Moins de sept mois après son départ de la Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine, M. Félix Debyser est mort, en septembre 1963. Toute sa carrière s'est déroulée dans cette maison, où il était entré en 1922.
Né à La Bassée en 1896, il séjournait en août 1914 à Paris, quand il fut totalement coupé des siens par l'invasion. Engagé volontaire, il devait être grièvement blessé en 1917 comme aspirant d'infanterie. Après des mois de lente et difficile convalescence, il commençait des études d'histoire qui devaient le conduire après sa licence à devenir le collaborateur de M. Camille Bloch à la Bibliothèque-Musée de la Guerre. Celle-ci fut bientôl autanl un centre de recherches historiques qu'une bibliothèque et M. Debyser, dans le domaine anglo-américain participa à cette double activité, d'une part en constituant le fonds de livres et d'articles et les études bibliographiques dont ont bénéficié tant de chercheurs, et aussi en participant à la Revue d'Histoire de la Guerre dont il devenait le secrétaire en 1930 et où il fit paraître, entre autres, une étude sur le Sénat américain et le Traité de Versailles. Il avait traduit Ricardo en 1933, et fait connaître par sa traduction, en 1932, le livre capital de Bernadotte Schmidt : Comment vint la Guerre. En 1938, il faisait paraître une Chronologie de la Guerre Mondiale, modèle du genre et jamais remplacée.
Il s'était marié en 1924 avec une de ses collègues et Mme Debyser devait rester sa collaboratrice jusqu'en 1958.
Bibliothécaire en chef en 1939, il était chargé de la direction de la Bibliothèque en 1941, après la mort de M. Jean Dubois, dans les pires conditions, puisque la salle de lecture était à Paris, les magasins restant à Vincennes dans une enceinte militaire occupée par l'armée allemande. Les possibilités de transport restaient médiocres entre les deux services et, malgré ces difficultés qui semblaient insurmontables, M. Debyser assura cependant le fonctionnement de la B.D.I.C. sans fermeture jusqu'en 1944. Par son caractère même, la Bibliothèque - très appréciée en Allemagne - resta quatre ans sous la menace d'une confiscation de tout ou partie de ses collections et M. Debyser avait dû sans cesse en dissimuler les pièces les plus convoitées. A quelques jours de la libération de Paris, on pouvait penser que les fonds confiés à sa responsabilité étaient saufs quand, après avoir consigné dans un isolement total les occupants du Château où se succédaient les exécutions de résistants et d'otages, les troupes allemandes en retraite incendiaient leurs dépôts, détruisant du même coup les trois quarts du Pavillon de la Reine. Aux irremplaçables destructions de milliers de livres et de périodiques, s'ajoutait, pour M. Debyser, qui avait tenu depuis trois ans à venir habiter avec les siens dans le Pavillon, la perte totale de ses biens.
Les années qui suivirent furent certes difficiles, à cause des conséquences de la guerre, mais il eut la satisfaction de voir se développer sous son impulsion le plus riche fonds français d'histoire contemporaine. Il avait pratiquement tout lu de ce qui était essentiel dans ce domaine de la grande politique depuis 1914 et, servi par une mémoire infaillible, il restait une source de renseignements pour tous ceux, étrangers ou Français, étudiants ou historiens - et non des moindres - qui s'adressaient à lui et ses collaborateurs savaient qu'ils ne le questionnaient jamais en vain, qu'il donnait toujours l'indication utile, le titre auquel on ne pensait pas.
Volontiers sceptique et ironique sur les modes, les snobismes et les fausses valeurs des hommes et des oeuvres, il avait formé ses collaborateurs dans ce sens : goût du réel, des textes, des documents, des ouvrages où l'auteur n'avance rien que d'assuré, dans ce domaine de l'histoire très récente où l'interprétation, la traduction et l'usage des témoignages sont si souvent influencés par les variations de l'opinion, de l'époque ou du lieu. En témoignent les études qu'il fit paraître sur la bombe d'Hiroshima, les bombardements italiens de 1940 et la chute du Fascisme.
Après 1945, par une inclination naturelle aux hommes du Nord, il avait été attiré par l'Italie, ses villes et ses artistes et aussi par les problèmes du Fascisme et il pensait occuper sa retraite à des traductions d'ouvrages italiens et à la rédaction d'un livre sur Yalta pour lequel il avait, constitué une documentation importante. Retiré à Manosque, il pensait aussi retrouver en Haute Provence les paysages méditerranéens qu'il aimait à peindre car il joignait ce talent à sa brillante culture artistique et littéraire. Je ne puis évoquer sans émotion nos « retours à pied » de presque chaque soir où il partageait ses souvenirs et ses lectures avec une générosité, une cordialité, une absence de parti pris et cette simplicité sans hauteur qui lui avait fait beaucoup d'amis. Il laisse à tous ceux qui furent ses collaborateurs le souvenir d'un chef très aimé qu'ils ne pourront oublier.