Yveline Loiseur

Yveline Loiseur dispose d’une double formation à l’image, à la fois artistique (École nationale de photographie d’Arles) et théorique (DEA en Esthétique et Sciences de l’Art à l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne). Lauréate de plusieurs prix et programmes artistiques, elle est représentée dans de nombreuses collections publiques et privées et dans différentes artothèques en France. Parallèlement à son travail de photographe, elle collabore à des projets de littérature jeunesse. 

Rencontre avec la photographe Yveline Loiseur

Rencontre avec la photographe Yveline Loiseur, dont l’exposition En souvenir d’un ami futur se tient à l’Enssib jusqu’au 13 mars 2020.

1/ Depuis la mi-janvier 2020, l’Enssib accueille l’exposition photographique En souvenir d’un ami futur. Comment est né un tel projet ? 
L’exposition à l’Enssib est née d’une rencontre avec Julia Morineau-Eboli, responsable du pôle développement des publics de l’Enssib, et Danièle Fleury, assistante de médiation. Le choix des photographies à exposer s’est porté sur la série La Vie courante car il s’agit d’un travail sur la mémoire et le souvenir, qui trouve une résonance particulière dans un lieu de conservation comme l’Enssib. J’ai cherché par ailleurs à construire un lien plus intime avec l’Enssib en concevant spécialement pour l’exposition un livre d’artiste que j’ai depuis disséminé dans la bibliothèque de l’école. 

2/ Vous avez choisi la photographie comme moyen d’expression. Pourquoi ce choix ? 
J’aime la photographie pour son caractère protéiforme, c’est un médium vivant qui est traversé par plusieurs pratiques, le livre d’artiste, l’installation... Installée au cœur du réel, elle accoste aussi sur les rives de l’imaginaire. Descriptive, elle est aussi fictionnelle, et, dans mon travail, elle se regarde dans le miroir de la littérature. C’est une affaire de construction, de poésie et de fragilité. Elle rejoint en cela le métissage des pratiques et des langages dont parle le poète Edouard Glissant quand il évoque la créolisation du monde, c’est-à-dire la création d’un monde aux identités flottantes, mouvantes, au carrefour de soi et des autres, une identité-relation. La photographie est aussi un art du temps : elle convoque dans un même mouvement la présence du passé et sa disparition. Elle envisage la mémoire, comme le dit W.G Sebald, comme une revenance, comme si soudain le passé pouvait réapparaître sous une forme fantomatique.

3/ L’enfance semble être votre sujet de prédilection, avec des photographies mettant essentiellement en scène des enfants. Pourquoi ce choix ? 
Le cinéma a constitué mon premier musée imaginaire autour de l’enfance. J’ai été très impressionnée par certains films dont les héros étaient des enfants, comme L’enfance d’Ivan d’Andreï Tarkovski, L’enfance nue de Maurice Pialat ou encore Le passager d’Abbas Kiarostami. Dans ce dernier film, le héros, un enfant, récupère un vieil appareil photo hors d’usage et fait semblant de photographier des camarades d’école ; il leur promet un tirage et les fait payer pour des photos qui n’existent pas. L’enfance, c’est le temps des expériences, de l’expérience sensible et de l’expérimentation si proche de celle de l’artiste ; les enfants imaginent de petits protocoles qu’ils mettent en œuvre aussitôt. Par exemple, qu’est-ce que cela fait et qu’est-ce que cela me fait si je ferme les yeux en marchant dans le couloir ? 
Enfin, je suis très intéressée par les ouvrages destinés aux enfants, je viens de collaborer à l’album Florence et Henri édité chez 205 en décembre dernier, qui propose à la fois un récit autour de la révélation d’une image et des expérimentations autour de la couleur, du cadrage, du reflet.

4/ Vos photographies jouent beaucoup sur l’ombre et la lumière tout en étant très épurées, très construites. Comment travaillez-vous pour parvenir à un tel résultat ?
La photographie donne à voir depuis sa naissance les amours de l’ombre et de la lumière. Au XIXème siècle, les inventeurs de la photographie, Niépce et Talbot, fixent le quadrillage d’une fenêtre dans un jeu d’ombre et de lumière. Je choisis mes lumières, que je préfère naturelles, en proie au temps, mais aussi empreintes de la couleur des saisons. L’ombre, c’est la figure du passage, du double, elle est fugace et vaguement inquiétante. Elle manifeste une présence absente.
Mes portraits sont des mises en scène, inscrites dans des pratiques souvent collaboratives, mêlant théâtre de situation, improvisation et dramaturgie de plateau. Mes compositions émanent toujours des corps, de l’accomplissement de leurs gestes, de la façon dont ils dessinent l’espace et ébauchent de possibles relations à l’Autre. Elles laissent souvent visibles le dispositif de fabrication des images (par exemple, présence d’un voile où se projettent des ombres, ou d’un miroir) et mettent aussi en scène le regard. 

5/ Dans le cadre de l’exposition En souvenir d’un ami futur à l’Enssib, vous proposez la dispersion d’un livre d’artiste. Pourriez-vous nous dire à quoi cela correspond ? 
J’ai emprunté à Jorge Luis Borges le beau titre de l’ouvrage Le livre de sable et son fonctionnement. 
Cette nouvelle de Borges narre la terrible aventure d’un homme malheureux acquéreur d’un livre monstrueux qu’il tente de cacher pour s’en débarrasser au milieu des livres dans une bibliothèque. 
Visible le jour du vernissage, mon livre de sable, composé de 40 images, a été dispersé le lendemain dans les livres de la bibliothèque de l’Enssib, réactivant ainsi à la fois les jeux de l’enfance (se cacher/se montrer) et ceux de la photographie (apparition/ disparition). Les images seront sorties de l’obscurité et ramenées à la lumière lorsque que les livres seront empruntés…

6/ Sur quel projet travaillez-vous actuellement ? Quels sont les thèmes que vous explorez ? 
 J’ai terminé en décembre une résidence d’artiste au Centre Hospitalier Savoie Métropole à Chambéry, avec comme problématiques les questions de la couleur et du blanc (qui est la coloration traditionnelle de l’hôpital) et du temps, notamment celui des patients. Je prépare l’exposition qui aura lieu en juin à l’hôpital de Chambéry et l’édition qui l’accompagnera.
Je poursuis à Marseille jusqu’à fin mars 2020 une résidence d’artiste au long cours de trois années, portée par le Centre Photographique - Marseille et un bailleur social 13 Habitat autour des pratiques de l’habiter. Le projet intitulé Conversation pieces renvoie à ce terme anglais qui désigne un tableau à mi-chemin entre le portrait, la scène de genre et le paysage, et qui met en scène des groupes de personnes en conversation, au sein d’un espace domestique. C’est une mise en image de la parole.

Propos recueillis par Véronique Branchut-Gendron le 17/02/2020