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    Bibliothèques Administratives

    Par Annie Rabant, Conservateur de la Bibliothèque du Conseil d'Etat.

    Un exemple : la bibliothèque du Conseil d'Etat

    Le 6 août 1945, le Ministre de l'Education nationale d'alors, René Capitant, prenait un arrêté créant une commission pour l'étude de l'organisation et du fonctionnement d'une bibliothèque administrative centrale, épisode parmi bien d'autres d'une action envisagée de longue date, toujours actuelle et perpétuellement remise en chantier.

    Léon Béquet parle déjà de la création d'une Bibliothèque administrative centrale au Ministère de l'Intérieur le 25 juin 1841 et depuis lors maints auteurs comme Dampierre, ou Levasseur qui envisage cette création au Sénat, ou maints administrateurs comme MM. Puget, Grégoire, Martin, Cain et d'autres, devant la multiplicité, la diversité et la dispersion des bibliothèques dites administratives, se sont penchés sur ce problème.

    C'est assez dire son importance et son ampleur ; il ne saurait donc être question en ces quelques lignes de traiter d'un sujet aussi vaste dont la réalisation semble encore lointaine, ni d'aborder toutes les questions soulevées par les moyens et les méthodes d'information dans les Administrations, questions déjà étudiées à plusieurs reprises (1) .

    Notre propos se bornera, après avoir redit ce que l'on a entendu et ce que l'on entend maintenant par le terme de bibliothèques administratives, à montrer à travers une expérience personnelle quels peuvent être les buts d'un organisme considéré comme tel, à parler de son statut, de son fonctionnement, de son personnel, de son rôle effectif, et, à la faveur de toutes ces données, à essayer de tirer une conclusion permettant au lecteur d'avoir une vue d'ensemble sur les difficultés rncontrées dans ce domaine.

    Si au cours du XIXe siècle on pouvait considérer les bibliothèques administratives comme le lieu de réception et de conservation des collections de documents et d'ou-vrages administratifs fournis par les différentes administrations pour le service des bureaux, cette définition est certes de nos jours trop restreinte. Les récents travaux effectués dans le cadre de la Fédération internationale des associations de bibliothé-caires par la sous-section des bibliothèques administratives a permis de dégager la définition suivante : Service d'information d'une administration, la Bibliothèque administrative peut être considérée comme une bibliothèque de droit et de sciences politiques. Son originalité, vis-à-vis des bibliothèques encyclopédiques consiste en l'acquisition de textes et documents qui ne seront pas acquis par les bibliothèques scienti-fiques, et en une activité intense dans le domaine de l'information.

    Les Bibliothèques administratives se différencient des bibliothèques scientifiques spécialisées par le fait qu'elles ne sont le plus souvent qu'indirectement à la disposition du public, mais directement liées à son administration. Leur objectif essentiel est de mettre à la disposition des chercheurs tout travail de documentation et de recherche nécessaire au gouvernement et aux administrations pour gérer le domaine public et ce dans un minimum de temps avec le maximum de documents sur un sujet donné. Nous touchons ici d'ailleurs un point délicat, bibliothèques administratives et services de documentation, deux moyens complémentaires d'information coexistant parfois sans lien réel alors que devrait être établi entre ces deux sortes de services une complète collaboration.

    La Bibliothèque du Conseil d'Etat répond-elle aux objectifs ainsi définis. Créée à l'origine pour les besoins des conseillers d'Etat dont les préoccupations touchaient et touchent encore à de nombreux centres d'intérêt, elle s'est trouvée riche en ouvrages juridiques certes, mais aussi en ouvrages de toutes sortes, puisés dans les dépôts littéraires de la Révolution. La nouvelle bibliothèque recréée au début de la IIIe République, si elle a perdu le caractère quasi-encyclopédique qu'elle avait sous le Premier Empire, a cependant tenu à conserver un fonds culturel assez large, donnant toujours cependant priorité aux collections de textes, à tous les documents parlementaires, aux bulletins ministériels, aux revues juridiques et aux grands traités et ouvrages de droit et de science politique.

    A l'heure actuelle la tendance s'accentue nettement vers l'accroissement des docu-ments de travail proprement dit, donc d'ordre législatif ou jurisprudentiel au détriment malheureusement du fonds culturel. On s'efforce cependant de maintenir un équilibre difficile parfois en raison d'impératifs budgétaires. Le but primordial vers lequel se tend toute l'action du service, est de fournir l'ouvrage, la revue ou même l'article nécessaire à la préparation d'un dossier administratif ou à l'instruction d'une affaire contentieuse, sans parler de la distribution aux différentes sections du Conseil d'instru-ments de travail de plus en plus nombreux et de la communication immédiate au cours des séances de tous textes ou documents indispensables à la discussion.

