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Les journées d'études consacrées aux bibliothèques sur les lieux de travail

1962

    Les journées d'études consacrées aux bibliothèques sur les lieux de travail

    Maison de l'Unesco, 20-22 novembre 1961

    Par Gilbert Nigay, Secrétaire général du Comité Régional de l'UNESCO de l'Académie de Grenoble

    Du 20 au 22 novembre 1961 des Journées d'études consacrées aux bibliothèques sur les lieux de travail ont été organisées à Paris par la Commission Nationale française pour l'UNESCO sous la responsabilité de son secrétaire général, M. Yves Brunsvick. Une des grandes salles de conférences du Palais de l'UNESCO accueillait dans son cadre futuriste - et à l'acoustique exceptionnelle - près de 300 participants, bibliothécaires ou responsables sociaux d'usines, d'entreprises ou de collectivités, mais aussi des animateurs d'organisations culturelles et des observateurs du monde de l'édition. Ces bibliothécaires représentaient environ 1.800.000 travailleurs, chiffre global des personnels de leurs entreprises. Ouvertes par M. Julien Cain, directeur général des bibliothèques, les séances ont été présidées par M. Louis François, inspecteur général de l'Education Nationale, qui est le promoteur et l'animateur des Clubs UNESCO, clubs culturels ouverts aux grands problèmes du monde, bien proches de ces clubs de lecture dont il fut souvent parlé au cours de ces journées.

    Pour préparer cette rencontre, un questionnaire avait été envoyé à près de 3.000 entreprises. Sur les 700 réponses qui parvinrent aux enquêteurs, 563 indiquaient l'existence d'une bibliothèque, parfois assez ancienne. Cependant, il fut établi que le véritable développement des bibliothèques d'entreprise date des années 1941-1942, avec une pointe après la Libération. Aujourd'hui les nouvelles créations continuent au rythme d'une quinzaine par année. Les résultats statistiques de cette enquête furent analysés par MM. Garric et Cavalieri. Sous l'aridité des chiffres qui localisaient les bibliothèques par profession et par région, il convient surtout de retenir le pourcentage des lecteurs par rapport à l'effectif total de l'entreprise qui varie en général entre 10 et 30 %. Et encore, ce dernier chiffre est tout à fait exceptionnel et ne se rencontre guère que dans la Banque ou les Assurances, professions où la proportion des cadres est très forte. Le voeu fut émis que cette enquête serve de base à une autre plus étendue qui permettrait d'établir un répertoire des bibliothèques d'entreprise, parallèle à celui qui existe pour les bibliothèques officielles.

    Le rapport de M. Cacérès, secrétaire général de Peuple et Culture, « Comment attirer les travailleurs au livre et à la bibliothèque », menait d'emblée les auditeurs au coeur du débat. Après avoir examiné la timidité du lecteur novice, cette crainte devant la matière imprimée, alors que tant d'illustrés ou de magazine abêtissants le sollicitent par ailleurs, il envisagea les moyens qui permettent d'aller au-devant de ce lecteur et, suivant ses paroles, de briser le déterminisme du milieu social. Guide du lecteur, club de lecture, cycle culturel, ces différents points d'une gradation successive, étaient tour à tour pris en considération, et aussi les différentes étapes que le lecteur doit pouvoir franchir au contact de l'oeuvre littéraire : sentir - comprendre - juger. Tous ces éléments étaient replacés dans le contexte quotidien du travailleur, sous l'angle des problèmes qu'il doit affronter. On sait tout ce que M. Cacérès a fait pour l'animation du livre; les montages font maintenant partie de la technique de la lecture publique.

