts matériels.

    Premiers mots, premiers soulagements qui vous laissent sans voix : on avait craint le pire, alors les dégâts matériels, c'est peu de choses ! On ose à peine demander si les livres ont été touchés !

    Mais dans les heures, les jours qui ont suivi, il a bien fallu se rendre à l'évidence : l'onde de choc de l'explosion qui a frappé Toulouse ce 21septembre à 10h 20n'en finirait pas de nous meurtrir : matériellement et sûrement aussi psychologiquement.

    Le fameux réseau des bibliothèques, souvent relégué au rang de voeu pieux prend forme soudain face à l'adversité : l'information circule de collègue à collègue, apportant des nouvelles de tel ou tel ou commentant le bilan (toujours provisoire) des structures touchées.

    Pour notre groupe ABF, une première mesure s'est imposée rapidement : trouver asile à la formation que la Médiathèque départementale ne pouvait plus recevoir. L'accueil des nouveaux étudiants s'était fait justement le lundi précédent. Quand on sait l'effort personnel qu'il faut fournir pour reprendre des études, il paraissait difficile de décevoir les démarches accomplies : Raymond Clee, responsable de cette formation, Marie-Françoise Guenette, qui en assure la logistique, et moi-même sommes partis en quête d'un lieu. La mairie de Colomiers, ville de la périphérie toulousaine, très sollicitée bien sûr à ce moment-là, a bien voulu accepter que la formation ABF soit accueillie dans les locaux de sa bibliothèque municipale le jour de fermeture hebdomadaire. Les 17étudiants pourront ainsi reprendre leurs cours dès le 8 octobre.

    En tant que Présidente du groupe ABF Midi-Pyrénées, je tiens à assurer tous nos collègues toulousains de notre soutien et surtout de notre solidarité dans ces moments éprouvants. Ils ne doivent pas hésiter à solliciter le bureau de notre groupe pour toute aide dont ils auraient besoin, pour eux ou leurs structures, aujourd'hui mais aussi dans l'avenir, quand le découragement devant la tâche à poursuivre les laissera démunis. Notre association n'est pas seulement un contre-pouvoir ou un groupe de pression, elle doit être aussi une force d'union.

    Dans ces circonstances, les deux journées d'études programmées les vendredi 16 novembre et lundi 17décembre seront plus que jamais l'occasion de se rencontrer. je terminerai cet article par une observation plus personnelle mais dédiée à tous nos collègues.

    La bibliothèque de Colomiers où j'exerce, n'ayant enregistré ce vendredi 21aucun dégât si ce n'est, comme pour beaucoup d'habitants de l'agglomération, une grosse frayeur, nous avons réouvert nos portes dès le lendemain, convaincues toutefois que le public serait peu nombreux. Au contraire, nous avons pu alors mesurer devant l'affluence au prêt de lecteurs venus en fait chercher une présence autant qu'un ouvrage, l'importance du rôle d'écoute et d'accueil des bibliothèques. Nous le savions déjà, bien sûr : ces événements nous l'ont encore une fois démontré.

    "'JE ME SUIS ENTENDU MOURIR

    Le « je » qui commence un article d'une revue aussi sérieuse peut sembler incongru.

    Mais l'explosion qui a secoué Toulouse, a marqué à vie chaque esprit quand ce n'est pas chaque corps.

    Lorsque j'ai vu le gros nuage ocre et malodorant s'élever au-dessus de la Médiathèque, j'ai tout de suite compris que l'usine chimique, située tout près, de l'autre côté de la rocade, venait d'exploser.

    Dans la cour, personne ne manquait à l'appel. Deux collègues étaient légèrement blessées.

    J'ai alors donné au personnel la consigne de rentrer à la maison, en essayant, si possible, d'emprunter un chemin inverse de celui du nuage toxique.

    Ma peur n'a eu d'égale que ma colère : j'allais mourir à cause de TOTAL-FINA-ELF!

    Le gardien de l'établissement refusant de quitter les lieux, j'ai décidé de rester avec lui.

    Je pensais avoir vécu à ce moment-là les heures les plus terrifiantes de ma vie.

    C'était sans compter sur France-Info. Les journalistes de cette radio du service public ont-ils été formés par une école nationale des Sciences de l'information ? J'en doute.