    Tels sont donc sommairement résumés les buts de la bibliothèque du Conseil. Pour y parvenir, d'une manière imparfaite sans doute, mais le mieux possible, elle est dotée d'un statut particulier qui la rattache directement au Secrétariat général du Conseil. Son budget fait l'objet d'un chapitre du budget général du Conseil, lui-même chapitre particulier du budget du Ministère de la Justice.

    Point particulier et qui présente quelques difficultés : sont prélevées sur le chapitre bibliothèque, toutes dépenses concernant reliures et impressions de l'ensemble de la maison, toute commande de tout service devant obligatoirement avoir visa de la bibliothèque.

    En contrepartie aucun aménagement matériel n'est en principe prélevé sur ce budget. Donc pas d'autonomie budgétaire totale et en conséquence assez grande dépendance de la comptabilité générale, le choix des acquisitions, les modalités de reliure restant libres. Cependant depuis la création de la nouvelle bibliothèque en 1872 il existe une commission de surveillance chargée de donner son avis sur les acquisitions et le fonctionnement général.

    La composition de cette commission s'est profondément modifiée au cours des années. Un arrêté du 10 mars 1880 prévoyait que le Vice-Président et les Vice-Présidents de Section étaient les membres de cette commission. Aujourd'hui, outre le Secrétaire général et son adjoint qui y siègent de droit, elle comprend un Président choisi parmi les conseillers d'Etat en raison de ses compétences particulières en matière de litté-rature et d'édition, et d'un conseiller, maître des requêtes ou auditeur, représentant chaque section ou service. Ils sont chacun assistés d'un suppléant. La Commission se réunit deux fois par an, à la demande, soit du Président, soit du Conservateur, pour examiner l'état du budget, les acquisitions faites ou à faire et toutes questions relatives au fonctionnement général. A l'issue de ces réunions un procès-verbal est rédigé.

    Ces réunions sont l'occasion, en outre, pour le Conservateur, d'exprimer ses doléances ou ses désirs, notamment en ce qui concerne le personnel, ou le manque d'observation de toute discipline des lecteurs, ceci allant de la non-observation des règlements en matière d'emprunt, jusqu'à la mutilation des ouvrages.

    En ce qui concerne le personnel, là aussi sont intervenues lentement un certain nombre de modifications, encore hélas insuffisantes.

    Il a fallu de nombreuses années pour que l'Administration réalise ici ce qu'elle n'a d'ailleurs pas encore réalisé partout ailleurs et qui était déjà exprimé, dans le Répertoire de droit administratif édité en 1885 : « on ne saurait trop forcer l'attention des autorités appelées à nommer un bibliothécaire sur la qualité qu'exige cette fonction... La bibliographie est une science exacte qui demande une préparation assez longue... les bibliothécaires improvisés en ignorent jusqu'à l'existence... ». C'est ainsi qu'un arrêté du 20 novembre 1872 supprimait l'emploi de bibliothécaire du Ministère de l'Intérieur pour en confier les fonctions à un commis principal et le répertoire de dire : « Il est toujours fâcheux qu'une bibliothèque ne soit pas administrée par un bibliothécaire ; ce service exige des connaissances spéciales qu'on ne saurait demander à un employé de bureau. Cette vérité, quoiqu'évidente, est constamment méconnue dans la pratique. » Nous n'irons pas jusqu'à dire encore constamment, mais encore trop souvent dans certains secteurs administratifs et dans certaines catégories de personnel.

    Au Conseil d'Etat, depuis le décret du 16 mai 1952 instituant un corps du personnel scientifique des bibliothèques, un conservateur de ce corps est chargé de la gestion de la bibliothèque. Cette mesure s'applique d'ailleurs également à d'autres établissements rattachés pour le personnel de direction à la Direction des bibliothèques et de la lecture publique.

    Jusqu'à l'année 1972 le personnel adjoint émanait uniquement des catégories professionnelles de l'Administration. C'est ainsi que travaillaient dans le service de la bibliothèque du Conseil, un attaché d'administration, un adjoint administratif, un secrétaire administratif, un secrétaire-dactylographe, un agent de bureau, aide-bibliothécaire et trois agents de service auxiliaires, tous de bonne volonté, mais sans qualification professionnelle.

    On a pu depuis transformer le poste d'attaché en deux postes, un de sous-bibliothécaire, pourvu comme le poste de conservateur par l'Education nationale, et un second poste d'aide-bibliothécaire.

    L'Administration semble convaincue de la nécessité de faire appel à un personnel techniquement qualifié : un second poste de sous-bibliothécaire est actuellement demandé au budget, et des stages de formation ont eu lieu et son envisagés pour le personnel actuellement en place.

