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Le rôle éducatif de la bibliothèque et la diffusion des connaissances scientifiques

1962

    Le rôle éducatif de la bibliothèque et la diffusion des connaissances scientifiques

    Par Jean Hassenforder

    On sait que l'essor des sciences de la matière et de la vie a suscité des techniques qui bouleversent la civilisation traditionnelle. Nous vivons à l'Ere de la Science. Dans ces conditions, la diffusion des connaissances scientifiques dans le grand public devrait être ressentie comme une nécessité. Essayons de mieux comprendre pourquoi.

    IMPORTANCE DE LA VULGARISATION SCIENTIFIQUE

    Si la culture est un mode de la formation qui permet à l'homme de se situer dans le monde afin de guider sa vie, il est évident que la connaissance de la pensée scientifique et de ses conséquences sociales est indispensable à l'homme cultivé. Les découvertes scientifiques ont profondément modifié l'idée que nous nous faisons de l'homme, et de sa place dans l'Univers. Si par exemple, l'humanité se perçoit désormais en mouvement, c'est en fonction non seulement de l'essor des techniques mais aussi d'une évolution de la pensée philosophique en rapport avec les grandes découvertes ou inventions.

    La vulgarisation scientifique apportera non seulement des connaissances mais aussi contribue à créer dans le public des attitudes nouvelles; un sens critique plus aigu, une objectivité plus grande; un sens expérimental, des vues prévisionnelles. L'esprit scientifique s'est affirmé d'abord dans le domaine de l'étude de la vie et de la matière. Puis, les méthodes de pensée scientifique se sont appliquées à l'étude de la société humaine, dégonflant des mythes. Il est bon de prondre conscience de cette unité de l'esprit scientifique.

    Comment comprendre le monde actuel si nous ne suivons pas l'évolution de la recherche scientifique qui est à la source du développement technique qui bouleverse l'univers ?

    L'énergie atomique, le perfectionnement des fusées, l'évolution des techniques médicales entraînent et entraîneront un bouleveresement de nos conditions d'existence.

    Il suffisait hier de connaître la géographie, pour comprendre les événements. Aujourd'hui, la connaissance des résultats de l'astronomie est devenue nécessaire. En quelques années, cette discipline a cessé d'être uniquement l'affaire de spécialistes. Elle est devenue un élément indispensable à toute culture.

    La diffusion des connaissances scientifiques permettra aux grand public de mieux comprendre le monde actuel. Les hommes seront ainsi mieux en mesure d'exercer leurs responsabilités. Les sociétés modernes tendent à encourager la vulgarisation scientifique. En effet, elles se donnent pour but une amélioration des conditions de vie par le progrès technique, c'est-àdire en dernier ressort par le progrès scientifique. Il y a donc un besoin de recruter un nombre croissant de techniciens, d'ingénieurs, de savants. Pour que les intelligences s'orientent vers ces préoccupations, il est nécessaire qu'un climat favorable à la science soit créé. La science doit apparaître non seulement comme une activité accessible, mais aussi comme une activité hautement utile et profitable. Les Etats-Unis, comme l'U.R.S.S. tendent ainsi à développer la vulgarisation scientifique. Et il en est de même dans des pays restés traditionnels et qui s'efforcent de sortir de leur stagnation. La modernisation des Etats africains par exemple suppose la diffusion d'une attitude scientifique en opposition avec les vieilles croyances magiques.

    L'information scientifique peut contribuer également très directement à l'amélioration du sort de l'homme. Par exemple, en diffusant certaines connaissances d'hygiène, on pourra faire reculer des maladies. De même l'information sur les techniques modernes aidera l'homme moyen à améliorer son existence quotidienne.

    L'importance d'une large diffusion des connaissances scientifiques me semble être bien illustré par l'exemple suivant. On sait que l'Allemagne était avant la guerre un pays où la science s'était largement développée. L'avènement de l'hitlérisme a nui considérablement à la science allemande. En fait, l'hitlérisme s'accompagnait de croyance magiques tout à fait opposées à l'esprit scientifique. Si cet esprit scientifique avait été plus largement répandu dans le grand public, on peut penser que cette idéologie irrationnelle aurait en plus de difficultés à se répandre.

    LE RETARD FRANÇAIS DANS LE DOMAINE DE LA VULGARISATION SCIENTIFIQUE

    La vulgarisation scientifique trouve en France un climat assez défavorable. Une large fraction de la société française est en effet imprégnée d'une culture traditionnelle à dominante littéraire, artistique, historique. Les attitudes scientifiques, techniques, expérimentales sont minoritaires. Cette orientation ne répond pas aux exigences du monde moderne et est à la source de graves difficultés.

    Puis-je rappeler un souvenir personnel ?