    J'ai d'abord entendu comment le nuage allait me tuer. Ensuite, comme j'avais survécu aux deux gaz mortels, véhiculés par le nuage, France-Info m'a expliqué comment cette fois, j'étais sûr de mourir. Un spécialiste m'a décrit les souffrances que j'allais endurer : j'allais me noyer de l'intérieur, les poumons remplis d'eau !

    J'ai résisté au choc de l'information et mon collègue gardien m'a offert un repas que je n'oublierai jamais.

    Monsieur Desmaret, le 21septembre 2001, j'ai été plus intoxiqué par France-Info que par votre nuage !

    Dès le vendredi 21après-midi et pendant le week-end, avec quelques collègues revenus sur les lieux, le travail de sauvegarde, de sauvetage, a commencé : mise à l'abri de certains documents et matériels, obturations des baies en aluminium fracassées, gardiennage de l'établissement éventré.

    Dès le lundi 24, le personnel, très fortement choqué, se retrouvait à midi autour d'un repas improvisé. Très vite, ce personnel exemplaire s'est attelé à des tâches devenues banales à Toulouse : organiser la solidarité autour de collègues durement touchés dans leur logement, nettoyer et rendre opérationnel au plus vite l'outil de travail.

    Je termine ce billet d'humeur par des remerciements chaleureux adressés à tous les nombreux collègues qui ont manifesté leur solidarité et amitié.

    BIBLIOTHÈQUE municipale : LES ANNEXES ENDOMMAGÉES ET MOBILISÉES

    L'explosion survenue le 21septembre à l'usine AZF a provoqué des dégâts dans 4bibliothèques de quartier : Bagatelle-La Faourette, Reynerie, Bellefontaine et Empalot, ainsi que dans le bâtiment abritant le service des bibliobus et des prêts aux collectivités.

    Trois enfants ont été blessés par des éclats de verre à la bibliothèque Bellefontaine et ont pu être évacués et remis à leurs parents. Nous n'avons à déplorer aucun blessé parmi les personnels de toutes ces bibliothèques. Ceci tient sans doute au fait qu'entre la première explosion et la seconde déflagration qui a provoqué tous ces dégâts, il s'est écoulé quelques secondes que beaucoup ont mis à profit pour commencer à évacuer. C'est notamment le cas à la bibliothèque Bagatelle-La Faourette où le bureau qu'occupait l'un des responsables a été ravagé par suite de la chute de la façade en alu et de l'ensemble des vitrages qui a atterri sur le plan de travail et sur le fauteuil qu'il occupait quelques secondes auparavant.

    La façade en verre agrafé de cette bibliothèque a tenu le coup mais certains piliers de soutien ayant atteint leur limite d'élasticité devront être changés.

    Dans les autres bibliothèques, nous déplorons également des bris de vitres, des huisseries métalliques faussées et des faux plafonds entièrement ravagés, l'effet de souffle s'étant répercuté entre le plafond en béton et le faux plafond.

    Le même phénomène s'est produit dans les locaux du service des bibliobus et des prêts aux collectivités.

    Le coût des réparations s'élève pour tous ces équipements à 2 630 000 F.

    Les bibliothèques ont dû être gardiennées dès le vendredi soir par des vigiles. Curieusement, pour protéger ces édifices publics, la collectivité devait recourir au privé alors que logiquement, on aurait pu s'attendre à une garde par la gendarmerie ou l'armée sur réquisition du préfet...

    Les bâtiments ont été mis hors d'eau et hors d'air dès le samedi par le service architecture de la mairie.

    Les bureaux de contrôle ont effectué une visite au début de la semaine suivante et nous attendons les réparations qui nous permettront d'assurer à nouveau l'ouverture au public. Les services de l'architecture et les entreprises sont mobilisés en priorité sur les écoles.

    Les bibliobus ont pu continuer à assurer leur service.

    La bibliothèque d'Empalot a été réquisitionnée pour abriter la cellule de soutien aux personnes sinistrées, cellule comprenant 14personnes dont le Maire de quartier, un avocat, un assureur, un médecin, des assistantes sociales et des psychologues.

