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    Vénissieux

    Perrault au pied des Minguettes

    Par FRANÇOIS MARIN, Président groupe ABF Rhône-Alpes
    Une médiathèque, synthèse d'une double préoccupation : un lieu de convergence entre populations et quartiers hétérogènes et une image positive qui renforce le sentiment identitaire des habitants de la commune.

    Vénissieux, dans l'esprit de beaucoup de personnes, est toujours associé au nom des Minguettes, exemple célèbre, et pourtant banal, des grands ensembles de barres et de tours construits pendant les trente glorieuses, avec les conséquences sociales que l'on sait, facilitées par l'entassement, et aggravées par la crise économique des années 70 : chômage, délinquance, départ des classes moyennes à la recherche d'un meilleur habitat, remplacées par des immigrés souvent mal intégrés.

    La suite est connue, elle s'est répétée un peu partout. L'insécurité et les dégradations, dans un cercle vicieux, entraînent une paupérisation du quartier qui, à son tour, provoque une dégradation de l'environnement urbain et la formation d'un ghetto, à la fois prison pour les familles fragiles qui y résident et repoussoir pour les autres. À Vénissieux, cette impression est encore renforcée par la géographie, car la zone sensible a été construite sur une colline qui domine le centre-ville, ce qui contribue à la rendre visible et à l'isoler. Les médias nationaux ont mis la touche finale à ce tableau sordide en se faisant largement l'écho des violences urbaines qui ont secoué ce quartier, le transformant en symbole du mal des banlieues.

    Par contamination, la ville de Vénissieux a été assimilée aux yeux de l'extérieur à son quartier « chaud », alors que cette commune de l'agglomération lyonnaise, d'origine plutôt rurale, présente par ailleurs le visage d'une ville moyenne paisible, avec un centre-ville commerçant et des zones résidentielles.

    QUAND URBANISME ET CULTURE SE REJOIGNENT

    La municipalité s'est donc trouvée confrontée à un double problème : problème urbanistique - comment stopper la dégradation d'un quartier en difficulté et rompre son isolement par rapport au reste de la ville -, et problème d'image

    comment redonner à la ville une meilleure réputation vue de l'extérieur, tout en rendant à ses habitants une légitime fierté.

    À la première question, l'exode démographique a fourni un élément de réponse - la population est passée de presque 80000habitants à un peu plus de 50000 - permettant une réduction de la densité des logements dans le secteur des Minguettes. La destruction de plusieurs tours, largement médiatisée, a été présentée comme un symbole de la politique en faveur de la réhabilitation des banlieues.

    Sur l'espace ainsi libéré, une vaste opération d'urbanisme, dans laquelle une médiathèque aurait pu trouver sa place, a été envisagée, mais les financements nécessaires à sa réalisation n'ont pas pu être trouvés.

    Pour répondre à la deuxième question, la réflexion a porté sur la création d'un équipement structurant, qui serait à la fois un élément de prestige pour la ville, adressant à l'extérieur un signal positif, et un outil communautaire dans lequel l'ensemble des habitants puissent se reconnaître.

    La médiathèque de Vénissieux est la synthèse de cette double préoccupation : sa vocation généraliste, la lecture publique, sa situation dans l'hyper centre, son accessibilité en font un lieu de convergence entre populations et quartiers hétérogènes ; l'ambition du projet, le renom de l'architecte, le soin apporté aux détails de l'aménagement intérieur et extérieur montrent une volonté de communication positive, de rompre avec une image misérabiliste et de renforcer le sentiment d'appartenance de la population (parce que je le vaux bien, nous dit la publicité).

    UN BÂTIMENT ASYMÉTRIQUE

    Examinons maintenant le bâtiment et son environnement, son aménagement et son organisation interne.

    La volonté de la municipalité était d'utiliser un vaste terrain en friche situé en face de l'hôtel de ville, donc très central, mais peu fréquenté, et de créer des habitudes de déplacements dans ce secteur. Ce souci d'urbanisme a influencé le choix du projet de Dominique Perrault, qui proposait un vaste plateau permettant des circulations faciles dans et à travers le bâtiment, là où ses confrères privilégiaient des solutions à plusieurs étages ou avec une dalle surplombant le boulevard qui sépare la médiathèque de l'hôtel de ville. L'édifice, précédé par une vaste esplanade, s'inscrit dans deux dimensions, une grande barre horizontale interrompue au tiers de sa longueur par une tour verticale qui abrite la salle d'animation et les services internes, et qui délimite à l'intérieur les secteurs enfant et adulte.

    Cette absence de symétrie, justifiée par des raisons pratiques, a aussi un intérêt esthétique, évitant à l'ensemble un trop grand classicisme.

    La façade de verre est occultée par des panneaux métalliques perforés, qui limitent la pénétration de la lumière à l'intérieur, mais qui interceptent aussi le regard. Seule l'entrée principale, sur laquelle s'affiche le mot médiathèque dans un graphisme très réussi, permet de découvrir la vocation de ce bâtiment qui ne laisse par ailleurs rien deviner de son contenu. Les panneaux qui doublent la paroi vitrée sont disposés tantôt à l'endroit tantôt à t'envers. dans un désordre savamment calculé qui vient contrarier l'aspect trop lisse du verre, évitant ainsi la monotonie.

    Sur deux côtés du bâtiment, des gradins en cours de construction délimitent une promenade qui complète l'esplanade et le boulevard qui occupent les côtés opposés.

    Lorsqu'on pénètre dans la médiathèque, on se trouve face à une allée centrale qui la traverse de part en part, et aux extrémités de laquelle sont disposés les points de prêt et d'inscription, le retour étant éclaté dans les différents services. Cette rue est destinée à permettre une circulation d'entrée et de sortie dans les deux sens.