    Vers 1950, à l'Institut d'Etudes Politiques, chaque année, un cycle de conférences de culture générale était organisés. Lorsque les conférences portèrent sur la littérature et la philosophie, le public remplit tout l'amphithéâtre. Par contre, les savants qui vinrent commenter les découvertes de la science moderne, ne trouvèrent qu'une assistance extrêmement clairsemée. Cet intérêt insuffisant pour les sciences de la matière et de la vie apparaît dans de nombreux sondages.

    L'enquête effectuée par M. Dumazedier sur les loisirs dans une ville moyenne français, à Annecy, portait notamment sur les centres d'intérêts des habitants. La question posée aux personnes composant un échantillon représentatif était la suivante : « Y a-t-il des sujets sur lesquels vous avez acquis ou cherché à acquérir de réelles connaissances, en vous documentant sérieusement, régulièrement ou non ? »

    Les résultats sont les suivants :

    • Ni les sciences naturelles, ni la physique et la chimie, ne figurent parmi les 16 centres d'intérêt choisis par plus de 15 % du public envisagé.
    • La physique et la chimie intéressent 13 % des hommes adultes, les sciences naturelles 15 %. Ce sont les sujets qui, avec la psychologie attirent le moins. A titre de comparaison indiquons que le métier, et la géographie intéressent 29 % des hommes adultes.
    • Si l'écart entre l'intérêt pour les sciences et celui pour les autres sujets est moins grand chez les cadres, il existe néanmoins également : 23 % d'entre eux s'intéressent aux sciences de la matière et de la vie contre 36 % à la géographie et 34 % aux métiers. L'intérêt porté aux sciences chez les ouvriers est très faible : 7 % seulement s'intéressent à la physique et chimie, 5 % aux sciences naturelles.
    • En milieu rural, une enquête sur les attitudes et les comportements d'une bibliothèque circulante départementale, celle de la Haute-Vienne, révélait un faible intérêt pour les ouvrages de sciences. Seule l'histoire naturelle était assez appréciée.
    • Enfin, deux études récentes montrent un désintérêt pour les ouvrages de science dans des milieux intellectuels français.

    Une enquête sur la lecture a été effectuée auprès des étudiants préparant le C.A.P.E.S. au Centre Pédagogique Régional de Paris, c'est-à-dire des licenciés se préparant au professorat de l'enseignement du second degré.

    L'orientation culturelle de ce milieu de futurs enseignants apparaît comme très traditionnelle. L'art, la littérature, l'histoire sont des intérêts dominants. Mais par contre, on observe un rejet massif du scientifique, du technique et du pratique. Les sciences sociales ont gagné un public, mais leur influence reste limitée.

    Chez les animateurs d'éducation populaire présents en 1959, à l'université d'Eté de l'Association « Peuple et Culture » on note également un manque d'intérêt pour la vulgarisation scientifique alors qu'au contraire, les problèmes sociaux et la vie littéraire suscitent un réel attrait.

    Ainsi, il semble que la vulgarisation scientifique n'a pas encore réussi à atteindre la majorité du public français. On constate d'ailleurs que les collections d'ouvrages de vulgarisation scientifique sont souvent assez récentes. Beaucoup de livres ont été adaptés de l'américain, notamment d'excellents albums pour la jeunesse, cela confirme notre pronostic, à savoir le retard français dans ce domaine.

    Mais il semble qu'actuellement on assiste à une évolution rapide tendant à combler ce retard, car une prise de conscience de l'importance de ces questions commence à s'opérer.

    LE ROLE EDUCATIF DES BIBLIOTHEQUES

    L'homme moyen accorde un intérêt majeur à l'actualité. Il est soumis à l'influence déterminante des grands moyens de communication; presse, radio, télévision, cinéma.

    Notre action doit tendre à montrer que le livre est à la fois le prolongement et le complément indispensable de ces influences. L'actualité offre de multiples occasions à saisir; l'attribution des prix Nobel, une découverte médicale, l'envoi d'une fusée interplanétaire... Il sera facile d'exposer un choix de livre sur ces questions. On mettra l'accent sur la documentation périodique et on s'abonnera aux quelques revues de vulgarisation existantes. Un effort tout particulier sera effectué en faveur de la jeunesse, car on dispose maintenant d'excellentes collections à son intention. Ces livres bien présentés peuvent éveiller des intérêts scientifiques (2)

    Bref, la bibliothèque offrira une information à jour et attrayante. Elle suscitera la curiosité. Elle sera un véritable centre de documentation.

    1. Cette communication et les deux suivantes ont été faites à une séance de la Section des petites et moyennes bibliothèques, le 20 mars 1961. retour au texte

    2. Le numéro 2 du Bulletin « Education et Bibliothèques » publié par le service de la Recherche Pédagogique de l'Institut Pédagogique national est consacré à la lecture des livres de sciences chez les jeunes. retour au texte