    Le personnel a dû être mobilisé pour assurer l'accueil, le tri et l'orientation des personnes, extrêmement nombreuses, venant demander aide et soutien. Cette cellule a fonctionné durant la première semaine après l'explosion, week-end compris, de 8 h à 20h.

    La semaine dernière, ces horaires ont été allégés, la demande étant un peu moins pressante et les intervenants absolument usés par ce travail très stressant.

    Nous espérons être en mesure de rouvrir très prochainement. Dans l'attente, les personnels de certaines bibliothèques comme Bagatelle-La Faourette assurent le fonctionnement d'une bibliothèque de rue et interviennent dans des lieux associatifs en direction des enfants.

    Nouvelles DE LA BIBLIOTHÈQUE DE L'ÉCOLE DES BEAUX-ARTS

    Nous sommes situés sur le grand virage de la Garonne... ce qui explique la violence du choc dans ce secteur. Le 21septembre, à 10h 18, toutes nos vitres ont explosé, les fenêtres ont été tordues ; heureusement, à 10h 17, un des employés a senti le souffle et, en se levant brusquement de son bureau, a évité les éclats de vitre... À part un gros livre d'art poignardé, pas de blessés, juste un des caissons du plafond du fonds ancien qui s'est soulevé et reste inquiétant, de guingois.

    Le plus rude, c'est l'après catastrophe, nous vivons ouvertures condamnées par du contreplaqué, comme pendant un bombardement, à la lumière électrique, et ceci pour trois mois, six mois, un an ? Nous ne sommes bien entendu pas prioritaires et l'administration avance avec prudence... Avec les amitiés des taupes des Beaux-Arts !

    AU-DELÀ DU SYMBOLE... L'EFFICACITÉ

    Située au coeur du centre historique de Toulouse, l'Université des Sciences sociales Toulouse 1a moins souffert de l'explosion que les établissements universitaires situés dans la moitié sud de l'agglomération. De tous les bâtiments de l'université, c'est la bibliothèque de l'Arsenal qui a connu les dégâts les plus importants (baies vitrées cassées, portes électriques de l'entrée comme enfoncées par un bélier, châssis d'aération éjectés des murs, la quasi-totalité des seize skydomes du hall éclatés...). Comme ailleurs, il y a eu des petits miracles : trois collègues occupant le même bureau ont reçu le faux plafond sur la tête, mais s'en sont sorties sans une égratignure.

    Le premier choc passé, les lecteurs évacués dans le calme, l'inventaire des dégâts réalisé, un double constat a pu être rapidement fait :

    • * les bâtiments n'avaient pas subi de dommages mettant en péril les personnes ni empêchant un fonctionnement quasi normal. Après expertise de l'architecte et du bureau d'étude, passage et accord de la commission de sécurité, et quelques consolidations de fortune, la BU de l'Arsenal pouvait être rouverte dès le lundi après-midi ;
    • * le personnel dans sa majorité a fait preuve d'un très grand sang-froid et de beaucoup de présence d'esprit dans les minutes et les heures qui ont suivi le drame. La plus grande source d'inquiétude, une fois connue la cause de l'explosion, était de ne pouvoir avoir aucune nouvelle des siens, aucune communication téléphonique n'ayant été possible pendant plusieurs heures. Pour autant, une équipe est restée sur place le temps nécessaire pour vérifier que le bâtiment était totalement évacué, et sécuriser au mieux les équipements informatiques notamment.

    Dès le lendemain du drame et les jours suivants, les premiers gestes concrets de solidarité se mettaient en place entre les universités : recherche de solution d'hébergement, de locaux de stockage, de moyens divers à proposer.

