Véronique Chatenay-Dolto représente M. Dupuit, directeur de la DLL. Ses propos débutent sur l'opportunité d'avoir pour thème l'enfance puisque désormais, il existe une réelle prise en compte de la valeur patrimoniale des fonds.
Selon madame Chatenay-Dolto, il est urgent et nécessaire de prendre en compte le patrimoine en littérature de jeunesse. Il est intéressant de commencer recenser, partager, échanger et d'effectuer ce travail dans un cadre collectif.
Des initiatives prises au plan national doivent être reprises au plan régional et seront soutenues par le ministère de la Culture.
Pour l'intervenante, lutter contre l'uniformité, faire un travail de mémoire sont essentiels, c'est le lien entre le patrimoine d'hier et le patrimoine de demain. Il s'agit de l'histoire collective de notre mémoire.
e Tomi Ungerer, écrivain, est chargé de la conférence inaugurale : Des livres pour les enfants en Europe.
Chacun connaît le goût pour la provocation de l'auteur et donc, combien ses propos sont attendus par la plupart des participants...
T. Ungerer commence par une question de vocabulaire en expliquant qu'au mot patrimoine, il préfère le mot matri-moine. Il fait ici référence à ses origines alsaciennes (la patrie) et au fait que c'est surtout la mère qui raconte des histoires. En tant qu'ambassadeur au conseil de l'Europe pour l'enfance et l'éducation, celui-ci expose ses projets. En particulier la création d'une zone de réflexion en Alsace, Lorraine, Sarthe et Bas-Rhin autour du respect. Pour T. Ungerer, ce mot est très important et il constate la qualité pitoyable des livres scolaires qui ne parlent pas assez du respect. Pour ce projet, il y a un besoin de création de livres pour petits et tout-petits pour un enseignement précoce.
La conférence se poursuit sur l'importance du livre pour enfants. Aujourd'hui, T. Ungerer crée des livres orientés car il faut parler des choses, des vérités aux enfants. Donc, selon lui, il y a un besoin de réorienter l'album pour enfants, d'autant plus que la France possède un réseau d'auteurs et d'illustrateurs important ainsi qu'un réseau de bibliothèques important et de qualité. Il pense que la littérature enfantine en France est supérieure grâce à sa spécificité des mots, à sa richesse linguistique.
T. Ungerer observe que l'enseignement français tel qu'il est ne permet pas aux enfants l'amour de la littérature et la mission en revient donc aux bibliothécaires. À ce moment de la conférence, T. Ungerer provoque son auditoire et affirme qu'il faut traumatiser les enfants dans nos bibliothèques ! Ses propos seront retenus par les intervenants qui y feront allusion tout au long du colloque...
e Anne-Marie Chartier, maître de conférence au Service d'histoire de l'éducation de l'INRP, formatrice à l'IUFM de Versailles, présente un exposé intitulé : Histoire et représentations scolaires de la littérature enfantine.
i. Une école primaire sans littérature avant 1900 : l'école instruit, donc pas de littérature. La position de l'école à cette époque est d'accepter les contes mais pas pour l'instruction scolaire. Quant aux classiques comme Fénélon ou La Fontaine, il y a une mise en garde pour l'élève envers certaines morales qui peuvent ne pas être comprises.
2. Féminisation des classes, pacifisme de l'entre-deux-guerres : l'idée est de faire de l'enfance un moment axé sur les centres d'intérêts de l'enfant. Les textes instructifs sortent des livres pour enfants mais une sélection de textes moraux est faite (Cosette, Contes du lundi, Capitaine Fracasse, Colette...).
Période voyant l'arrivée du roman scolaire (Peau de pêche, Bridinette) et l'idée que tous les enfants lisent au moins un livre dans leur vie. Madame Chartier souligne l'ambition du projet dans une France où 69% des gens ne lisent pas.
3. Modèle concurrentiel de l'école : les bibliothèques. Les 30glorieuses.
Tout est misé sur le livre de bibliothèque contre les illustrés. Ces derniers sont soupçonnés de produire des délinquants. Anne-Marie Chartier pose la question de savoir si ces derniers lisent.
jusqu'en 1970, on pense que les enfants attendent qu'on leur offre des livres !
Ainsi naissent les débats : comment donner le goût de lire aux enfants ? Des lectures à voix haute ou lectures partagées sont organisées.
C'est l'arrivée massive des images mais l'école ne sait pas régler ce point, les pédagogues ne savent pas traiter ces albums qui s'introduisent à l'école.
