Nous possédons peu de connaissance, en Europe occidentale, sur les bibliothèques et la bibliographie de l'Europe centrale et orientale et ne manifestons pas, il faut en convenir, une curiosité excessive à leur endroit. Il est vrai que les écrits susceptibles de nous intéresser et de nous instruire nous arrêtent par leur langue peu accessible. Aussi, avons-nous pour coutume, lorsque nous traitons de bibliologie en général, de nous en tenir aux pays de langue de grande communication et de demeurer prudemment muets sur les autres. Il convient donc de considérer comme une bonne fortune ces deux modestes plaquettes, écrites en français, qui nous ouvrent quelques fenêtres sur un horizon peu familier.
L'histoire des bibliothèques slovaques peut s'enorgueillir d'un riche passé. Bibliothèques conventuelles, à partir du XIe siècle, bibliothèques médiévales (Academia Istropolitana, 1467-91), bibliothèques d'humanistes (Jean Sambucus), Universités des Jésuites, puis Académies au XVIIe siècle, bibliothèques ecclésiastiques catholiques et Collèges protestants au XVIIIe, enfin, au début du XIXe siècle, essor remarquable des bibliothèques des institutions publiques.
En 1912-1913, avant la chute de la monarchie austro-hongroise à laquelle appartenait la Slovaquie, il existait, en territoire slovaque, environ 250 grandes bibliothèques contenant 1.445.000 livres et réparties entre 20 centres régionaux culturels ou économiques. Leur caractère hongrois assez marqué de tout temps, avait déjà provoqué, dès la fin du XVIIIe siècle, la constitution de fonds spécifiquement slovaques ainsi que la fondation de sociétés savantes nationales.
Après de nombreuses vicissitudes, confiscations ou suppressions dues au gouvernement hongrois, l'instauration de la République tchécoslovaque, en 1918, fut le signal de la renaissance des bibliothèques slovaques qui, à l'heure actuelle, sont par ordre d'importance les suivantes :
La plus riche est la Bibliothèque de l'Université Komensky, à Bratislava, fondée en 1919, dont le fonds est constitué par les collections de l'Université Sainte-Elizabeth. En 1953, elle compte 525.427 volumes et 60 bibliothécaires.
La seconde est la Matica slovenska, à Martin, fondée en 1863, supprimée et confisquée en 1875, restaurée en 1919 et fusionnée, en 1954, avec la Bibliothèque nationale slovaque qui lui avait été annexée en 1941. Actuellement, les deux bibliothèques forment une Bibliothèque nationale centrale, en même temps qu'un Institut de bibliographie et bibliologie.
La Bibliothèque d'Etat de Kosice, fondée en 1947 et qui constitue la Bibliothèque centrale de la Slovaquie de l'Est, est spécialisée en sciences agronomiques et possède 125.000 livres.
A Bratislava enfin, la Bibliothèque de l'Académie des sciences, fondée en 1943 et la Bibliothèque technique centrale, en 1939, contiennent respectivement 110.000 et 70.000 volumes.
A ces quatre grands établissements se joignent à Bratislava et en d'autres villes, de nombreuses bibliothèques scolaires, professionnelles, d'Associations, d'Instituts et de lecture publique en plein développement.
La Slovaquie peut faire état, à l'heure présente, de 15.420 bibliothèques, réunissant un total de 6.954.015 volumes (1.029.064 lecteurs et 6.323.776 prêts) ; soit, en chiffres ronds, 7 millions de livres pour un nombre d'habitants s'élevant à 3.600.000.
Les premiers essais de bibliographie remontent, chez les Slovaques, au XVIIIe siècle, mais alors, il s'agissait avant tout - et l'observation peut être faite pour tous les pays, au début de l'histoire bibliographique - de tracer le tableau de l'histoire littéraire du pays. Les premiers relevés de livres slovaques sont ceux de M. Dohnany, en 1850-1851 et surtout de Michel Chrastek qui publie dans les Annales de la Matica slovenska, en 1864-1868, une bibliographie slovaque de 1860 à 1868, continuée pour les années 1869-1872, par P. Roy, J. Kohuth et A. Lombardini.
