Index des revues

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    Groupe Île-de-France

    Par Germaine Frigot

    Journée d'étude du 27 mai consacré à la poésie contemporaine en bibliothèque publique

    Puisque, pour le moment, nous en sommes réduits à assurer nous-mêmes notre propre recyclage, le Groupe Île-de-France a pris l'initiative d'organiser des journées d'études consacrées aux problèmes que posent la constitution et la mise à jour de certains fonds en lecture publique.

    L'an dernier, le colloque sur la paralittérature (1) qui s'était tenu à la Bibliothèque municipale de Malakoff avait remporté un grand succès. Nous nous étions, à cette occasion, livrés à quelques réflexions sur une partie de notre fonds, numériquement importante, souvent très appréciée des lecteurs mais dont nous n'assurons la diffusion, pour la plupart d'entre nous, qu'avec réticence. Cette année, il a paru intéressant d'inverser totalement les données précédentes et de nous pencher sur l'état de notre fonds de poésie contemporaine sachant qu'il s'agissait, cette fois, d'aborder un domaine dans lequel les lacunes seraient nombreuses, les demandes du public presque nulles mais vis-à-vis duquel notre responsabilité se trouvait fortement engagée.

    Le 27 mai dernier, à l'auditorium de la Bibliothèque annexe de Levallois-Perret, une rencontre autour du thème « Poésie et bibliothèques » a réuni environ soixante-dix participants.

    Cette rencontre avait été précédée par une sorte de « mini-sondage » susceptible de fournir une base aux interventions et discussions. Quatre élèves bibliothécaires, candidats au C.A.FB., avaient été chargés de mener une enquête dans quelques bibliothèques municipales de Paris et de la région parisienne. En fait l'échantillonnage était assez petit (11 bibliothèques) et les enquêteurs, encore novices, pas toujours aptes à tirer parti des éléments mis à leur disposition. Toutefois, compte tenu de leur marge d'erreurs, les résultats du dépouillement ne se sont pas avérés sans valeur et ont confirmé ce que nous ne pouvions manquer de pressentir : la très faible place accordée à la poésie contemporaine en lecture publique.

    Voici les grandes lignes qui se dégagent de l'enquête et la conclusion que nous en avons tiré.

    Les bibliothèques de moyenne importance (entre 20.000 et 40.000 volumes) possèdent toutes des anthologies poétiques qui sont assez couramment empruntées mais trois sur dix seulement sont abonnées à une revue poétique Création ou Action poétique.

    Les seuls poètes (2) du XXe siècle représentés partout sont (dans l'ordre alphabétique) : Apollinaire, Aragon, Eluard, Max Jacob, Prévert, Boris Vian, pour les français ; Garcia Lorca et Neruda, pour les étrangers. Le nombre de volumes possédés n'est pas significatif en soi puisque les auteurs sont diversement prolifiques et que les éditeurs publient tantôt des plaquettes, tantôt de gros recueils d'oeuvres complètes ou choisies mais il est instructif de comparer le chiffre moyen de l'ensemble de dix bibliothèques « testées » (parmi lesquelles figure Sarcelles qui accorde une assez large place à la poésie) avec celui de la onzième, la Bibliothèque municipale d'Ivry (3) . Aragon compte une moyenne de 10,2 volumes par bibliothèque, Ivry en possède 27 ; Prévert une moyenne de 7,6, Ivry 14 ; Garcia Lorca 3,5, Ivry 16, etc...

    Quant aux lecteurs, leurs poètes favoris (en se basant sur la fréquence des prêts) sont, dans l'ordre et nettement détachés, Aragon, Prévert, Eluard, Apollinaire et, si l'on ne tient compte que des prêts les plus récents, Neruda qui, en 1974, vient en tête du nombre de « sorties » à Massy, dans le XXe arrondissement de Paris et en troisième position à Ivry.