    Cette artère principale est complétée par un large péristyle, délimité par l'implantation des travées et par les cloisons, en armature de bois et panneaux de verre des espaces de lectures. Ce péristyle, vide de tout mobilier, et baigné de la lumière extérieure, est un large couloir de passage et d'accès aux différentes salles et services, ponctué par des bandeaux verticaux qui s'arrêtent à l'aplomb des rayonnages, affichant une signalétique soignée et lisible. Il offre un panorama inattendu sur les alentours du bâtiment : opaque à l'extérieur, la médiathèque est transparente à l'intérieur, comme un livre dans lequel il faudrait entrer pour découvrir le monde.

    Au centre, le plafond a été laissé sans revêtement, laissant visibles les conduits de climatisation, ce qui donne à l'ensemble un petit côté Beaubourg-art contemporain ou salle des machines d'un grand paquebot. L'aspect général manque un peu de gaîté, avec cette dominance de gris qu'on a tenté d'adoucir par le bois utilisé pour les tables et, en association avec l'acier, pour les rayonnages. Les luminaires suspendus dispensent une lumière blanche et froide, mais surtout inégalement répartie, laissant certaines travées dans la pénombre.

    L'aménagement intérieur permet une communication très facile entre les différentes salles de lecture, salle de consultation individuelle, salle de travail en groupe, prêt adulte. Seule la salle de formation multimédia, pour des nécessités de fonctionnement, est entièrement cloisonnée et n'ouvre que sur le péristyle.

    Le plateau, très vaste - 3 500m2sur un seul niveau - favorise la mixité des services et des publics. Seule la section enfantine est physiquement séparée du reste des services par la base de la tour qui abrite les services internes de la médiathèque

    Du côté du secteur adulte, la répartition des collections par centre d'intérêt et par niveau, tous supports confondus, offre une solution originale au problème des adolescents en bibliothèque. Le regroupement des thèmes jeunesse tels que « adolescence », « amour-amitié », « drogue », « vécu », « aide humanitaire », à proximité des bandes dessinées, de la musique rock-variété-rap et du rayon emploi-formation exprime la réalité de ce que, dans d'autres établissements, on appellerait une section adolescent.

    Mais ici, l'habileté consiste à ne pas labelliser le secteur, mais à le banaliser au niveau de la présentation comme des circulations. De cette façon, la médiathèque fidélise un public volatile par une offre appropriée, sans décourager le besoin de regroupement propre à cette tranche d'âge, mais aussi sans l'isoler ni la montrer du doigt, tout en facilitant le passage vers une pratique de lectorat adulte.

    La salle de formation multimédia propose sur onze postes la consultation d'une sélection de sites Internet, et bientôt des accès à l'Internet libre, à des cédéroms en réseau, et à des formations d'initiation au multimédia pour des groupes de quatre personnes.

    Dans une approche pragmatique des besoins du public, les manuels scolaires et outils pédagogiques sont achetés sans état d'âme, dans la mesure où ils peuvent servir aussi bien à la recherche ponctuelle d'un écolier qu'à l'autoformation d'une personne à la recherche d'un emploi.

    Le personnel bénéficie de conditions de travail confortables dans les étages de la tour centrale, avec les difficultés inhérentes aux bâtiments en verre : une climatisation indispensable et pas toujours bien réglée, des stores dans tous les bureaux sous peine de ne pas pouvoir lire les écrans. Malgré ces quelques réserves, aucun membre du personnel ne regrette l'entassement infernal de l'ancienne bibliothèque.

    ET LE PUBLIC?

    La médiathèque répond-elle à son attente ? Comme à chaque ouverture, les curieux affluent, les nouvelles inscriptions s'accumulent, les prêts explosent, le personnel est sur les dents, épuisé mais heureux. Rien d'étonnant dans tout cela, du moins rien d'inédit.

    Ce qui surprend davantage, c'est le calme relatif qui règne à l'intérieur, malgré le volume du bâtiment, malgré l'affluence et la mixité des publics, parmi lesquels on remarque beaucoup de jeunes de toutes origines, et en dépit d'un environnement urbain réputé sensible. Les agents de médiation, postés aux accès ou dans les allées pour rappeler les règles de conduite, les bibliothécaires, nombreux et disponibles dans les espaces publics, les agents de sécurité, appelés en renfort le mercredi et le samedi, préservent avec beaucoup d'énergie, semble-t-il, la tranquillité du lectorat. C'est une grande réussite, point de vue que partageront tous les collègues, et ils sont nombreux, qui ont connu les grandes kermesses et les incidents en tous genres qui émaillent souvent l'ouverture d'un nouvel équipement.

    Un autre grand coup de chapeau pour les tarifs pratiqués : gratuité jusqu'à 25ans pour tous les supports, 50F au-delà, ce qui témoigne d'une volonté réelle de mettre la médiathèque à la portée de tous, malgré des coûts de fonctionnement forcément très élevés.

    Au total, la municipalité de Vénissieux a posé un bel acte de foi envers la lecture publique, en investissant sa médiathèque de plusieurs missions essentielles : être le point de rencontre entre des populations et des quartiers hétérogènes, le principal équipement culturel de la ville, le symbole de son renouveau urbain, et son premier vecteur de communication. Qui d'autre peut en dire autant ?

    je tiens à remercier pour leur excellent accueil Serge Landriat, directeur général adjoint des services municipaux et chef de projet de la médiathèque, qui nous a parlé de son bébé avec passion et talent, la directrice par intérim Laurence Khamkham, qui m'a consacré plusieurs heures d'un emploi du temps surchargé, ses collaboratrices, ainsi que Séverine Carpentier, assistant de conservation, que j'ai pu interviewer pendant plus d'une heure.