Nathalie Clot © Emmanuel Jourdet , BUA

 

Après un parcours de réussite scolaire à la française (prépa et École nationale des chartes), un contrat court à la bibliothèque du Conseil d’État, la formation de conservatrice (DCB11) et un premier poste à la bibliothèque d’odontologie de Paris 7, Nathalie Clot considère avoir vraiment commencé à apprendre à travailler avec Olivier Tacheau, en arrivant à la BU d’Angers en 2007. Elle essaie depuis de rationaliser cet apprentissage, que ce soit au sein de l’équipe où elle travaille ou dans le monde des bibliothèques, via l’animation de formations ou l’écriture d’articles de commande. En 2021, elle sera occupée par la coordination de l’UE « Management » des DCB30 qu’a souhaité lui confier l’Enssib et par l’accompagnement de la sortie de crise Covid-19 à la BU d’Angers.

 

Rencontre avec Nathalie Clot, directrice de la BUA (Bibliothèques et Archives de l'université d'Angers), responsable scientifique de formation à l’Enssib

Directrice de la BUA (Bibliothèques et Archives de l'université d'Angers), Nathalie Clot pilote le stage « Conduire des changements en bibliothèque à l’aide de méthodes UX », qui se tient habituellement en présentiel. Sous l’effet du contexte sanitaire, elle a travaillé avec deux collègues, Maud Puaud et Maxime Szczepanski, à l’adaptation de ce stage, qui s’est tenu à distance les 7, 8 et 9 décembre dernier. Elle témoigne de son expérience, nous en livrant les points forts et les limites.

 

1/ Vous êtes responsable scientifique du stage « Conduire des changements en bibliothèque à l’aide de méthodes UX ». Avec deux de vos collègues, vous avez dû adapter ce stage en distanciel.  En quoi cela a consisté ?
Nathalie Clot : Le terme « responsable scientifique » me donne toujours l’impression d’usurper un titre que je n’ai pas. Je me vois plutôt comme quelqu’un tout juste sortie d’un parcours de compagnonnage, qui cherche à son tour à transmettre à ses premiers apprentis, encore maladroitement, ce qu’elle pense avoir compris. Passer d’une formule que ma collègue Maud Puaud et moi-même polissions depuis 2015 pour rendre l’expérience de formation in situ la plus riche et réflexive possible était un défi : nous nous sommes interrogées, étape par étape, sur les moyens à notre disposition pour transposer en ligne les contenus de la formation (faciles, ils étaient déjà sur Moodle, la plateforme interne de l’Enssib dédiée aux apprenants de l’école, structurés en cours et en exercices à faire en autonomie depuis 2018) et surtout les interactions. Notre montée en compétences du printemps nous a permis de définir un dispositif utilisant les « salles de travail de groupe » de Moodle et l’usage de l’écriture collaborative dans des documents partagés pour transposer ce qui caractérisait la formule in situ, à savoir l’alternance de moments collectifs en groupe entier et de travail en sous-groupes. Nous appuyer sur un déroulé et des contenus déjà éprouvés a été un élément facilitateur certain.
Nous avons réduit de moitié la taille du groupe (de 22 à 13 participants), ajouté un animateur, et particulièrement soigné l’étape de prise en main technique en amont et au début de la formation. Nous avions aussi posé des pré-requis techniques et avons été aidés par la pratique intensive que nous avons toutes et tous acquis à marche forcée depuis le printemps 2020.

 

2/ Quand vous avez accepté de transformer le stage en distanciel, vous avez précisé que l’expérience vous amusait. Au terme de la formation, pourriez-vous dire de l’expérience qu’elle a été amusante ? Plus globalement, qu’en retirez-vous ? Seriez-vous prête à recommencer ?
N. C. : Nous nous sommes payés en enthousiasme à l’idée d’apprendre quelque chose de nous-mêmes et de nos compétences mais aussi de faire quelque chose que nous n’avions encore jamais fait à cette échelle, même si nous avions mené depuis le mois de mai 2020 trois expériences différentes d’animation de journées complètes de formation en ligne (DCB28, DCB29 et un bibcamp annuel au sein de l’équipe angevine). Par ailleurs, travailler avec mes collègues Maud et Maxime est toujours amusant, car nous aimons collaborer sur un objet concret et nous nous entendons à merveille, dans nos complémentarités : Maud en magicienne des méthodes pédagogiques actives, moi en compilatrice assidue de contenus, Maxime en facilitateur capable de mettre à l’aise et d’accompagner un groupe de gens et en testeur intégré d’une formation qu’il découvrait pour la première fois.

A chaud, puisque ça s’est terminé hier soir, c‘était vraiment très chouette : le groupe a merveilleusement joué le jeu, contribué, été présent de bout en bout et ne s’est pas laissé abattre par les problèmes techniques mineurs et par la difficulté à collaborer avec des inconnus. Il a affronté avec beaucoup de pragmatisme la masse de données et d’entretiens à distance que nous avions préparée pour remplacer les activités que nous proposons d’habitude sur site, auprès de notre public, sur le vrai terrain.

