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    Le droit des usagers

    L'exemple du Royaume-Unis

    Par Bernard Naylor, Président "Library Association" du Royaume-Uni
    Par Jean-François Jacques, Révision de la version française

    Le facultatif et l'obligatoire

    Pour commencer, je décrirai quelques caractéristiques qui s'appliquent à beaucoup de services publics au Royaume-Uni, y compris aux services offerts par les bibliothèques, et aux relations entre le gouvernement national et notre système d'administration publique. Ensuite, je décrirai la situation des bibliothèques universitaires et de la Bibliothèque nationale, « the British Library ». Enfin, je terminerai en présentant la situation des bibliothèques publiques, les plus importantes pour le grand public.

    Au Royaume-Uni, le financement des services publics est sous la responsabilité soit du gouvernement national, soit des autorités locales. Un important pourcentage des ressources disponibles pour les autorités locales vient du gouvernement central et, en conséquence, est assujetti à son contrôle. Le gouvernement central peut aussi imposer une limite aux ressources décidées par les autorités locales elles-mêmes. Le budget et l'administration des services sont parfois sous la responsabilité du gouvernement central, parfois sous celle de l'autorité locale. Il existe aussi une troisième possibilité : établir et financer une entité indépendante. La Bibliothèque nationale en est un exemple.

    Il arrive souvent au Royaume-Uni que le budget d'un service public soit déterminé par une « législation facultative ». Le développement du service sera autorisé, mais la législation n'est pas très précise dans ce cas sur ses caractéristiques. Les autorités responsables peuvent développer les éléments divers du service et celui-ci demeure, en quelque sorte, expérimental. Cette période d'épreuve peut durer des années, même des décades. Quand le contenu du service devient plus clair, le gouvernement peut introduire une « législation obligatoire » et cette législation en comporte alors une définition plus étroite. Il y a toujours au moins trois considérations : premièrement, améliorer le service selon l'idée originale ; ensuite, garantir que les dépenses seront contrôlées ; enfin, introduire - autant que possible - des éléments favorisés par le gouvernement en place. Utilisant ces lignes générales, je vais examiner les trois types de bibliothèques : universitaire, nationale, et publique.

    Les bibliothèques universitaires

    Dans mon pays, les universités sont financées, pour la plupart, par le gouvernement central. Mais il y a quatre entitées administratives : « the Funding Councils », « les Conseils financiers >, pour l'Angleterre, l'Écosse, le Pays de Galles et l'Irlande du Nord. Ces Conseils reçoivent des ressources du gouvernement et les distribuent aux universités. Le but est de garantir l'indépendance des universités contre n'importe quelle pression gouvernementale. Je voudrais souligner que les employés des universités ne sont pas fonctionnaires. Puisque les universités sont indépendantes, les bibliothèques universitaires sont aussi indépendantes. Chaque bibliothèque est financée par son université, et responsable devant elle.

    Il s'ensuit que les droits versés par les étudiants et les professeurs, comme usagers de la bibliothèque, sont une affaire qui concerne l'université même. C'est la responsabilité du Sénat universitaire, c'est-à-dire l'autorité suprême en matière académique - bien sûr après avoir reçu et étudié les conseils du directeur des bibliothèques. Ces derniers temps, on a développé l'idée d'un « contrat » entre l'étudiant et l'université. Cette idée est une réponse à deux inquiétudes. Premièrement, entre autres choses, l'étudiant est consommateur et, en particulier, consommateur des services de la bibliothèque. Et également, selon des changements récents, la majorité des étudiants paie une partie des frais d'étude et commence à croire que celui qui paie gagne des droits d'usager.

    On peut prévoir que les usagers des bibliothèques vont revendiquer leurs droits dans plusieurs domaines. Par exemple, la disponibilité des services, le niveau de dépense pour les fonds de la bibliothèque, le nombre de PCs (postes de travail) et l'accès à un service de prêt entre bibliothèques. Cependant, je ne crois pas que jus-qu'ici aucun usager ait émis avec succès une réclamation contre une université en raison du niveau de service de la bibliothèque.

    L'accès au réseau

    Nous devons également considérer la question de l'accès des étudiants aux bibliothèques d'autres universités. Depuis longtemps, il y a une tradition de tolérance sur l'utilisation des autres bibliothèques pour la lecture, sans droit d'emprunt. Cette tradition est devenue plus forte au cours de ces dernières années pour trois raisons principales.