    Quelle leçon en tirer ? Que l'offre entraîne la demande ou la demande l'offre ? C'est un peu l'histoire de l'oeuf et de la poule. Pas plus que les bibliothécaires, les lecteurs ne cherchent à s'éloigner d'un certain classicisme : tous les écrivains cités sont morts ou âgés de plus de soixante-dix ans. Le « cas » Neruda mérite un commentaire : comme les autres genres littéraires, la poésie est lue en fonction de l'actualité (nous n'étions peut-être pas unanimes à le penser). Ces lecteurs de poésie en bibliothèque sont surtout des femmes mais en majorité absolue (elles sont les plus nombreuses à être inscrites) nullement en majorité relative (proportionnellement les hommes sont probablement plus nombreux). Les jeunes constituent, de loin, le public le plus important mais, dans plusieurs bibliothèques ils ont nettement dépassé l'âge de la scolarité normale (21-30 ans). Il n'en demeure pas moins que la plupart de ces lecteurs appartient aux catégories enseignants/enseignés, parfois aux professions libérales, peu son employés (signalés dans deux bibliothèques), aucun ouvrier, quelques-uns pourraient être qualifiés de marginaux : forains, personnel de service... Force est, devant ce résultat de s'interroger sur les motivations de celui qui paraît s'intéresser au fonds poésie. Lit-il par goût ou par obligation ? Faute d'avoir pu interroger suffisamment d'usagers (et d'être sûrs de la sincérité de leur réponse) contentons-nous de reproduire l'avis - optimiste ? - d'un des responsables de Sarcelles : « On commence à lire des poèmes par obligation mais on continue pour le plaisir ».

    Les rapports poésie/chanson ont été évoqués (surtout dans les établissements abritant sous le même toit une bibliothèque et une discothèque) mais aucune étude précise sur le sujet n'a été menée à bien et il en résulte des avis subjectifs et fort divergents impossibles à prendre en considération. Divergentes aussi les opinions sur une éventuelle progression du nombre des amateurs de poésie. Une majorité de nos collègues pense tout de même qu'il y a une évolution perceptible surtout depuis deux ou trois ans dans le sens d'une plus grande demande.

    Leur politique d'achat reste malgré tout fort timorée. Les bibliothécaires n'achètent généralement des titres nouveaux qu'en fonction de la renommée de l'auteur mais ne précisent guère quel est, selon eux, le critère qui leur sert à mesurer cette renommée. Benjamin Péret qui figure avec une moyenne de 0,5 volume par bibliothèque est-il un inconnu? D'autres se fient aux éditeurs (Seghers), aux demandes des lecteurs (mais est-ce suffisant ?) très rarement aux critiques (peut-être considérés comme plus sub-jectifs dans ce domaine que dans d'autres?). Certains disent agir en fonction des parutions ou de leur fonds général ; ce dernier type de réponse est bien vague et demanderait à être explicité. Presque tous souhaiteraient accroître leurs acquisitions en matière de poésie mais... En réalité ils demeurent persuadés que leurs lecteurs ne le désirent pas. C'est précisément là le noeud de la question. La poésie contemporaine peut-elle se passer de nous ou n'avons-nous pas un rôle d'initiateur tout à fait particulier à remplir ? Il serait chimérique de notre part de nous lancer dans l'hermétisme total et l'extrême avant-garde en nous coupant ainsi totalement de notre public mais ce ne serait pas trop nous demander que de précéder légèrement sa demande et de tenter - tant pis si nous nous trompons, de toute façon cela nous arrive de temps à autre - de découvrir aujourd'hui le Prévert ou l'Aragon de demain.

    Trois exposés ont été entendus. Ceux de :

    1) Georges Jean, enseignant et écrivain, qui constate la fâcheuse situation de la poésie en France surtout comparée à celle qui lui est faite dans les pays de l'Est et en Scandinavie. Plusieurs responsables de cet état de chose et, en premier lieu, l'école qui condamne les jeunes enfants aux poèmes bêtifiants et qui dégoûte à tout jamais leurs aînés de La Fontaine et de Victor Hugo.

    En second lieu, les éditeurs importants qui (sauf Seghers) n'éditent qu'exception-nellement de la poésie et condamnent pratiquement tous les poètes à passer par la filière de l'édition à compte d'auteur. Les personnes qui pratiquent ce genre de commerce sont fréquemment de véritables escrocs vivant grassement aux dépens des jeunes poètes.

    Quant au rôle des bibliothèques pour la promotion de la poésie, il est comme celui de l'école, important ; c'est pourquoi, lors de l'élaboration du VIe plan, Pierre Emmanuel avait proposé en son propre nom, en celui de Pierre Seghers et en celui de Raymond Jean que les bibliothèques possèdent au moins un exemplaire de tous les recueils de poésie qui paraissent.