4. Apparition de l'échec scolaire et du problème de la télévision : l'après 1970.
La littérature de jeunesse devient un enjeu patrimonial et non d'avant-garde.
Aujourd'hui, le point d'appui de la lecture scolaire est le médiateur humain.
* Isabelle Nières-Chevrel, professeur de littérature générale et comparée à l'université Renne II, présentait : l'évolution des rapports entre le texte et l'image dans la littérature pour enfants.
L'intervenante précise en introduction que l'histoire du livre pour enfants s'inscrit dans l'histoire du livre en général. Ses propos couvrent la période allant du XVIIIe siècle à nos jours.
1. Invasion de l'image
Au début du XVIIIesiècle, les volumes pour enfants sont dépourvus d'images, sauf les frontispices.
En 1859, Hachette sort la Bibliothèque rose illustrée, renouvelant la collection et lui donnant un attrait. Désormais, la présence de l'image est une des marques attendues dans le roman pour enfants.
Vers le milieu du XVlir siècle, naît l'album pour enfants avec Bertall, Rojankovsky...
2. Rapport entre texte et image dans la page
Le format en hauteur est très fréquent malgré l'apparition du format carré qui, d'ailleurs, est assimilé aux livres pour tout-petits.
L'auteur insiste sur l'importance de la page et double page, ainsi que sur le rapport entre le texte et l'illustration et attire l'attention sur le fait qu'il est parfois dommageable de changer de format.
De même que les illustrations dans un roman peuvent amener une injonction morale suivant leur disposition. Une illustration sur une première page, suivie d'une autre illustration sur la page de derrière n'est pas innocente dans son placement. I. Nières-Chevrel insiste sur l'importance de l'interaction de l'image sur le texte. Ainsi, L. Carroll ne peut plus écrire sans savoir qui va l'illustrer, M. Aymé rend l'illustratrice de ses contes responsable de ses écrits.
L'intervenante conclut sur la présence de l'image comme élément constitutif d'une oeuvre.
e Michel Defouny, maître de conférence à l'université de Liège, présente : /' histoire et l'évolution du graphisme dans le livre pour la jeunesse.
L'intervenant part du constat que le format carré envahit le marché du livre pour enfants et pose la question : pourquoi ? Ses recherches lui font dire que le format est adopté suivant l'histoire et surtout l'illustration. La forme peut servir au propos. Ceci dit, le format de base reste rectangulaire. Le format carré est une exception, la démarche est novatrice ; il pose la question de savoir si cela est en écho avec les boîtes de jeu ? Michel Defourny rejoint l'intervenante précédente et constate que le format carré est associé aux tout-petits. Ce format voit son explosion lors des années 1990avec les éditions du Rouergue et conclut à une recherche de modernité. Le carré symbolisant la modernité.
e Christian Amalvi, professeur d'histoire contemporaine à l'université Paul Valéry de Montpellier III, présente : des bibliothèques édifiantes aux collections laïques : l' évolution politique et religieuse des biographies proposées à l'école et au foyer familial de 1830 à 1914.
L'intervenant se propose de montrer les biographies comme armes entre catholiques et protestants dans la France du xixe siècle et du début du XXe siècle. Il constate que l'Histoire est au service de la morale et de la religion. Ainsi, pour les catholiques, les biographies exorcisent le « péril protestant et pour les protestants, elles protègent du clergé.
Christian Amalvi énumère quelques thématiques de ces bibliographies : l'église montrée comme étant au service du peuple, la glorification des croisés, la commémoration des grands serviteurs de l'État...
e Thierry Crépin, docteur en histoire, propose : l'ascension d'une presse enfantine engagée (années 1930-1950). Dans les années 1930à 1950, la presse est engagée (oeuvres catholiques) avec Coeur vaillant et sa version féminine, Âme Vaillante. L'abbé Courtois, sous le pseudonyme de Jacques
Coeur, en est le fondateur. Entre 1939à 1942, la propagande du gouvernement de Vichy irrigue le journal. À partir de 1942, le discours est plus centré sur la spiritualité puis c'est le déclin de l'apologie du gouvernement de Pétain et la naissance du journal de Fripounet à la libération.
Puis les années 1960accusent un déclin du mouvement entraînant celui des journaux.
e Jean-Hugues Malineau, auteur, est invité à présenter sa collection de livres pour la jeunesse.
Un parcours subjectif composé par l'écrivain lui-même à travers la bibliothèque municipale d'Annecy nous permet de découvrir l'histoire de l'illustration du début du xixe siècle aux années 1950. Avant la visite, J.-H. Malineau explique ses motivations pour cette collection :
Hélène Viallet, directrice des Archives départementales de Haute-Savoie, développe : les sources d'archives et pistes de recherche pour une histoire de l'enfance.