    Tout d'abord, on a voulu améliorer la flexibilité du système d'enseignement supérieur par exemple, par les cours à mi-temps, l'enseignement à distance et le transfert de crédits. Cela renforce l'idée d'une approche plus généreuse de l'accès aux bibliothèques. Ensuite, les bibliothécaires eux-mêmes ont essayé d'avoir une attitude plus souple dans les modalités d'accès. L'exemple le plus frappant est le projet qui s'appelle < UK Libraries Plus ». C'est un projet volontariste, lancé par les directeurs de bibliothèques pour faciliter cette forme d'accès, et qui embrasse maintenant plus de cent bibliothèques - plus de la moitié. Le réseau de bibliothèques à Londres (M25) en est un autre exemple. Enfin, un rapport important sur les bibliothèques universitaires, le Follett Report, a été publié en 1993. Ce rapport a inspiré un programme considérable de travail spécifique dans les bibliothèques, surtout en vue d'améliorer l'accès électronique, soit aux « records « bibliographiques, soit au contenu même de quelques oeuvres et collections. Ceux qui ont reçu de l'argent dans ce programme doivent satisfaire une exigence : mettre leurs collections à la disposition de la communauté entière des professeurs et des étudiants.

    Le gouvernement s'est aussi intéressé à l'amélioration de l'accès aux bibliothèques d'université, parce qu'il désire promouvoir l'éducation permanente. Cependant, il doit reconnaître que les bibliothèques universitaires sont indépendantes du gouvernement. Le gouvernement peut seulement émettre des préférences. Il ne peut pas les imposer. En fait, il oriente des ressources considérables en faveur d'un programme majeur de travail pour « la bibliothèque électronique », incluant l'extension des réseaux électroniques aux bibliothèques publiques, la formation du personnel des bibliothèques publiques, et la numérisation de collections importantes. Si les universités désirent l'approbation générale du gouvernement, elles doivent collaborer mais elles n'en ont pas l'obligation légale. Les données statistiques des bibliothèques universitaires sont recueillies par le Bureau des Données Statistiques de l'Éducation Supérieure (Higher Education Statistics Agency - HESA) pour le compte des Conseils financiers, et non pas pour le gouvernement - autre moyen de protéger l'indépendance des universités.

    The British library

    The British library a été fondée en 1973, selon une loi de 1972. La loi a rassemblé plusieurs unités auparavant séparées en un seul établissement. Cette loi était un exemple typique de la « législation facultative dont j'ai déjà parlé. L'acte est très bref et les droits et responsabilités de la bibliothèque y sont décrits en termes très généraux. Je suis membre du Conseil d'administration et je peux vous confirmer que nous discutons quelquefois sur le point de savoir si des activités particulières sont « permises « par la loi ou au contraire, sont obligatoires. Cela n'est pas toujours clair. Nous avons toujours supposé que la bibliothèque est surtout une bibliothèque de recherche et qu'elle a la responsabilité de recueillir toutes les publications du pays, ainsi que les publications étrangères autant que cela est possible avec les ressources disponibles, et de permettre l'accès à ses collections à ceux qui ne peuvent pas trouver ailleurs ce dont ils ont besoin. Le » droit d'accès à la bibliothèque « n'est pas stipulé par la loi, et il est donc contrôlé par le personnel de la bibliothèque. Comme les employés des universités, les personnels de la British Library ne sont pas fonctionnaires de l'État. Il n'y a aucun mécanisme d'appel contre une décision pour exclure quelqu'un. Mais la bibliothèque essaie d'admettre tous ceux qui ont un besoin authentique. Elle a aussi la crainte d'une publicité négative, conséquence d'un refus d'accès abusif. La British Library a aussi agi en tant que centre de notre système de « prêt inter et ses collections énormes de publications périodiques à Boston Spa sont très célèbres. Actuellement, un débat se poursuit au Conseil d'administration pour savoir si le budget d'un service de « prêt inter - est obligatoire selon la loi ou simplement « autorisé ». Il n'y a eu aucune législation significative, complémentaire à la loi de 1972, depuis la fondation de la British Library. La bibliothèque demande actuellement une loi en faveur du dépôt légal des publications électroniques mais le gouvernement a récemment dit qu'il ne peut pas trouver le temps pour voter la législation nécessaire. Les élections récentes ont forcé la bibliothèque à suspendre sa pression. Elle reprendra sans doute ce projet de législation.