La formation en présence est en effet plus riche de toutes les interactions informelles, au moment des repas et des pauses prises en commun. Ce manque là nous ferait donc pencher vers une réitération in situ. En revanche, le distanciel peut être un gage d’accessibilité pour des personnes devant rester à proximité de leur lieu de résidence (jeunes mères allaitantes, aidants familiaux, personnes pour qui se déplacer est pour une raison ou une autre compliqué) et il nous semble que l’expérience était assez qualitative pour pouvoir être renouvelée sous cette forme. Finalement, nous aimons bien l’idée d’une formule qui se décline de manière complémentaire in situ et à distance, si nous continuons à trouver des collègues prêts à embarquer dans cette FTLV un peu atypique et parfois déstabilisante (classe inversée, travail « de terrain grandeur réelle » sans filtre, collaboration forcée).

 

3/ Quelles sont pour vous les limites d’une formation en distanciel sur un sujet comme celui que vous avez traité ?
N. C. : Les limites sont celle de l’énergie que chacun peut y mettre : les interactions en ligne sont coûteuses pour tout le monde, et une partie des méthodes de recherche sur les usages sont basées sur l’observation des personnes dans les espaces. La version « usages en ligne » que nous avons privilégiée pour cette formule a impliqué que les observations, souvent assez jouissives et « faciles » sur place, se sont révélées  correspondre à des analyses fastidieuses de données difficiles à contextualiser pour des participants ne connaissant pas, par définition, le terrain



4/ C’est la première fois que vous réalisez ce type d’adaptation d’une formation. Qu’est-ce que cela vous a permis qui n’aurait pas été possible en présentiel ?
N. C. : Nous sommes très fiers d’avoir tenu le temps à la minute près, tant pour les pauses que pour les débuts et fin de journée, et les contraintes de la visio ont été très structurantes pour faire comprendre l’intérêt de phase préparatoire de travail en solo, avant un partage où chacun parlait tour à tour en s’assurant d’être bien compris des autres. De plus, il était paradoxalement plus facile de se défaire de nos « tics relationnels » sous contrainte que dans un environnement plus proche de notre quotidien. Enfin, nous avons pu partager de la musique en début et fin de journée, pour entrer en résonnance avec les contenus, ce qui était également un outil inattendu et précieux.

 

5/ Comment les stagiaires se sont-ils emparés de la formation. Comment qualifieriez-vous la dynamique du groupe, l’investissement de chacun et les échanges qui se sont noués pendant la formation ?
N. C. : Ce sont les stagiaires qui en parlent le mieux ! Voici ce qu’ils nous ont dit librement en fin de formation et qui témoigne de ce qu’ils ont apprécié :

  • La qualité des échanges avec le groupe,
  • L’accent mis sur l’intelligence collective
  • Le regard neuf, critique et bienveillant de chacun, jeté sur nos pratiques, nos méthodes de travail,
  • Le travail d’équipe qui se fait en direct, avec des problématiques qui évoluent
  • L’ambiance cosy de la formation (partage de musiques, attention portée au bien-être)
  • L’usage optimisé des outils de travail à distance
  • L’introduction simple à des concepts qui le sont moins
  • Le travail colossal fait en amont de constitution des dossiers de recherche
  • Les supports mis à disposition de la démarche

Les stagiaires étaient vraiment les co-créatreurs de cette formation. Ils ont su se nourrir les uns des autres, et chacun a à sa manière apporter son regard, son expérience, ses outils, ses idées.

 

6/ Vous avez accepté de piloter deux classes virtuelles en 2021 ("Comment manager une équipe en télétravail en bibliothèque ?" et "Comment identifier une information fiable ?"). En quoi cette expérience va-t-elle nourrir la construction de ces deux formations ?
N. C. : 
Notre petite équipe récidive en effet : nous réutiliserons les outils d’aide à la prise en main des outils collaboratifs à distance, les éléments permettant de créer une ambiance « cosy » malgré la distance, l’alternance de bref contenus magistraux en groupe entier et de moments d’échanges en sous-groupes, ponctués d’exercices en temps limité destinés à maintenir l’attention sous pression. Et bien sûr, notre marque de fabrique : prendre le temps de caler les processus subjectifs, les attentes, les règles relationnelles avant de sauter aux contenus, aider les gens au fil de l’eau à remobiliser ce qu’ils viennent d’apprendre et, enfin, partager des documents imprimables très structurés, denses, pour synthétiser et stabiliser les apports mis en œuvre de manière dynamique pendant la matinée de formation. Encore un pari !


Propos recueillis par Véronique Branchut-Gendron
Le 10 décembre 2020