    D'autres bibliothèques administratives, plus importantes que celle du Conseil, comme celle de l'Hôtel de Ville pour ne citer qu'elle, ont réussi à augmenter le nombre de leur personnel spécialisé ; mais combien d'autres en sont encore au stade de 1880 ! ! ! Et pourtant, la marée extraordinaire et déferlante des publications en général et des publications administratives en particulier, correspondant au développement des respon-sabilités de l'Etat et corrélativement aux besoins croissants des administrations, compli-que singulièrement la tâche des bibliothèques administratives. Cela est si vrai que, ainsi qu'il a été dit au début de ces lignes, des centres de documentation se sont créés et ont proliféré à côté des bibliothèques, et que des cours ont été organisés, soit par des associations comme l'A.D.B.S. (Association des bibliothèques spécialisées), soit par la Fondation des sciences politiques qui délivre un diplôme de spécialiste en infor-mation et documentation, pour former un personnel rompu aux techniques documentaires.

    Dans la ligne de la réorganisation prévue du Centre de documentation du Conseil d'Etat, et à la suite d'entretiens entre le Secrétariat général et la Bibliothèque, on commence à envisager l'utilisation de documentalistes capables d'assurer une liaison entre le Centre, la Bibliothèque et les services utilisateurs, mais que de chemin encore à parcourir ! Il n'existe pas de statut correspondant à ce type de personnel et le recrutement en est entravé.

    Peut-être faut-il encore dire un mot du désastreux problème des installations des bibliothèques administratives occupant trop souvent des locaux inadaptés à leur fonction où résoudre le problème de nouvelles acquisitions équivaut à la quadrature du cercle.

    Au Conseil d'Etat trop peu de magasins occupation des corridors où les livres sont accessibles à n'importe quel passant, avec les disparitions qui peuvent découler de cet état de fait.

    Au milieu de ces problèmes et de toutes ces difficultés, le travail quotidien doit s'accomplir, et la Bibliothèque dans son ensemble répondre à tout ce que l'on peut attendre d'elle.

    Outre les objectifs généraux dont on a déjà parlé il lui faut être à même de répondre aux renseignements qui lui sont demandés de l'intérieur comme de l'extérieur (tout citoyen a le droit de connaître la jurisprudence susceptible d'orienter sa requête), il lui faut aussi assurer des liaisons avec d'autres bibliothèques, soit pour compléter sa propre documentation, soit pour communiquer aux autres ce qui peut leur faire défaut. Ces derniers points ont une considérable importance et nous rejoignons là la nécessité d'un réseau organisé de bibliothèques administratives chargées de la conservation et de l'information avec un organisme centralisateur. Le service des publications officielles de la Bibliothèque nationale assume une partie de ce rôle grâce au contrôle qu'elle exerce par le Dépôt légal, et, à la Bibliothèque de l'Hôtel de Ville, on est à peu près assuré de trouver tous les documents officiels importants.

    Mais la collecte de cette documentation officielle est difficile en raison de sa diversité et de son grand nombre. Par décret en date du 13 juillet 1971 a été créée une commission de coordination de la documentation administrative, chargée, entre autres tâches, de faire « l'inventaire des publications périodiques et de séries d'information générale » émanant des administrations et des établissements de l'Etat, ce qui nous a valu le Répertoire des publications périodiques et de série de l'Administration française, récemment paru à la Documentation française.

    Malgré ce précieux instrument bibliographique, nombre de documents sont encore difficilement repérables et, en attendant les éditions et mises à jour ultérieures, la chasse à l'information reste délicate.

    Ainsi la dynamique de la vie administrative d'aujourd'hui se reflète dans les deux objectifs principaux d'une bibliothèque administrative : informer d'abord, ce qui implique que la documentation ne doit pas être seulement conservatoire, mais vivante et très actuelle ; conserver ensuite, car il ne faut pas oublier non plus que c'est à partir de tous ces documents que l'historien de l'avenir apprendra le fonctionnement et le méca-nisme des institutions politiques françaises. Double tâche, passionnante mais parfois contradictoire. Pour l'assumer, le gestionnaire d'une telle bibliothèque devrait être, à la fois un technicien formé aux disciplines de la bibliothéconomie moderne, en même temps qu'un agent conscient des problèmes de l'administration contemporaine et devrait être assisté par du personnel technique et d'exécution spécialement initié.

    Ajoutons, en terminant, que nous aurons bientôt, sans doute dans le courant de 1975, un guide de toutes les bibliothèques administratives importantes du monde, ce qui, n'en doutons pas, rendra certainement plus aisés les contacts internationaux et permettra de mieux apprécier les expériences étrangères dans ce domaine.

    1. Vidal (Léon), Les Bibliothèques administratives, 1943. - Puget (H.) et divers, La Modernisation des instruments de travail et des méthodes dans les administrations publiques, Paris, Colin, 120 p. (Cahiers de la Fondation française des sciences politiques). retour au texte