Description : L’inscription des missions de la bibliothèque dans le champ du service public, tenue pour acquise et chère à tous les professionnels, est certes légitime, mais
suppose la pleine conscience d’un arrière-plan complexe. Si chacun considère à part soi comme évidente la définition qu’il se donne du service public, l’expliciter suscite bien souvent des difficultés de tous ordres. C’est que cette notion est tout autant que le produit des scansions de l’Histoire, celui d’attendus philosophiques, parfois divergents, et de leurs traductions politiques. Cette inscription repose sur le passage de la notion de besoin à celle d’intérêt général. Car c’est de l’intérêt général que se déduit l’exigence d’une égalité d’accès « aux sources documentaires pour permettre l’indépendance intellectuelle de chaque individu et contribuer au progrès de la société » défendue par le défunt Conseil supérieur des bibliothèques. Mais la notion d’intérêt général reposait
elle-même sur une définition politique du citoyen abstrait des Droits de l’Homme. Avec l’affermissement de la démocratie et les progrès de l’individualisme moderne, cette conception d’un sujet rationnel abstrait a évolué vers la reconnaissance d’un sujet concret, être de désirs. Ainsi, la bibliothèque a-t-elle dû à son tour envisager d’offrir bien davantage que des outils pour la connaissance – l’access to knowledge de l’Ifla –, un « living room de la cité » ou « troisième lieu », après le domicile et le travail, un espace public où toutes sortes d’activités individuelles ou collectives, utilisant ou non les ressources documentaires, pourraient se dérouler, et notamment des activités de plaisir. Un tel dossier ne pouvait donc se contenter de faire le point sur une notion abstraite, mais devait envisager comment celle-ci épouse le déferlement des nouvelles technologies, des nouveaux supports, l’évolution des usages qui en découlent, et confronter ceux-ci aux exigences universalistes du service public. Il constitue ainsi tout naturellement le pendant du dossier « Intimités » que Bibliothèque(s) a consacré il y a tout juste un an à l’accueil et la prise en charge par la bibliothèque de ses usagers comme êtres de désir dans un espace public. 1. Bibliothèque(s), n° 47/48, « Intimités », décembre 2009