L’importance d’être (ou non) constant

yves alix

Au printemps, l’Enssib, comme ses homologues emportées par la même « vague » (c’est le terme consacré), va se lancer dans le processus d’évaluation qui, tous les cinq ans, rythme la vie des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. L’évaluation, selon le Petit Robert, est « l’action d’évaluer, de déterminer la valeur ou l’importance d’une chose ». Trois questions viennent donc à l’esprit.

- Cette valeur, comment la mesurer ? Indicateurs et référentiels, validés et partagés, sont là pour répondre à ces questions, sous réserve que tous, évaluateurs et évalués, les reconnaissent comme légitimes. Ce travail d’objectivation est la clé de toute bonne évaluation.

- Qui évalue ? En l’espèce, le HCERES[1] applique une règle d’or de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’évaluation par les pairs, et veille à prévenir les conflits d’intérêts. De plus, les établissements sont invités à formaliser les premiers leur diagnostic, à travers l’exercice, délicat mais indispensable, du rapport d’autoévaluation. Tout l’art, ici, sera dans la vérité sans fard de l’autoportrait. Soyons, en toute modestie, Rembrandt, Van Gogh, Schiele !

- Qu’évalue-t-on ? Tout : formations, recherche, stratégie, gouvernance, diffusion des savoirs. Et dans une trajectoire : partant du bilan précédent, l’analyse mesure une évolution que chacun, bien sûr, espère favorable. Il ne s’agit pas seulement d’être constant, mais de progresser. L’évaluation, fondée sur la bienveillance et l’exigence, dit le Haut conseil, doit être « centrée sur les processus d’amélioration continue ». La posture est moins confortable qu’on ne l’imagine, des deux côtés de la barrière : d’un côté, c’est l’ombre du Revizor qu’il faut chasser, de l’autre celle du bon docteur Coué…

 

L’Enssib, depuis longtemps déjà, évalue formations et  insertion professionnelle. Elle a, ces deux dernières années, fortement consolidé son dispositif. Trois conseils des professionnels, construits sur le modèle des conseils de perfectionnement prévus par le code de l’éducation, ont été créés, respectivement pour le diplôme de conservateur, la formation des bibliothécaires et la formation tout au long de la vie. Enseignants, élèves et étudiants sont sollicités systématiquement pour évaluer la pertinence des contenus comme les méthodes et valider l’innovation pédagogique, à travers des interactions formelles (bilans de stages, tutorat, formulaires et synthèses statistiques) ou plus spontanées, via les réseaux sociaux.  Le dispositif le plus développé, cependant, est certainement l’enquête biennale d’Évaluation différée de la formation initiale partagée entre membres du RESP[2] et confiée à un cabinet spécialisé[3]. Son originalité est de confronter la vision des élèves et celle des employeurs. La dernière synthèse reçue, que je vous invite à découvrir ici, interrogeait les « DCB 25 » (dernière promotion avant la réforme en cours) et les « FIBE 06 ». Si, de la part des élèves, les critiques envers la formation restent souvent vives – mais les progrès sont appréciés, et la réforme n’avait pas encore commencé -, 94 % considèrent que leur poste correspond à leurs aptitudes et à leurs compétences. Les employeurs ont, de leur côté, une image de plus en plus positive de la formation dispensée par l’école (86 %). Beaucoup de corrections de trajectoire restent à faire, mais  les  avancées sont  encourageantes. Un bilan nuancé, en somme. La nuance est une valeur parmi les plus hautes, à réhabiliter d’urgence, en ces temps de tout ou rien. Comme le remarquait Wilde, « Aujourd'hui les gens savent le prix de tout, et ne connaissent la valeur de rien ».

 

[1] Haut conseil de l’évaluation de l’enseignement et de la recherche : https://www.hceres.fr/

[2] Réseau des écoles de service public : http://www.resp-fr.org/

[3] Pour cette vague, l’institut d’études MOAÏ : https://moai-etudes.fr/


Yves Alix