    L'université Toulouse 1a ainsi accueilli rapidement plusieurs équipes de chercheurs du Mirait, installés à la Manufacture, parfois avec des moyens de fortune ; cette installation leur a toutefois permis de bénéficier d'un espace de travail, d'une connexion informatique et d'un lieu de rencontre et d'échanges avec les autres membres de leur équipe. Les besoins des étudiants qui devaient soutenir leur mémoire ces jours-ci ont également été pris en compte, et des locaux ont été trouvés pour le déroulement de leur soutenance. En matière de documentation, la coopération entre universités toulousaines est une réalité de longue date (tous les étudiants du site disposent d'une carte unique de lecteur leur permettant de fréquenter toutes les bibliothèques du réseau et d'y emprunter des ouvrages). Cependant l'impossibilité pour de très nombreux étudiants d'accéder aux collections développées spécialement pour eux- ceux du Mirail en lettres et sciences humaines, ceux de l'Ensiacet en chimie - donnait un caractère particulier à cette exigence de coopération. Assez naturellement, cette dernière s'est mise en place selon une logique « disciplinaire » : entre l'Université Paul Sabatier (scientifique) et l'INP/Ensiacet, et entre les Universités Toulouse 1et Toulouse 2le Mirail pour les sciences humaines et sociales. Ainsi, il a été décidé que les fonds particuliers acquis pour les étudiants préparant les concours du Capes et de l'Agrégation en lettres et sciences humaines seraient déménagés pour être mis à leur disposition dans les deux bibliothèques universitaires de Toulouse 1. Cette action a été assez facile à mettre en oeuvre en raison du caractère limité, sur le plan numérique, des collections et des publics concernés. La perspective de la réouverture de la plupart des bibliothèques du Mirail, correspondant avec la date prévisible de la reprise des cours dans cette université, rend inutile, fort heureusement, toute autre hypothèse de déménagement des collections.

    Au-delà de ces actions, limitées mais fortes symboliquement, la poursuite du travail normal au sein du réseau documentaire des universités de Toulouse est aussi un moyen de raccrocher les uns et les autres à une réalité quotidienne qui doit permettre d'évacuer peu à peu le traumatisme subi. Les formations - au système informatique, au SU -, après une hésitation, ont repris leur cours accéléré de période de rentrée, les groupes de travail travaillent, la messagerie électronique, lien plus que jamais précieux, démultiplie les échanges. Si l'explosion, les peurs et les dommages causés laisseront des traces durables, les universités et leurs bibliothèques mettent tout en oeuvre pour sortir plus fortes et plus solidaires de ce drame.

    UNE CHAÎNE D'ALERTE DÉFICIENTE MAIS DES RÉACTIONS REMARQUABLES

    Davantage épargnée que Le Mirail ou l'INP Toulouse, l'université Toulouse 3a toutefois été durement touchée par l'explosion de l'usine AZF. Si on n'y déplore pas de victimes graves, en revanche de nombreux bâtiments ont souffert. Au total, ce sont en effet près de 15ME (100MF) qui seront nécessaires à un retour complet à la normale : 3ME pour les réparations, 12pour la reconstruction. Plusieurs bâtiments de l'université, situés île du Ramier à proximité immédiate du site AZF, sont en effet à reconstruire.

    Hormis les destructions complètes, les bibliothèques universitaires figurent au premier rang des bâtiments ayant souffert. À la BU Santé, site de Rangueil, ce sont les 2/3des baies vitrées des deux salles de lecture qui sont détruites. Qui plus est, ce ne sont pas seulement les vitres, mais toute la menuiserie qui est à remplacer. Dans le gros oeuvre, d'anciennes fissures se sont élargies, de nouvelles se sont créées. De nombreuses portes ne ferment plus. Malgré la violence du choc, les structures restent toutefois saines, et nous avons pu rouvrir cette bibliothèque le lundi 1" octobre, sans suppression de places de lecture.

    La BU Santé du centre-ville (allées Jules-Guesde) est moins touchée, mais a néanmoins perdu plusieurs vitres et portes. Elle a rouvert le 2octobre.

    La BU Sciences présente moins de bris de fenêtres (20% de casse environ), et apparemment semblait avoir moins souffert. Mais au final, c'est un bâtiment très amoindri qui a pu rouvrir le 2octobre : 25% des places de lecture sont condamnées, pour cause de périmètres de sécurité à respecter ; la salle de formation est pour l'instant inutilisable, une cloison défoncée menaçant de laisser écrouler le faux plafond. Si les structures vives ne sont pas touchées ici non plus, il faudra sans doute plus de temps pour récupérer un usage complet.

    Les bibliothèques associées ont pour leur part été assez peu touchées (quelques vitres et huisseries).

    Il faudra réhabiliter : c'est une affaire d'argent, et il semble que les moyens prévus soient à la hauteur de l'urgence. Il faudra aussi tirer les leçons de notre comportement face à un accident important.