Hélène Viallet s'attache aux XIXe et xx' siècles, dans la mesure où la préoccupation sociale de l'enfant apparaît seulement au XIXesiècle. L'intervenante fait une énumération de différents états de l'enfant, dont voici la liste.
L'enfant du malheur
En 1811, bien qu'apparaisse la première loi de l'Assistance publique, l'assistance des enfants reposait encore sur la charité. Par la suite, l'organisation du service des enfants assistés et la coordination des dispositions d'assistance vont évoluer jusqu'en 1964, date de la création de la DDASS. Les sources d'archives concernant cette époque sont : la BN, les Archives départementales (avant 1862, les services hospitaliers), les archives des hospices et hôpitaux, des orphelinats, des établissements spécialisés, les archives municipales, privées et associatives et les congrégations religieuses.
L'enfant protégé
L'enfant est victime puis parfois justiciable.
L'enfant du travail
Les lois scolaires de la IIIeRépublique (1881) ont entraîné les principaux changements, malgré les résistances des parents et des patrons.
Les archives départementales et d'entreprises servent aux recherches concernant cette période.
La santé de l'enfant
Les archives des PMI (Protection maternelle et infantile) font référence.
L'enfant et ses loisirs
La santé et les loisirs des enfants commencent à être pris en considération à partir des années 1930. Actuellement, environ 200associations s'occupent des loisirs infantiles.
L'enfant dans son cadre de vie familial
Ici, pratiquement, seules les archives particulières peuvent aider la recherche.
H. Viallet s'attache à retracer le regard porté sur l'enfant et nous fait part de la grande diversité des sources ainsi que de l'importance des archives associatives.
e Danielle Alexandre-Bidon de l'Université de Lyon nous présente : l'enfance au Moyen Âge.
L'intervenante fait un rapide exposé historique :
En fait, selon D. Alexandre-Bidon, il est rare qu'un enfant possède un livre. Même dans les familles aristocratiques, l'enfant ne possède que 5à 6 livres.
Notre interlocutrice donne quelques exemples de livres :
Quant au livre de fiction, il est réfuté, ainsi que les fables et les contes qui n'ont pas bonne réputation. Enfin, l'apocryphe est interdit.
D. Alexandre-Bidon donne des critères définissant le caractère juvénile d'un livre :
* Isabelle Saint-Martin, de l'École pratique des Hautes Études, fait un exposé sur : la symbolique de l'enfance et images de piété.
I. Saint-Martin introduit son propos par le fait que les images de piété sont de petit format, peu coûteuses et donc présentes dans tous les foyers.
Du XVIe au XVIIIe siècle, les images traditionnelles représentent peu les enfants, puis au XIXesiècle, l'enfant symbolise le début de la vie.
Le modèle privilégié est l'Enfant Jésus qui incarne la faiblesse et l'humilité. De la faiblesse, on passe à la gloire de l'Enfant Jésus.
L'intervenante explique que ce qui est proposé est le thème de l'obéissance à travers le vie de Jésus enfant, il n'y a pas de notion canonique.
Le propos se termine par la notion de différence entre les images de piété et les images religieuses.
e Anne de Saint-Dreux, du Centre national des archives de la publicité, traite de : l'enfant dans la publicité.
En introduction, A. de Saint-Dreux annonce l'enfant dans la publicité comme étant l'enfant sujet, objet, consommateur et acteur.
Les enfants représentés dans la publicité sont d'abord travailleurs et vantent surtout des produits alimentaires. L'enfant est alors dans une situation paradoxale, il est dans un monde adulte (exemple de l'enfant livrant des bouteilles devin).
On trouve une autre représentation de l'enfant, celle de l'enfant bourgeois faisant référence à la comtesse de Ségur. Ici, il s'agit de publicités pour les produits de luxe.
La troisième catégorie d'enfant est celle des bébés. Avec le soucis d'hygiène dans les familles, arrivent les publicités pour les lessives, les savons, les laits maternisés, etc. En peu de temps, on passe de la fabrication artisanale à la consommation de masse.
A. de Saint-Dreux explique que de 1880à 1914, il y a eu peu de changements dans la publicité mais plutôt la naissance d'une cible : les enfants.
Après la première guerre mondiale, la France a besoin de se repeupler, la publicité crée alors le bébé cadum pour la marque Colgate. Cette image de bébé pour vanter un savon engendre plusieurs réactions : reconnaissance d'une marque, concours de bébés. Ce besoin de donner une identité à ce bébé donne lieu à des rumeurs. A. de Saint-Dreux constate donc une représentation très prégnante et ayant des influences dans la croyance populaire.