    Rôle social ou bibliothèque de recherche ?

    Le gouvernement est la source principale du budget de la British Library. Il est donc dans une position très forte pour influencer la politique de la bibliothèque sans législation supplémentaire. De plus, le ministère de tutelle, le département de la Culture, des Médias et du Sport, est également responsable de son contrôle et il reçoit des informations statistiques sur son fonctionnement. Aujourd'hui, le gouvernement a plusieurs politiques prioritaires. En plus de l'éducation permanente, dont j'ai déjà parlé, il y a la lutte contre l'exclusion sociale et l'amélioration des services publics. Bien que le Conseil d'administration puisse objecter que la loi de 1972 n'impose aucun engagement à la bibliothèque en ce qui concerne ces priorités - qui seront peut-être de courte durée, comme beaucoup de priorités politiques - le gouvernement est capable de presser la bibliothèque d'y contribuer, par le fait qu'il en contrôle les ressources financières. Le gouvernement actuel montre peu d'intérêt et peu de souci pour le rôle de la British Library comme grande bibliothèque de recherche. Il s'intéresse beaucoup à la question de l'accès pour le grand public et très peu au nombre limité de sièges dans la bibliothèque et à la nécessité de limiter leur emploi aux gens qui ont vraiment besoin d'accès aux collections. Il a conclu un accord avec la bibliothèque au sujet des indicateurs principaux de fonctionnement et ceux-ci incluent des éléments tels que le nombre de gens qui visitent les expositions, et le nombre d'événements organisés pour les écoles ou pour la communauté du nord de Londres. Il souhaite même que la bibliothèque montre que divers groupes - tels que des communautés ethniques ou des groupes avec une orientation sexuelle particulière - aient un droit égal d'accès aux salles de lecture et aux expositions. Dans ce large tableau, la notion de droit des usagers joue un très petit rôle. Pour moi, il est inconcevable que des procès judiciaires puissent être intentés, ni pour la défense de la bibliothèque contre le gouvernement, ni pour soutenir les droits des usagers. Les éléments importants sont le pouvoir politique et financier du gouvernement. Pour la bibliothèque, il est de première nécessité de s'assurer que sa source majeure de fonds, le gouvernement, ne soit pas aliénée, pour que la Bibliothèque poursuive une politique raisonnable, en permettant l'accès aux salles de lecture.

    Les Bibliothèques publiques

    L'extension des bibliothèques publiques au Royaume-Uni a aussi commencé avec une législation facultative, le Public Libraries Act de 1850. L'objet principal de cette loi était d'indiquer clairement que les autorités locales pourraient collecter des fonds par un impôt local afin de fournir un service de bibliothèque gratuit. Elles n'étaient pas obligées de le faire mais un nombre croissant d'entre elles a décidé d'inaugurer un service. Il y eut des lois supplémentaires pendant les cent années suivantes mais le changement le plus radical ne survint qu'en 1964. Avant 1964, les autorités avaient le droit de fournir un service, mais aucune obligation. Le Public Libraries Act de 1964 a obligé toutes les autorités locales à offrir - je cite un passage - « un service complet et efficace de bibliothèque pour toutes les personnes qui désireraient l'utiliser >. En raison des complexités de notre situation constitutionnelle, la loi ne s'appliquait qu'en Angleterre et au Pays de Galles, mais en fait, l'Écosse et l'Irlande du Nord avaient déjà leurs services. C'est aussi la loi de 1964 qui, enfin, a donné au ministre une responsabilité générale sur le contrôle et le développement des services, et a obligé les bibliothèques publiques à se soumettre à l'inspection et à fournir des informations statistiques au ministre.