    La situation actuelle des bibliothèques d'entreprise, les moyens à envisager pour accroître leur influence, furent traités en de multiples exposés particuliers suivis de débats qui permettaient de confronter les expériences et les réalisations. Mlle Davoine, bibliothécaire à la Compagnie des Ateliers et Forges de la Loire à Unieux, dans le complexe industriel de Saint-Etienne, évoqua dans son rapport « Formation et animation de la Bibliothèque sur le lieu de l'entreprise » les moyens mis en oeuvre dans sa bibliothèque déjà presque centenaire (fondée en 1865). Le succès qu'elle remporte aujourd'hui, plus de 30.000 volumes empruntés chaque année, est dû en partie à la parfaite disposition du local, près de l'entrée principale de l'usine. Il est dû aussi à la parfaite collaboration qui existe entre la Commission de la bibliothèque, dérivée du Comité d'établissement, et la bibliothécaire. Mme Grosdidier, d'Hagondange, envisagea le problème spécial de « la bibliothèque pour les travailleurs étrangers » qui se juxtapose en Lorraine à celui du bilinguisme. Le bibliothécaire est placé devant un cas de conscience : peut-il disperser ses efforts sur plusieurs littératures étrangères et risquer de freiner l'adaptation du lecteur à son pays d'accueil ? Mme Gruny, bibliothécaire de l'Heure Joyeuse, utilisa sa riche expérience pour exposer les besoins des « bibliothèques à l'intention des enfants ». Mme Guillien, directrice de la Bibliothèque municipale de Villeurbanne, présenta les réalisations locales de « la bibliothèque interentreprises », prolongement de la bibliothèque municipale. Elle rappela excellement le rôle de conseiller, tant sur le plan technique que sur le plan culturel, que doit jouer le bibliothécaire municipal à l'égard de ses collègues du secteur privé. Mme Igot, chef du service audiovisuel de l'Institut Pédagogique National, traita de la discothèque liée à la bibliothèque, point de départ d'activités culturelles. Si tout le monde est d'accord sur le fait que le fond d'une discothèque est à base de musique classique, le rôle du responsable devient très délicat dès qu'il touche au domaine des « variétés » et il lui faut résister aux engouements et aux modes passagères. Enfin, les exposés sur des points spéciaux se terminèrent par les rapports de M. Fillet sur le bibliobus en milieu rural et de M. P. Vaillant, conservateur de la Bibliothèque municipale de Grenoble, sur le bibliobus urbain. Celui de Grenoble est le premier en date et M. Vaillant montra à ses auditeurs, qui ignoraient souvent cette innovation, toutes les possibilités de rayonnement du bibliobus urbain. Dans une ville en extension, il suit avec souplesse la construction des grands ensembles et sa présence aux carrefours ou dans la cour des cités n'est plus insolite.

    Une Table Ronde très animée réunit entre autres sur le thème « les hommes et les livres », sous la direction de M. L. François, M. Escarpit, professeur à la Faculté des Lettres de Bordeaux, Mlle Houssay, bibliothécaire des Usines de Wendel, M. Lethève, secrétaire général de l'A.B.F., l'écrivainouvrier Georges Navel. Les problèmes rencontrés précédemment donnèrent lieu à une large confrontation. La trilogie des buts poursuivis par la bibliothèque, ramassée en une formule : « Divertissement - Délassement - Développement », laissait prédominer, suivant le tempérament de chacun, un élément ou l'autre. Toutefois, M. Escarpit n'a pas craint de battre en brèche le culte quelque peu abusif longtemps voué à la matière imprimée au profit de tous les moyens audiovisuels, dans laquelle le livre a tout de même une place de choix.

    Les débats, les différentes interventions, la participation active des auditeurs, permirent de ne pas esquiver certains problèmes qui n'auraient peutêtre pas eu place dans des séances plus académiques. Il fut très opportunément rappelé par les voix les plus autorisées que la probité intellectuelle, le devoir d'objectivité, le respect de la personnalité du lecteur, forment la charte peut-être non écrite de la profession, mais valable pour tout bibliothécaire, quel que soit le poste qu'il occupe. La méconnaissance de ces règles est particulièrement grave quand il s'agit de lecteurs novices, au sens critique peu aiguisé, qu'il convient précisément de faire progresser s'il se peut, de détendre et de divertir en tous les cas.

    De telles journées sur le problème particulier des bibliothèques sur les lieux de travail sont appelées à se renouveler. Beaucoup de participants ont souhaité au moment des conclusions une rencontre internationale qui permettrait d'élargir les débats et d'enrichir les confrontations d'expériences diverses. L'UNESCO serait fidèle à sa vocation en l'envisageant dès maintenant.