L'époque contemporaine, selon l'intervenante, nous soumet à une autre sorte d'image. Aujourd'hui, l'enfant a changé de statut et est devenu consommateur. Les enfants parlent aux enfants car un enfant est sensible à l'image d'un autre enfant, d'où la représentation de certains produits par les enfants. Cela dit, A. de Saint-Dreux fait remarquer que l'on voit des enfants dans des catégories autres que celles des enfants comme les eaux minérales, les voitures. En fait, les adultes sont touchés par leur progéniture.
Actuellement, on passe de l'enfant dominé à l'enfant dominateur. L'enfant, qui est sécurisant pour l'adulte, devient inquiétant. L'enfant est représenté en groupe contre l'adulte. A. de Saint-Dreux pose la question de savoir s'il y a dérive ou non. Cette deuxième matinée du colloque nous a donc fait passer de l'enfant malheureux à l'enfant roi, puis à l'enfant pieux et enfin à l'enfant de « pub ».
e Jean Glénisson, directeur honoraire de l'Institut de recherche en histoire des textes, propose : le point de vue d'un collectionneur.
Jean Glénisson parle essentiellement de deux titres : Le Tourde la France par deux enfants dans lequel, selon lui, deux jeunes garçons acquièrent pour le profit des lecteurs des notions d'économie et autres, et Les Livres de l'ombre de 1930, qui est ie premier ouvrage recensant les livres de jeunesse.
Pour l'intervenant, les devoirs du collectionneur sont :
* Serge Plantureux, libraire de livres anciens, donne le point de vue d'un libraire.
Serge plantureux explique dans un délicieux fouillis sa passion de collectionneur ainsi que sa volonté, avec des institutions comme « l'Heure joyeuse », de faire découvrir des ouvrages rares.
e Lucile Trunel, conservatrice à la BN et Olivier Piffault, conservateur à La joie par les livres, présentent : État et devenir de la conservation du livre de jeunesse.
Ces deux conservateurs annoncent la difficulté de faire admettre que les collections de livres pour la jeunesse peuvent être patrimoniales.
Du côté de la BN, celle-ci n'a pas vocation, au départ, de conserver les livres pour enfants. Actuellement, elle souhaite conserver et travailler en partenariat pour mettre en valeur ces collections.
L. Trunel explique comment sont répartis les livres jeunesse au sein de la BN : les collections jeunesse se situent de manière générale au Département littérature et arts, mais les manuels scolaires dépendent du Département histoire, les livres pour enfants étant moins demandés sont dans une tour à part, au rez-de-chaussée sont classés environ 1000 volumes de critiques, dans la réserve figurent les livres rares, le Département droit-économie reçoit la presse enfantine, enfin le département des estampes possède également des livres pour enfants. Autant dire la complexité pour la conservation du livre pour la jeunesse...
Côté Joie par les livres, la problématique de la conservation du livre de jeunesse a été amorcée durant l'entre-deux-guerres par « L'Heure joyeuse ». Néanmoins il n'y a pas de réelle prise de conscience des problèmes de conservation (température des magasins, etc.).
0. Piffault fait un état des lieux de la conservation actuelle des livres de jeunesse : en région, l'INRP (Institut national de la recherche pédagogique) possède 600000documents pédagogiques dont 20000livres pour la jeunesse. La collection ne s'accroît plus, il n'y a pas de politique d'acquisition.
Mais notre interlocuteur fait remarquer que les initiatives sont trop liées à la personnalité des bibliothécaires et à leur engagement et pose la question des perspectives de conservation et de coopération.
Il conclut sur l'idée d'une mutualisation tout en gardant un respect de l'autonomie des établissements. Il lui semble important de travailler en réseau dans l'objectif de réaliser le catalogue collectif des fonds jeunesse.
a Christophe Pavlidès, adjoint au directeur de la bibliothèque de l'I NRP, évoque la conservation des manuels scolaires et la valorisation parla recherche.
Sont évoquées deux institutions de l'INRP, le Musée pédagogique et la Bibliothèque pédagogique, qui possèdent 20 ooo documents antérieurs au xixesiècle.
Des chercheurs, des collectionneurs, des conservateurs, des libraires, des professeurs, autant de professionnels qui ont su pendant ces deux journées nous passionner. Il reste à souhaiter que l'intérêt porté à la conservation des livres pour la jeunesse lors de ce colloque ne reste pas sans actions.