Depuis une vingtaine d'années les Américains organisent partout où ils le peuvent des bibliothèques réservées à ceux qu'ils appellent les « teens », qui ont entre treize (thirteen) et dix-neuf (nineteen).
Ils ont constaté que les habitués des bibliothèques pour enfants répugnent souvent par la suite à fréquenter les bibliothèques d'adultes où ils se trouvent dépaysés et se sentent parfois indésirables. Une campagne est amorcée en faveur des bibliothèques pour jeunes, comme le prouve la brochure : « In every community a youth Library ». publiée par the Young people's reading round table of the American Library association, à laquelle nous avons fait de nombreux emprunts. Déjà dans certaines villes des bibliothèques sont uniquement ouvertes aux jeunes. Il en existe deux à New York. A Sacramento un immeuble a été donné à cet effet à la munici-palité par un riche citoyen. Jeunes gens et jeunes filles y trouvent des salons de lecture aux fauteuils profonds, aux tapis moelleux, une cuisine pour préparer leurs rafraîchissements. Dans une quarantaine de villes des salles spéciales sont aménagées à la public library pour les adolescents et quand la chose n'est pas possible un coin « the teen corner » leur est réservé dans la salle des adultes.
L'accès à la bibliothèque pour les adultes n'est jamais interdit aux jeunes. Ils sont seulement invités à fréquenter de préférence la section qui leur est réservée. Au début ils hésitent mais après quelques incursions dans tous les coins de la bibliothèque, ils reviennent à leur section et ne cherchent plus à la quitter. Cependant les bibliothécaires s'efforcent de les familiariser avec la bibliothèque pour adultes en les y envoyant compléter une documentation ou chercher un ouvrage particulier.
Pour ces bibliothèques de jeunes un personnel spécialisé est formé auquel on demande certaines qualités particulières. « La bibliothécaire doit avoir un sens aigu de l'humour, être sans prétention, connaître les livres d'Hélène Bolyston à Tolstoï, s'intéresser à l'actualité et avoir une grande largeur d'esprit. Si elle possède ces qualités, elle a de grandes chances d'être adoptée de grand coeur par les jeunes et fera d'eux ce qu'elle voudra. » Notre collègue américain remarque très justement : « Si un adulte n'est pas adopté par les jeunes, peu importe sa valeur, il ne fera rien de bon avec eux. »
Les livres sont choisis avec soin pour répondre au goût des jeunes, comme en témoignent les différentes listes qui ont été publiées, et auteurs et éditeurs s'efforcent de répondre aux demandes des jeunes lecteurs. Mais surtout dans leur bibliothèque les jeunes sont chez eux. Ils y lisent, mais aussi organisent des expositions, écoutent de la musique, discutent. La Bibliothèque ressemble à un club par ses activités diverses qui toutes se servent du livre. Club de poésie à Cleveland, groupe de critique à New-York. Le simple registre où les lecteurs faisaient connaître leurs impressions est devenu un bulletin mensuel ronéoté et une émission à la radio a lieu tous les samedis matin. Des programmes d'étude sont établis à la rentrée. « Regards sur le monde nouveau » a donné l'occasion à Détroit d'entendre tour à tour un journaliste, une hôtesse de l'air, un champion de « base-ball », une spécia-liste de la mode. Les jeunes ont eux-mêmes organisé les conférences, fait la publicité et dirigé les débats. A Cleveland le thème « Un seul monde » a permis d'évoquer différents pays par des lectures, des expositions, des séances folkloriques, des présen-tations de costumes. Deux séances de musique par semaine sont consacrées à New York, l'une au jazz, l'autre aux classiques, avec auditions de disques, concerts et conférences. Dans les petites bibliothèques on peut relever des programmes moins ambitieux mais semblables. Toutes ces manifestations satisfont l'esprit créateur des jeunes, leur goût pour le travail en équipe, mais elles supposent aussi des recherches variées dans la bibliothèque, éveillent la curiosité, attirent l'attention sur certains ouvrages et ainsi peuvent révéler l'intérêt de la lecture.
Pour ma part, je me plais souvent à évoquer cette bibliothèque de quartier. l'Adam street branch library, que j'ai visitée à Boston et qui m'est apparue comme un modèle. Les bâtiments, un rez-de-chaussée sans étage, ont été étudiés afin de pouvoir facilement changer de destination si la bibliothèque venait à déménager et devenir station d'essence ou super-market. Construits en bordure d'un jardin, qui l'été accueille les lecteurs, ils comprennent une grande salle de lecture très claire, très accueillante avec ses meubles aux couleurs vives, divisée par des rayonnages bas et des cloisons vitrées, qui séparent sans les isoler, la section des adultes, celle des enfants et celle des jeunes ; à gauche une salle de réunion sert aux conférences, aux concerts, aux séances de cinéma et aux jeux dramatiques ; à droite sont aménagées les pièces réservées au personnel, bureau de travail, salle commune, cuisine et chambre de repos. Sept bibliothécaires dont deux bibliothécaires à mi-temps, un manutention-naire, assurent le service. Deux jeunes bibliothécaires ont la charge de la section des adolescents (13 à 20 ans) ouverte il y a un an. L'une s'occupe plus spécialement des garçons, l'autre des filles. Quand un jeune arrive elles lui demandent de répondre à un questionnaire et d'indiquer ce qu'il veut faire dans la vie, ses distractions préférées, les livres qu'il aime. Les jeunes gens ont entrepris avec leur monitrice l'étude du port et l'exploration des îles. Ils vont régulièrement pêcher et nager mais ce n'est pas en vain qu'ils ont décidé de s'appeler «The reviewers». Ils font régulièrement la critique des livres qu'ils lisent et établissent des listes choisies. « Les reviewers recommandent...» Le groupe de jeunes filles « the busy teens » parfaitement organisé, avec présidente, vice-présidente, secrétaire, demande à ses membres une cotisation de 10 cents par semaine pour le coca-cola, les tables, etc. Il se réunit tous les quinze jours et pendant plusieurs mois a discuté du « grooming ». Ce fut l'occasion de consulter des manuels d'éducation physique, de soins immédiats, d'esthétique, d'histoire du costume aussi bien que des traités du savoir vivre, des journaux de mode et d'exécuter certains travaux de couture et de broderie. Garçons et filles ont ensemble décoré le coin de la salle qui leur est réservé d'une frise composée avec les jaquettes illustrées de leurs livres préférés et se retrouvent de temps en temps pour de grandes promenades qu'ils préparent ensemble.
Lorsque je pense à la branch library de Boston, j'évoque aussi avec mélancolie ce club Bibliothèque construit à la porte d'Italie à l'occasion de l'Exposition 1937 qui acueillit pendant quelques mois les jeunes du quartier et disparut à la guerre.
Quand verrons-nous en France des réalisation semblables ?