Le problème posé dans une des réunions du Congrès était un problème relativement neuf sur lequel la réflexion collective ne s'était encore jamais exercée, en France tout au moins. Préparé par un rapport préliminaire rédigé par M. Richter, le débat a été orienté par les interventions de M. Le Rider, administrateur général de la Bibliothèque nationale, et de M. Barnett, représentant de l'Association des bibliothécaires anglais. Le premier a défini les objectifs prioritaires du Centre national de prêt et indiqué le rôle que ce service et le Centre national des documents rares et précieux pourraient éventuellement tenir dans un système national de conservation. Le second a exposé les grandes lignes de la coopération instaurée entre les bibliothèques anglaises pour assurer la conservation et l'acquisition des ouvrages publiés dans les différents domaines de la création et de la documentation.
La question intéresse en fait toutes les catégories de bibliothèques. Posée aux seuls membres de la section des bibliothèques publiques, elle a donné lieu à un débat intéressant et animé. Celui-ci ne pouvait cependant déboucher sur des recommandations précises. Il n'a eu qu'un caractère exploratoire et a ouvert les voies au débat général qui se déroulera au Congrès de 1978 à Versailles.
Il n'est nullement question de débattre ici du problème des fonds anciens. C'est là un problème de spécialistes. Il ne concerne qu'une minorité de bibliothèques municipales et le Centre national des documents rares et précieux est chargé de rechercher et de mettre en oeuvre les solutions spécifiques propres à le résoudre. La question posée dans ce carrefour est beaucoup plus vaste. Elle intéresse l'ensemble des bibliothèques, publiques ou privées, anciennes ou récentes, dont l'activité est orientée, entièrement ou partiellement, vers la diffusion des connaissances et vers la vulgarisation par le document des valeurs culturelles.
Il n'y a pas de solution de continuité entre nos actuelles bibliothèques de lecture publique et les bibliothèques populaires du siècle dernier. Or la bibliothèque populaire a été conçue d'abord comme une institution complémentaire de l'école. Elle n'est jamais apparue comme une extension de la bibliothèque publique municipale. Rien ne pouvait induire ses responsables à percevoir le moindre rapport fonctionnel ou institutionnel avec les bibliothèques de tradition vouées à la conservation et à l'érudition. Attachée exclusivement à l'action éducative, la bibliothèque populaire est restée à peu près étrangère aux problèmes bibliothéconomiques et, a fortiori, à celui de la conservation. Les bibliothécaires municipaux de leur côté n'avaient aucune raison de s'intéresser à la lecture populaire, qui était l'affaire des sociologues et des pédagogues.
L'hétérogénéité des deux catégories de bibliothèques était encore si évidente dans les premières années de notre siècle que Eugène Morel l'a érigée en doctrine : conservation et lecture publique ont des objectifs incompatibles ; il faut donc confier ces deux fonctions à des institutions différentes, la bibliothèque, qui conserve, et la librairie publique, qui élimine tous les documents périmés. (On pourra remarquer ici que le couple Bibliothèque nationale/Bibliothèque publique d'information traduit à un autre niveau cette doctrine dans les faits).
Dès sa création, la section des bibliothèques publiques de l'A.B.F. s'est placée sous le patronage d'Eugène Morel. Bien que l'information sur le sujet soit des plus discrètes, nous savons aussi que l'élimination est une pratique courante dans beaucoup de sections de lecture publique des bibliothèques municipales où elle prend parfois un caractère massif, et probablement aussi dans les bibliothèques des associations et des entreprises.
Devons-nous en rester là, admettre tacitement une pratique imposée par l'explosion documentaire, par le vieillissement rapide des connaissances, des modes et de la documentation, par le manque de place, et qui, dans le secteur public au moins, ne peut être que clandestine et tolérée, parce que contraire aux textes qui réglementent le domaine public mobilier ?
Devons-nous, au contraire, prendre parti devant la généralisation inéluctable de l'élimination, analyser le problème conservation/consommation/élimination à la lumière des données actuelles et proposer des solutions raisonnées et réalistes à une question qui n'a jamais été débattue dans nos associations professionnelles.
Si nous répondons positivement à cette question préalable, il nous faudra essayer de dégager dans les perspectives de développement de l'ensemble des bibliothèques françaises les éléments qui peuvent nous aider à dépasser les situations de fait et à définir une politique de la conservation et de l'élimination.
La section des bibliothèques publiques a débattu des problèmes posés aux bibliothèques par l'explosion documentaire, par le vieillissement rapide des connaissances et par l'insuffisance des locaux qui contraignent à des éliminations parfois massives. Elle a constaté que ces éliminations se font le plus souvent par la destruction des ouvrages, sans concertation préalable et sans contrôle. Elle considère que, dans les conditions actuelles, l'élimination est une réalité nécessaire, mais qu'elle doit procéder d'une politique raisonnée et devenir une pratique institutionnelle.
S'inspirant des réalités britanniques, les solutions doivent être recherchées à la fois sur le plan national et sur le plan régional.
a) Au niveau national : Le Centre national de prêt a pour objectif prioritaire de répondre aux demandes concernant la production nationale courante et n'a pas vocation à la conservation des fonds que les bibliothèques désirent éliminer. Il pourra cependant, dans une phase ultérieure, redistribuer les surplus des bibliothèques en fonctionnant comme une bourse d'échange. Le Centre national du livre ancien et des documents rares et précieux pourrait également intervenir dans la conservation des documents éliminés, après avoir défini les critères d'une sélection.
b) Au niveau régional : avant de proposer la création d'institutions vouées à la conservation, il y intérêt à rechercher des solutions en utilisant des établissements existants, choisis en fonction des situations particulières à chaque région.
La coopération volontaire qui se développa dans les groupes régionaux de l'A.B.F. pourrait fournir un cadre à quelques essais : les bibliothèques d'une région se répartiraient la conservation et l'acquisition des ouvrages appartenant à une ou plusieurs spécialités. Une concertaton permanente entre les bibliothèques participant au système éviterait les transferts inutiles.
D'autres solutions peuvent être tentées dans le cadre administratif. Dans chaque région, un service d'archives départementales, ou une grande bibliothèque municipale, ou une bibliothèque centrale de prêt pourraient être chargées de conserver, de redistribuer, de mettre en mémoire et de communiquer les ouvrages rejetés par les bibliothèques publiques et privées. Les bibliothèques universitaires pourraient également intervenir dans le système, en fonction de leurs spécialisations, dans le domaine scientifique surtout.
Les expériences qui seront faites dans le cadre des associations et des institutions amorceraient la concertation avec les autorités régionales et devraient aboutir à la prise en charge par le budget de la Région de la création des équipements nécessaires à la collecte, à la conservation et à l'exploitation du patrimoine littéraire et documentaire existant dans les établissements situés dans les limites de la circonscription régionale.