Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Henri Moncel (5 Février 1880 - 4 Octobre 1962)

    Par M. T. Dougnac

    Dans les premiers jours d'octobre 1962, nous apprenions que notre cher Henri Moncel venait d'être victime d'un stupide accident de la rue, qu'il gisait à l'hôpital, sans connaissance, et que sa vie n'était plus qu'une question de jours, d'heures peut-être.

    C'était l'un de nos « anciens. » Peu d'entre nous l'avaient connu en activité (il avait pris sa retraite en 1941), mais il était demeuré fidèle à la maison, et ne restait jamais longtemps sans venir, de sa lointaine banlieue, passer un moment rue Richelieu, y feuilleter quelque volume, y retrouver ses amis.

    Aussi sa liante silhouette, toujours droite malgré les années, son visage coloré de solide Normand, son épaisse chevelure blanche et son bon sourire étaient-ils familiers à tous ; tous aussi s'attristèrent de sa disparition quand on sut, le 4 octobre 1962, qu'il avait succombé.

    Henri Moncel était entré à la Bibliothèque en 1909. Il y faisait ses débuts, pourvu d'une culture étendue. Outre une licence es lettres, acquise en Sor-bonne, il était titulaire de diplômes rapportés d'Allemagne où ce jeune Normand, curieusement, s'en était allé étudier plusieurs années, à Leipzig et à Bonn. Les littératures étrangères, germanique et anglaise, lui étaient également familières. La littérature française ne l'attirait pas moins, tout particulièrement la période romantique dont il était un excellent spécialiste.

    Les beaux-arts aussi l'intéressaient. C'est en Allemagne qu'il avait rencontré une jeune fille anglaise, musicienne, qui, devenue sa femme, l'avait associé à ses goûts artistiques. Ces connaissances, aussi bien qu'une conscience professionnelle sans faille et l'amour des livres, Henri Moncel les mit au service de la Bibliothèque nationale où il fit, une longue et belle carrière, presque toute entière consacrée au Catalogue général dont il fut. plus de trente ans. l'un des meilleurs collaborateurs.

    La qualité de son érudition, sa connaissance approfondie de l'histoire littéraire, la sûreté de son goût, lui firent confier l'organisation de plusieurs importantes expositions : en 1930, le Romantisme ; en 1932, Gcethe ; en 1930, le Symbolisme. De ces trop éphémères manifestations qui connurent en leur temps un vif succès, d'admirables catalogues laissent du moins le témoignage.

    En 1933, les amis de Moncel fêtaient, son ruban rouge. En 1937, il était nommé Conservateur-adjoint, et celle promotion lui donna une grande joie : c'était à l'âge d'or où, très envié, un tel titre valait, pour les meilleurs, un bâton de maréchal.

    Presque aussitôt, il était appelé à prendre la direction de l'Inventaire général. On avait pu craindre que cet homme si parfaitement courtois, si bienveillant toujours, manquât d'autorité. Certes, la manière forte ne pouvait être la sienne ; mais à défaut d'exercer une discipline rigoureuse, et bien que, sous le gant de velours, on ne sentît point la main de fer, le nouveau chef . du Catalogue sut, par la vertu de sa gentillesse, de son indulgence même, obtenir le maximum de l'équipe qu'il dirigeait.

    Quand vint la guerre, sa présence quotidienne nous fut d'un grand secours. Sa bonne humeur inaltérable, son solide optimisme nous réconfortaient en des jours difficiles. Il savait dissimuler son inquiétude, comme aussi son courage. Longtemps après, on apprit que les Moncel avaient caché, plusieurs semaines, un officier anglais dans leur grenier.

    Des travaux personnels occupaient les loisirs de Moncel. Son oeuvre écrite (1) sans être abondante, car sa réserve et sa modestie ne l'incitaient guère à sortir de, l'ombre, reflète pourtant, par sa variété, l'étendue de ses connaissances.

    Au reste, moins que l'érudit, le fin lettré, le bibliothécaire exemplaire, c'est l'homme de tous les jours, l'ami parfaii que nous souhaiterions faire revivre à Iravers ces lignes.

    Mais sans doute est-il difficile d'évoquer, sans la trahir, la belle figure d'Henri Moncel : il faut avoir été de ses intimes pour s'y essayer.

    Discret et réservé, il ne livrait pas volontiers sa nature profonde : mais ceux qui, peu à peu, pour l'avoir aimé et, avoir gagné sa confiance, l'ont découverte, ont su quelle exquise sensibilité l'habitait : ils ont connu la délicatesse de son coeur, sa loyauté, ses aspirations, ses inquiétudes spirituelles aussi, car cet homme si simple en apparence, au secret de lui-même, cherchait sa vérité ; détaché de toutes formes extérieures, un profond sentiment religieu vivait pourtant en lui.