    La première réaction a été satisfaisante, sans doute facilitée par l'absence d'état de choc sur notre campus, distant d'un peu plus de 3km du lieu de l'explosion : pas de réaction de panique, évacuation rapide des locaux. C'est ensuite que nos décisions ont été insuffisantes. Les bibliothèques ici ne sont pas en cause, mais l'ensemble de la chaîne d'alerte et de commandement :

    • * absence de déclenchement des sirènes d'alerte chimique, dans toute la ville ;
    • * saturation quasi immédiate des communications téléphoniques, coupant l'université des centres de décision (cellules de crise de la préfecture, du rectorat et de la mairie de Toulouse) ;
    • * non utilisation du courrier électronique resté opérationnel, comme j'ai pu le vérifier;
    • * non signalement de locaux à coup sûr confinés, permettant de mettre à l'abri le maximum de personnes. Cette lacune aurait pu être dramatique, si les produits relâchés dans l'atmosphère avaient été gravement toxiques.

    En revanche, la réaction de tous pour surmonter la crise a été remarquable. L'après-midi du 21, déménagement des matériels les plus sensibles dans des pièces sûres. Et à partir du lundi 24, participation aux côtés des équipes des Services techniques au déblaiement et à la remise en route. Dès le mercredi soir, nous étions en mesure de retravailler. Seule l'attente du passage des bureaux de vérification, pour confirmer le premier avis des services techniques sur la sécurité de nos bâtiments, a retardé la réouverture. Je tiens à saluer pour cette solidarité et cette efficacité tous les collègues des bibliothèques.

    CHIMIE CONTRE CHIMIE ?

    L'ENSIACET (École nationale en Arts chimiques et technologiques de Toulouse)) ou A7est l'une des trois écoles d'Ingénieurs composant l'INPT. Elle est issue de la fusion de l'ENSIGC (École nationale supérieure d'Ingénieurs de Génie chimique ), et de l'ENSCT (École nationale supérieure de Chimie de Toulouse)

    C'est dès 1949que Joseph Cathala, pionnier du Génie chimique en France, fondateur de l'Institut du génie chimique et dont l'intelligence et la personnalité restent encore dans la mémoire de chacun, est absolument persuadé qu'une école d'ingénieurs ne peut se développer sans moyens bibliographiques. Alors que l'école avait encore très peu de moyens, il confie à un ingénieur CNRS la tâche de réunir les très nombreuses collections d'ouvrages et de périodiques qu'il avait personnellement ramenées du Canada et d'Angleterre.

    Afin de favoriser les échanges Université- Industrie, il décide, avec l'autorisation des pouvoirs publics, d'implanter cette école appelée alors « Institut du Génie chimique » sur le site actuel de l'île du Ramier, et ainsi, peu à peu à partir de 1961, une bibliothèque toujours plus riche et à la pointe du progrès se développe autour des étudiants, des chercheurs et des industriels du site. La détermination des directeurs de l'école et des laboratoires qui se sont succédé, de consacrer, malgré les difficultés et sur ressources propres, une partie non négligeable de leur budget à la bibliothèque, fait de celle-ci, dans le domaine du Génie des procédés, la bibliothèque de référence en Europe.

    L'une des caractéristiques importantes de ce service était non seulement de gérer en un seul et même lieu les collections concernant à la fois les unités d'enseignement et de recherche (Laboratoire de Génie chimique), mais encore grâce aux échanges importants Université - Industrie de l'ENSIACET, d'être ouverte largement sur le monde socioéconomique et notamment au secteur industriel PME-PMI. Ceci explique qu' au cours des cinq dernières années, d'importants dons de documents soient venus consolider le fonds documentaire. Il faut noter la très importante donation de la Société Atochem la Grande Paroisse (AZF) qui a cédé l'intégralité de son fonds documentaire à l'ENSIGC et L'IRCHA (institut de Recherches Chimiques Appliquées), qui a fait don de ses collections à l'ENSIACET.

