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Nouvelles des bibliothèques françaises

1954
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    Nouvelles des bibliothèques françaises


    Deux acquisitions remarquables à la Bibliothèques nationale

    Fragments des «Manuscrits de la Mer Morte»

    Une collection de cartes ayant appartenu à Louis XIV

    En 1947, des pâtres bédouins découvraient à deux kilomètres environ du rivage de la mer Morte et à douze kilomètres de Jéricho, dans la fissure d'une falaise, une grotte inexplorée, la grotte de Qunrân. Ce qui attira bientôt l'attention du monde savant sur cette grotte, c'est qu'elle recélait des vases contenant des manuscrits anciens de textes bibliques et de textes inconnus. Malheureusement les lieux furent pillés avant que les archéologues eussent pu procéder à des fouilles scientifiques. Livrés clandestinement au marché des antiquités, certains de ces manuscrits ont disparu, mais un rouleau complet d'Isaïe a été acquis par le métropolite syrien de Saint-Marc de Jérusalem et un autre ensemble par l'Institut archéologique de l'Université hébraïque.

    Des fouilles ont pourtant pu être exécutées en 1949 par la direction du Service des antiquités de Transjordanie et par le R.P. de Vaux, de l'Ecole pratique d'études bibliques de Jérusalem. Elles ont permis une étude plus attentive du site, qui appa-raît comme une cachette établie là par une secte encore inconnue à une époque également inconnue. Elles ont permis surtout de retrouver sur place d'autres manuscrits malheureusement très fragmentaires, quelquefois simples débris, mais dont le nombre (près de 600) et l'ancienneté font l'indiscutable intérêt. Ces frag-ments ont été étudiés par le R.P. de Vaux dans la Revue biblique de 1949 (tome LVI, pp. 586-809) en attendant une publication d'ensemble à l'Oxford University press.

    Ceux de ces fragments qui ont été attribués à l'Ecole archéologique française viennent d'être acquis par la Bibliothèque nationale. Elle est de ce fait la seule bibliothèque européenne à posséder une partie de ces fragments. Conservés désor-mais sous verre, ce sont des manuscrits sur peau appartenant à différentes époques dont les dates restent discutées. Mais, comme l'écrit le R.P. de Vaux : « Il est extrêmement important que ces petits morceaux de peau nous restituent l'aspect extérieur d'un manuscrit biblique plus ancien que tout ce qu'on rêvait de connaître ». Outre des fragments de livres bibliques et des commentaires sur la Bible, se trouvent des fragments d'apocryphes et d'ouvrages inconnus en hébreu et en araméen. Le plus extraordinaire de ces fragments est sans doute un passage du Lévitique en écriture phénicienne, qui remonte au IVe siècle avant notre ère !

    Dans un domaine très différent, la Bibliothèque nationale vient de faire aux enchères publiques à Hambourg une acquisition extrêmement importante. Il s'agit d'une collection de sept cents cartes et plans manuscrits provenant de la bibliothèque des rois de Hanovre, contenus dans douze volumes reliés en maroquin rouge aux armes de France.

    L'histoire de ces volumes n'est pas encore entièrement connue. D'aucuns pensent qu'ils représentent une copie de la collection de cartes du roi Louis XIV que celui-ci aurait secrètement donnée vers 1711 à Lord Belingbroke lors de leurs négociations secrètes. Il semble bien pourtant qu'il s'agisse de la collection même qui, à Versailles, servait d'instrument de travail au Roi lorsqu'il préparait avec ses ministres des plans de campagnes ou suivait les opérations militaires.

    Un fait certain authentifie dans une large mesure la collection. La Bibliothèque du Génie possède un recueil de places fortes étrangères, connu sous le nom d'Atlas de Louis XIV qui est en deux tomes. Le tome I de cet ouvrage, porté manquant dès l'an IV, a été retrouvé dans la collection des Hanovre, dont il constitue le troi-sième volume. De plus, certains des plans qui figurent dans le recueil ont été l'objet de corrections de détail qui souvent sont soigneusement datés. Or, une copie n'aurait pas gardé trace de cette mise à jour. Enfin, n'est-il pas contraire à toutes les tradi-tions diplomatiques qu'un souverain, même pour des tractations secrètes, remette à un représentant d'un Etat étranger avec lequel il est en guerre des documents d'intérêt militaire et livre à l'ennemi les plans des forteresses de son royaume ?

    On est ainsi amené à penser que ce recueil est resté à Versailles jusqu'à la Révo-lution, qu'il est passé en Angleterre vers 1792, emporté par un émigré ou par un agent secret et qu'il a été vendu au duc de Cumberland dans la bibliothèque duquel un inventaire le signale au début du XIXe siècle. Ne devait-il pas intéresser tout particulièrement ce lieutenant général de l'armée britannique qui, ennemi déclaré de la France révolutionnaire, prit une part active aux guerres de la Première coali-tion ? Devenu roi de Hanovre en 1837, il transporta sa bibliothèque personnelle dans sa capitale, que le recueil ne devait quitter que pour revenir aujourd'hui en France.

    Ces cartes, ces plans ont certainement été établis par d'habiles dessinateurs qu'il sera peut-être possible d'identifier, d'après des documents maintenant dispersés, dont certains seront peut-être retrouvés dans nos grandes cartothèques, mais dont la plu-part doivent être actuellement perdus. Seul un examen minutieux, des comparaisons attentives permettront de savoir ce que chacune de ces pièces apporte de nouveau aux géographes et aux historiens. Mais dès maintenant, par la perfection de leur facture, la fraîcheur de leurs coloris, l'élégance et la charmante fantaisie de leur décoration, ces documents souvent à grande échelle, constituent une remarquable somme de ce qu'on pourrait appeler la cartographie des services d'Etat à la fin du XVIIe siècle.