Tous les ans, à la même période, un mois après la rentrée scolaire, dès que les premiers froids arrivent, elles font leur apparition... disparaissent épisodiquement, réapparaissent au moment où on si attend le moins... ainsi de suite jusqu'à ce que les beaux jours du printemps reviennent. Ils s'agit des « bandes d'adolescents ».
De manière générale, nous sommes plutôt démunis... Au mieux nous faisons face, nous essayons d'endiguer la vague, en attendant que les beaux jours arrivent... et cela recommence encore l'année suivante.
Ce préambule pour dire que l'initiative de cette journée d'étude est excellente à quelques semaines de l'apparition des premiers froids...
Je m'empresse d'ajouter qu'il ne faut pas, à mon avis, réduire ce phénomène à la météorologie; il y a, comme on va le voir, beaucoup de causes.
Le sens de mon intervention est d'apporter une contribution à ce que doit être cette journée : une réflexion collective... Ma contribution sera par ailleurs illustrée par le témoignage d'un bibliothécaire qui s'est trouvé a sur le tas » (comme on dit) pendant plus de 5 ans, dans un des quartiers les plus difficiles de Grenoble : « le quartier Mistral ».
Pour cet exposé, je me suis inspiré du rapport de Pierre Michard, Directeur du Centre de Formation et de Recherches de l'Education Surveillée, publié en 73, par la Documentation Française.
J'ai systématiquement transposé ce rapport en essayant de l'adapter à la situation des bibliothèques.
3 PARTIES :
Il me paraît important de cerner un peu ce qu'est une conduite délinquante... Car toute appréciation est relative...
Pour certains, des enfants qui font trop de bruit en jouant dans un jardin, sont considérés comme des délinquants... alors que pour d'autres, une tentative manquée de tir à la carabine sur un passant n'est pas répréhensible, puisque cette tentative est manquée...
Mais je voudrais d'abord prendre une précaution qui me paraît importante : celle de ne pas tomber dans le racisme anti-jeunes.
En effet :
Or
Cela signifie que :
Sur la base du rapport de P. Michard et en fonction de ce qui se passe dans nos bibliothèques, je voudrais essayer de faire une topologie du comportement délinquant :
Il ressort des statistiques judiciaires 4 grandes classes d'infraction :
2.1. Ce sont les atteintes aux biens qui prédominent dans des proportions écrasantes : 80%. C'est (essentiellement) le vol et le vandalisme qui constituent l'essentiel des conduites délinquantes.
Pour le vol : vols de sacs, de portefeuilles, de véhicules avec ou sans moteurs, de matériel audiovisuel (micros, électrophones, magnétophones), spots lumineux... curieusement, peu de vols de documents, presque pas de livres... on peut en conclure qu'ils ne sont guère intéressés par la lecture.
Pour le vandalisme : il s'agit de destructions gratuites de jeunes, agissant presque toujours en groupe : vitres cassées, rayonnages renversés, fauteuils percés au couteau, moquettes brûlées, graffitis sur les murs, généralement obscènes... inondations en bouchant les lavabos... et, pour parachever le tout, manifestation des besoins naturels les plus élémentaires... (Mistral).
2.2. Les conduites caractéristiques d'atteintes aux personnes sont beaucoup plus rares : 8%.
Elles sont surtout le fait de bagarres entre jeunes ou de conduites agressives vis-à-vis des adultes dégénérant en bagarres. En règle générale, cela se limite aux coups de poings et de pieds... Cela peut s'aggraver avec des objets contondants (chaînes de vélo, barres de fer, chaises, jets de pierres et toutes sortes d'objets...)... presque jamais l'arme blanche n'est utilisé, couteaux... bouteilles cassées... en ce qui me concerne je n'ai encore jamais vu de situation où les problèmes se réglaient à l'aide d'armes à feu.
2.3 Les conduites caractéristiques d'atteintes aux moeurs sont encore plus raresElles se manifestent par des relations hétéro ou homosexuelles provocantes... par des conduites sexuelles vénales, par des conduites sexuelles violentes : viols collectifs « viols en réunion ». (Le plus souvent, il s'agit de simulations).
2.4 Les autres conduites délinquantes sont le fait de l'état d'ivresse, du chahut collectif... turbulances.
Ces conduites très hétérogènes restent très souvent en deçà de la limite du supportable et seule une accumulation finit par les rendre insupportables. Tout dépend de la capacité d'intervention (pas trop tôt; pas trop tard) de la maîtrise, de la patience du bibliothécaire... Avant de parler des interventions pourfaire face à cela, essayons d'analyser brièvement \es facteurs qui conduisent à ces actes.
Je disais, au début de l'entretien, que ce problème ne se réduisait pas à des causes météorologiques, il y a en effet d'autres causes qu'il convient de mettre en évidence, si on veut comprendre, et, le cas échéant, résoudre le problème.
Tous les spécialistes : juges, médecins, psychiâtres, psychologues, pédagogues, sociologues, mettent en avant des facteurs individuels et des facteurs sociaux.
Les facteurs individuels regroupent :
Une mauvaise relation affective avec la mère, une déficience de l'image paternelle sont dans ce cas les facteurs prédominants d'une mauvaise socialisation.