    En 1976, l'informatique gagnant le secteur des bibliothèques avait permis de faire évoluer les méthodes de travail. Nos voisins industriels pratiquaient depuis peu l'interrogation des bases de données en ligne sur les serveurs américains. C'est à l'aide de leurs conseils et des formations reçues au Centre national des Industries chimiques de Paris, actuellement : Union des Industries chimiques (UIC), que terminal et modem ont à cette époque fait leur apparition dans la bibliothèque, permettant ainsi l'ouverture en 1978 du premier service universitaire toulousain de recherche bibliographique en ligne sur les serveurs nationaux et internationaux.

    En 1983, la base de données IGC-DOC voyait le jour et, en 1988, tous les services de la bibliothèque (Opac, gestion des prêts, gestion financière...) étaient entièrement automatisés via le logiciel texto.

    En 1996, au sein du groupement inter-établissements « Midigep », le réseau documentaire thématique Midigep en génie des procédés permettait la mise en commun des catalogues des ouvrages, thèses, congrès, périodiques et publications des chercheurs des bibliothèques de cinq établissements (ENSIGC, EMAC, LAAS, INSA, ENSGTI) ayant des ressources documentaires en chimie génie des procédés.

    Depuis 1997, les pages web de la médiathèque disponibles à distance et un important service de veille technologique mis à jour régulièrement, offraient à la communauté de génie des procédés, les sommaires électroniques de périodiques, les programmes électroniques des congrès, ainsi qu'une liste très riche d'adresses internet en Génie des Procédés

    La création du Service commun de la Documentation de L'Institut national polytechnique, en 1997, avait permis à la médiathèque de recevoir, en plus des ressources propres de l'école, des moyens humains et financiers complémentaires de la part du ministère de l'Enseignement supérieur. Tout en continuant à animer et participer au réseau thématique Midigep, elle participait au réseau géographique des bibliothèques universitaires de Toulouse sur lequel elle avait versé en octobre 2000la totalité de ses collections.

    La naissance du serveur d'informations Erasme permettait depuis 2000, la consultation sur l'intranet de l'INP de l'ensemble des ressources électroniques communes ou spécifiques des trois bibliothèques de l'INPT.

    Un important projet d'agrandissement était prévu, les plans de la nouvelle médiathèque de l'ENSIACET étaient prêts et la nouvelle médiathèque devait ouvrir en octobre 2002.

    Mais le 21septembre 2001, le sort en décidé autrement et la catastrophe survenue à AZF a entraîné la destruction intégrale du site, et différé le projet de construction actuel.

    Le personnel, très légèrement blessé, a été miraculeusement épargné, malgré des dégâts matériels considérables. Par contre, les hommes et les femmes de ce site sont très affectés moralement de constater qu'un demi-siècle de réalisations puisse s'effondrer en quelques secondes. Dans ce grand malheur, les collections, même si elles sont criblées de débris de verre, sont intactes. Elles ont été protégées de la pluie très rapidement et la bibliothèque drapée de bâches noires est en deuil.

    Mais nous sommes encore là et il faut réagir et réagir vite à cause des nombreux étudiants qui venaient pour certains d'intégrer l'école et dont il faut assurer la scolarité dans des conditions correctes, des thésards qui doivent avoir rapidement les moyens bibliographiques pour poursuivre leurs thèses et des chercheurs qui ont des contrats à honorer, mais hélas, vite aussi à cause des « vautours de toutes sortes », qui tournent autour des gravats.

    Malgré des conditions difficiles, le personnel de l'école et de la médiathèque continue à travailler. Une médiathèque d'urgence permettant d'aller à l'essentiel va être installée le plus vite possible dans des Algecos sur le site de Rangueil de l'ENSIACET. La plupart des collections de périodiques seront regroupées dans des bâtiments sécurisés du futur site de l'ENSIACET sur lequel l'école et sa médiathèque seront reconstruites.

    Mais, même si l'accident survenu à AZF a provoqué la destruction du site du Ramier de l'ENSIACET, n'oublions pas que ce site industriel avait offert à la médiathèque l'ensemble de ses collections. À travers ces documents, c'est l'histoire du développement d'une entreprise chimique qui nous est offert. Quelles que soient les décisions prises, l'histoire ne s'arrête pas là et la vie continue. À nous de faire très vite revivre tout ce splendide patrimoine et, à travers lui, la chimie et la sécurité des hommes et des procédés industriels.