    Bien que la loi de 1964 ait imposé un changement décisif de la permission à l'obligation, elle n'a pas encore entièrement clarifié les droits accordés aux usagers. Le gouvernement affrontait un problème dont j'ai parlé au début de mon intervention. Il soutenait l'idée d'un service de bibliothèque publique gratuit. Il désirait l'amélioration du service, mais il voulait contrôler la dépense publique et ne voulait exposer ni lui-même ni les autorités locales au risque de litige avec un usager, pensant que la réalisation de la loi n'était pas correcte. Donc la loi de 1964 est plutôt vague. Elle n'impose ni un niveau de dépense ni un niveau de service, sauf dans un sens très général, « complet et efficace ». Cela est devenu de plus en plus important en raison des possibilités, toujours croissantes, d'extension du service, par exemple par le prêt de disques, de cassettes et, plus tard, de vidéos. L'accès à l'Internet est un autre exemple récent de l'extension possible du service. Parfois il y a eu des plaintes, au sujet d'un service particulier tombé au-dessous du niveau exigé par la loi : fonds pour l'achat des livres peut-être insuffisants, ou heures d'ouverture d'une succursale réduites, ou annexe fermée. À ma connaissance, il n'y a aucun exemple d'un usager se plaignant avec succès que la loi ne soit pas correctement mise en application, et que ses droits aient été violés. La loi a été formulée en effet de manière à assurer qu'une telle revendication soit impossible à justifier.

    Une tarification facultative

    La loi de 1964 a été promulguée par le gouvernement de Harold Wilson, c'est-à-dire un gouvernement de gauche qui aurait, de manière prévisible, un plus grand intérêt pour la création et l'extension des services publics. En 1991, le gouvernement de Mme Thatcher, un gouvernement de droite, était au pouvoir depuis douze ans. Elle voulait réduire les dépenses publiques, privatiser autant que possible les services publics, et y introduire les lois du marché. Son gouvernement avait peu de sympathie pour les autorités locales, surtout celles de gauche.

    Alors en 1991, le gouvernement a promulgué un décret, qui eut pour effet de clarifier certains points mis en question depuis la loi de 1964. Ce décret s'appelait « The Library Charges Regulations ,, « Régulation des taxes sur les services des bibliothèques ". C'était une régulation facultative, qui prévoyait à quel degré les autorités locales pourraient facturer certains services des bibliothèques. Le prêt des ressources localement constituées restait gratuit. Mais il serait raisonnable de voir dans cette régulation une tentative pour poser la question des taxes à l'électorat, pour voir s'il serait possible de tarifer d'autres services, même les sacro-saints, tels que le prêt normal. Les bibliothécaires aussi réfléchissaient à ces questions. Depuis la loi de 1964, ils avaient répété qu'ils ne savaient pas ce que signifiait un service complet et efficace ». Ils avaient donc demandé à plusieurs reprises que le gouvernement introduise des normes de service. Ils avaient discuté le contenu des normes, par exemple le niveau des dépenses, la proximité des points de service, les heures d'ouverture, l'accès aux nouveaux services, par exemple les ensembles de données électroniques et l'Internet.

    Les normes

    Le gouvernement de M. Blair a enfin répondu à ces demandes, et il y a trois mois, il a promulgué des normes pour les bibliothèques publiques. Mais puisque ce sont des hommes politiques, ils ont présenté les normes comme une obligation pour les autorités locales, comme si celles-ci avaient failli à leur devoir. Bien sûr, à la suite de la promulgation des normes, le ministère a été doté de nouveaux moyens. Mais à vrai dire, les bibliothèques ont reçu cette normalisation avec plaisir. Elles ne sont d'ailleurs pas aussi sévères qu'on aurait pu le penser. Le gouvernement n'a pas voulu ouvrir la possibilité de plaintes des usagers, pour en revendiquer l'application. Il a voulu s'assurer que les bibliothèques publiques jouent leur rôle, en assistant l'action du gouvernement en faveur de l'éducation permanente, de la lutte contre l'exclusion sociale et l'amélioration des services publics.

    Le gouvernement a promulgué des normes budgétaires. Il y a des fonds supplémentaires pour les bibliothèques qui viennent de la loterie nationale, surtout pour la technologie. Les autorités locales sont déjà obligées de soumettre leurs plans de développement des bibliothèques au ministre. Elles ont trois ans pour atteindre les normes. Elles sont obligées de proposer au ministre des informations statistiques. Sans doute le gouvernement va-t-il préparer des « classements des services des bibliothèques comme pour les équipes de foot. Les bibliothèques qui ne se conforment pas aux normes seront identifiées. Nous disons : « name and shame », c'est-à-dire : - nommer et humilier ». Les budgets des services seront plus uniformes. Je crois que les usagers ne sont pas en train d'acquérir de droits plus importants dans le sens légal. Il sera, comme toujours, plus important de promouvoir la qualité des services par le processus politique que par le système légal.