    Notre ami était, sans doute, un silencieux. Par goût, par timidité peut-être, sûrement, par pudeur, il préférait se taire. Mais, correspondant fidèle, il savait exprimer, dans de longues lettres affectueuses, tout ce que cachaient des silences dont il s'excusait alors, foute timidité disparue, comme d'un manquement à l'amitié.

    Silencieux, oui, mais non point taciturne. S'il fuyait, parce qu'il s'y ennuyait, les réceptions officielles ou mondaines, il aimait la compagnie de ses amis. Ce furent, autrefois, les « sqeezing parties» du boulevard Victor. Plus tard, quand le ménage Moncel. qui tenait en réserve beaucoup d'affection et de dévouement inutilisés, eut, adopté cette petite fille qui allait devenir le centre et la grande joie de l'âge mûr, et pour elle, se fut installé à Sèvres, les dimanches d'été amenaient de nombreux amis dans la plaisante maison sur le coteau, les groupes s'égaillaient dans le beau jardin sans murs tout ouvert sur l'horizon boisé. Mme Moncel se multipliait pour ses hôtes, et lui, heureux et souriant, allait de l'un à l'autre, intervenant dans les conversations, d'un mol, d'une phrase jamais banale, souvent spirituelle; ses yeux gris, sous les épais sourcils noirs, s'éclairaient alors d'une lueur malicieuse.

    A la retraite, Moncel allait poursuivre vingt ans encore le cours d'une existence sans heurts, sans événements, sans aventure, mais riche de joies intellectuelles et affectives. Sa famille, ses amis, ses livres, sa maison, de courts séjours en Angleterre, où Mme Moncel aimait à retrouver ses soeurs, dans sa chère Savoie, en Normandie où vivait son frère, en Hollande, où sa fille, mariée, était établie, comblaient cet homme simple, intelligent et bon. Et puis, « le petit lutin » d'autrefois, son feu follet, son vif-argent, lui avait donné deux petits enfants, et avec eux, ce père indulgent apprenait, avec bonheur, l'art d'être grand-père.

    Peu de temps avant sa mort, Henri Moncel s'étonnait, à quatre-vingts ans passés, de ne pas se sentir vieux. C'est que le coeur, chez lui, était resté jeune.

    La grande épreuve ce fut, pour ce mari attentif et dévoué, la santé de Mme Moncel, de plus en plus précaire les dernières années. Elle ne survécut que quelques mois à son mari, elle fut son dernier souci, elle eut sa dernière pensée.

    Qu'une vie si parfaitement nette, d'un dessin si clair, ait pu être brisée cruellement par la faute d'un chauffeur maladroit ou d'une chaussée trop glissante; qu'en pleine santé, cet « homme tranquille » ail pu rencontrer une fin tragique, voilà qui semble une erreur du deslin, une fausse note...

    Pourtant, à l'heure des obsèques, par une journée d'automne d'une exquise pureté, il régnait, dans le cimetière campagnard de Sèvres, cerné par la forêt silencieuse, une telle paix, une telle douceur, qu'autour de la tombe d'Henri Moncel, ses amis une fois encore réunis, retrouvaient un peu de cette sérénité qui fut, semble-t-il, le climat de sa vie, et toujours, enveloppera son souvenir.

    1. Bibliographie des oeuvres d'Ernest Renan, par Henri Girard et Henri Moncel. Paris, 1923. - Felicia Hemans et Shelley. [Signé : Henri Moncel]. Revue germanique, 1923. - Introduction à Doudan (Ximénès). Les Révolutions du goût. Paris, 1924. - L'Exposition du siècle de Louis XIV à la Bibliothèque nationale [Signé : Henri Moncel]. Revue des Bibliothèques, 1927. - Pour et contre le Romantisme, bibliographie des travaux publiés de 1914 à 1926, par Henri Girard et Henri Moncel. Paris, 1928. - Les Beaux livres d'autrefois. Le XIXe siècle, par Henri Girard el Henri Moncel. Paris. 1930. - Ed. Renan (Henriette). Souvenirs et impressions de Pologne. Rome, Allemagne, Voyage en Syrie. Paris, 1930. {Nouvelle bibliothèque romantique. 1). - Introduction à « Vingt-quatre estampes ». Paris, 1930. retour au texte