7 - liés aux micro-groupes de socialisation - que sont :
2 - liés à la mutation de la société globale :
Une coréllation étroite existe entre l'extension de la délinquance et l'accélération brutale du rythme d'évolution, l'effet de mutation de la société actuelle, le passage rapide du stade industriel au stade post-industriel génèrent des facteurs qui touchent plus particulièrement les jeunes vulnérables.
Les mécanismes principaux peuvent être regroupés en 3 axes :
Quel que soit le type de pays - à économie de marché - socialiste - en voie de développement - la hausse de la délinquance coïncide avec le développement économique; elle peut paradoxalement coïncider avec la pénurie totale.
Exemple : le taux de délinquance des garçons de 14 à 17 ans est de 7 ‰ en Limousin (secteur en régression) contre 13,4 ‰ dans la région de Grenoble (secteur en développement accéléré). Il serait puéril de condamner le développement économique pour autant, mais il faut bien reconnaître que la condamnation du productivisme, telle qu'elle est faite par les écologistes repose sur le bon sens...
La mobilité généralisée (géographique, professionnelle, technologique, sociale) porte atteinte à la stabilité des groupes de vie dans le cadre desquels se socialise le jeune. La liaison entre mobilité géographique et délinquance est très nette à Grenoble; le phénomène est remarquable puisque 70 % des délinquants sont des jeunes récemment installés dans la ville (plus spécialement dans les quartiers périphériques).
L'extension de l'urbanisation : la délinquance s'épanouit plus facilement dans les milieux urbains où on se trouve en présence de zones de mauvaise intégration (banlieues industrielles périphériques). Les indices qui définissent les taux de participation sociale sont bas : fréquentation scolaire irrégulière - instabilité de l'emploi, chômage, bas salaires... le tout souvent lié à des phénomènes ethniques : concentration de migrants qui génèrent des conflits du culture incontestables facteurs d'inadaptation. Il faudrait s'appesantir sur ce phénomène qu'on retrouve dans toutes les grandes métropoles.
Comme un malheur n'arrive jamais seul, tous ces facteurs pathogènes se combinent entre eux... On peut appeler cela la loi de l'emmerdement maximum... Mais il faut reconnaître que c'est surtout le fils du travailleur immigré en chômage qui se trouve en butte à des difficultés scolaires et dans une situation pré-délinquante.
Quand on évalue le coût de la délinquance, coût de la répression de la rééducation, coût financier, social, on se demande pourquoi l'investissement sur les adaptations à réaliser dans les différents secteurs institutionnels concernant directement les jeunes ne sont pas plus grands : effectifs chargés dans les classes; l'urbanisme et le logement à bon marché coûte finalement plus cher qu'on ne le pense lorsqu'on songe à ses conséquences.
En attendant de meilleurs jours, et la disparition de tous ces facteurs pathogènes, QUE FAIRE?
Comment se comporter face à la conduite agressive de certains lecteurs...
Devant l'expression de ce qui est le plus souvent un rapport de force il convient de ne pas faire preuve de faiblesse... il ne s'agit pas d'opposer forcément un rapport de force brutal à un autre rapport de force brutal... car à la limite, c'est faire preuve de faiblesse. Il faut montrer de la maîtrise de soi et en aucun cas sombrer dans la démagogie, même sous un couvert idéologique, car cette forme de démission ne pardonne pas.
Faire face par une plus grandesolidarité des travailleurs sociaux... devant une solidarité de la bande qui n'est que de façade... (autour d'un meneur...). Les bandes sont d'autant plus corrosives que bibliothécaires, animateurs, travailleurs, sociaux divers sont divisés sur le problème.
Les bibliothécaires ne peuvent résoudre un problème qui les dépasse... En tant qu'hommes ou que femme, une attitude rigoureuse, sans démagogie, en tant que bibliothécaire l'efficacité me paraît douteuse car ils ne viennent pas pour lire...
Face à un conflit, une agression importante... S'il n'est pas possible d'endiguer en tant qu'homme, femme ou bibliothécaire, je pense qu'il ne faut pas hésiter à utiliser les moyens juridiques existants, pour les raisons suivantes :
En effet, la juridiction des mineurs a essentiellement pour mission de prendre des mesures de sauvegarde, d'éducation ou de rééducation. L'ordonnance de 1945 sur la protection judiciaire de l'enfance, modifiée en 51, 59 et 70, qui a mis en place juge pour enfants, tribunal pour enfants, permet une intervention qui est dans la plupart des cas éducative et protectrice... grâce à l'inter-action possible entre le judiciaire et l'administratif - les condamnations pénales sont toujours très exceptionnelles, c'est la notion irresponsabilité pénale du mineur qui prédomine...
Les systèmes de protection et de rééducation mis en place sont loin d'être miraculeux... Il faudrait s'attaquer aux racines du mal. Je le disais au début... pas de productivisme... 50 à 60 % des sujets parviennent à une adaptation sociale relativement satisfaisante.
C'est mieux que de maintenir le jeune délinquant dans la délinquance jusqu'à ce qu'il atteigne la majorité pénale car alors dans presque 100 % des cas c'est le mettre aux mains de la justice dès qu'il a passé le cap des 18 ans.