    2) Henri Deluy qui prend carrément le contre-pied des assertions et suggestions précédentes. Il est favorable à l'édition à compte d'auteur puisque presque tous les jeunes gens se croient poètes et ne le sont pas pour autant. Il est normal qu'ils paient pour cela. Les éditeurs n'ont pas à jouer les philanthropes, il leur faut vivre et ils ont des frais. Ce qui se passe en Union Soviétique où l'on « aide » les poètes est désolant : des kilomètres de livres sur des rayons et pas de lecteurs.

    Pour cette raison il rejette totalement le projet de Pierre Emmanuel et considère que les bibliothèques n'ont pas à posséder l'ensemble des publications poétiques. Toute-fois il estime la situation actuelle insuffisante et demande à ses collègues de faire au moins l'effort financier nécessaire pour s'abonner à une revue de poésie (que ce soit à Action poétique ou à une autre, il en existe de sérieuses et de tendances très diverses), pour acheter la collection Poètes d'aujourd'hui des éditions Seghers ainsi que la collection Poésie du monde entier des éditions Gallimard. Il chiffre à environ trente volumes par an l'ensemble de ces productions et conclut que presque toutes les bibliothèques peuvent s'offirr ce luxe (!).

    3) Gilbert Duhamel, universitaire, auteur d'une thèse sur la poésie et directeur du Service Culturel de Levallois-Perret, qui vient exposer un projet de « Maison de la poésie » au sein de laquelle collaboraient des écrivains, des bibliothécaires, des éditeurs, des libraires et des responsables socio-culturels.

    Le côté pratique n'a pas, loin de là, été négligé au cours de cette journée d'étude et nous pouvons communiquer à nos collègues les informations suivantes :

    • - La bibliographie des revues de poésie est diffusée par les soins du Centre d'information et de coordination des revues de poésie. Ecrire à Jacques Le Page, Chemin du Bois de Boulogne, 06100 Nice ou téléphoner au 83-26-05.
    • - Le Gif vient de publier une liste bibliographique signalant des recueils de poèmes disponibles en 1974 et publiés chez des éditeurs de grande diffusion. La liste néglige volontairement les oeuvres trop connues et élimine, naturellement, les innombrables jeunes poètes édités à compte d'auteur. On peut se la procurer en envoyant 4,50 F en timbres poste à l'adresse suivante : GIF, 6, avenue de France, 91300 Massy.
    • - Pour les activités d'animation divers spectacles sont disponibles. Rafaël Rodriguez, animateur culturel de Levallois, a présenté deux montages poétiques avec acteurs, chanteurs et musiciens, l'un consacré à Pablo Neruda, l'autre à Attila Jozsef. il signale qu'il en a également réalisé d'autres (sur les sonnets de Shakespeare, par exemple) et qu'il ne demande pas mieux que de travailler sur commande avec divers sujets qui lui seraient proposés. Tél. 737-27-00. Reine Bartève, comédienne, accompagnée par un percussionniste propose un récital de poèmes lyriques très divers, pour la plupart de langue française, qui va de la Complainte du Roi Renaud (anonyme du Moyen Age) à Henri Michaux en passant par Baudelaire, Milosz, Saint-John Perse, etc... 242 bis, rue des Pyrénées, 75020 Paris, tél. 797-25-50. Ces spectacles que nous avons vu et écouté avec un grand plaisir sont tous d'une haute qualité artistique et parfaitement adapté au cadre de nombreuses bibliothèques.

    En conclusion, nous aurons vécu une journée très riche et très animée à tous égards qui aura sans doute bien des prolongements dans l'esprit des participants.

    Visite de la bibliothèque du Comité d'entreprise d'Orly-Nord 27 mai 1974

    Prise de contact avec une bibliothèque d'entreprise très active. Nous avons retenu :

    • - l'importance des moyens dont la bibliothèque dispose : 60.000 F pour 6.000 tra-vailleurs ;
    • - les efforts dirigés vers l'animation et la conquête d'un nouveau public : séances organisées pendant l'heure du déjeuner ;
    • - ses résultats : 20 % des travailleurs de l'entreprise fréquentent la bibliothèque.

    1. Compte rendu dans « Lecture et Bibliothèque » n° 27 et n° 29. retour au texte

    2. En ce qui concerne les écrivains qui se sont illustrés dans plusieurs genres ou dont on a publié correspondance, mémoires, etc.... il n'a bien entendu, été retenue que l'oeuvre poétique proprement dite. retour au texte

    3. Bibliothécaire : Henri Deluy, poète et rédacteur en chef d'« Action poétique », établissement qui compte 80 000 volumes. retour au texte