Mais le maître incontesté de la bibliographie nationale est, en Slovaquie, Ludovit V. Rizner (1849-1913) dont l'oeuvre fondamentale est la Bibliographie de la littérature slovaque depuis les origines jusqu'à 1900. Elle paraît à Prague après la mort de l'auteur, en 1917, puis en 2e édition à Martin, en 6 volumes, de 1927 à 1934 et relève tous les écrits, livres et articles de périodiques, publiés par des auteurs slovaques, quelle qu'en soit la langue ; elle est corrigée et complétée en 1946, par Jean Misianik.
La production imprimée slovaque de la période 1901-1925 est l'oeuvre do K. Nosovsky et V. Prazak et paraît à Prague en 3 volumes, de 1931 à 1938, tandis que la première bibliographie courante, pour l'ensemble de la Tchécoslovaquie intéresse les années 1922 à 1938, puis est continuée, pour les livres slovaques, de 1939 à 1947, par A. Dubay, à la Bibliothèque universitaire de Bratislava.
Après la restauration de la République tchécoslovaque, en 1945, la bibliographie nationale du pays se divise en deux parties : l'une pour les imprimés slovaques est établie à Bratislava, la seconde, pour les livres tchèques, à Prague. En 1948, c'est la Bibliothèque nationale de Martin qui édite la section slovaque dont le titre devient, en 1954, Revue slovaque, alors que la section tchèque devient en 1953, la Revue Tchèque. Les deux publications annuelles constituent la bibliographie nationale courante de tout le pays.
n ce qui concerne les inventaires de périodiques et les répertoires spécialisés, un nombre très élevé de publications pourraient être énumérées qui témoignent d'une grande activité bibliographique. Mais ce qu'il importe avant tout de mettre en évidence, c'est le partage des travaux bibliographiques entre quatre centres principaux :
A la Matica slovenska, à Martin, dont la section bibliographique compte onze bibliographes, sont confiées : la bibliographie nationale slovaque des années 1901-1938, en continuation de celle de Rizner ; celle des livres autres que slovaques, mais relatifs à la Slovaquie, des origines à 1950 ; celle des périodiques y compris les journaux, de 1951 à 1954 ; celle enfin, ainsi qu'il vient d'être dit, de la production imprimée annuelle slovaque en livres et articles.
A la Bibliothèque universitaire de Bratislava, qui compte six bibliographes, revient la tâche d'inventorier les périodiques slovaques, ainsi que leurs articles, de 1918 à 1938.
La Section bibliographique de la Bibliothèque d'Etat, à Kosice, est chargée des mêmes recensements, des origines à 1918, pour les périodiques et de 1939 à 1954, pour les articles.
Enfin, la Chaire de bibliologie de l'Université Komensky, à Bratislava, assure l'inventaire des périodiques de 1945 à 1950.
Ces diverses entreprises demanderont encore un grand nombre d'années, une fois achevées la bibliographie nationale slovaque, des origines à nos jours, sera réalisée au complet.
Ce qui frappe dans ce rapide exposé de la situation bibliographique en Slovaquie, c'est non seulement la vitalité de l'édition (30.126 livres imprimés de 1919 à 1953 et 4.771 périodiques, de 1937 à 1953) et le développement de la culture dont elle témoigne, c'est encore l'intérêt particulier porté au travail bibliographique et à son organisation. Considéré comme activité professionnelle, partagé entre les bibliothèques de l'Etat, selon un plan longtemps mûri et exécuté par des bibliothécaires-bibliographes, n'est-ce pas là un fait exceptionnel? du moins pour nous, Occidentaux, qui savons que seules les bibliographies nationales courantes sont élaborées dans nos bibliothèques nationales. On pourrait l'expliquer en songeant au nombre d'imprimés incomparablement plus élevé chez nous que partout ailleurs. Mais n'y a-t-il pas d'autres raisons? conviction, volonté qui emportent tous les obstacles?