Index des revues

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    Par Françoise Hecquard, B.C.P. des Yvelines
    Anne-Marie Chaintreau
    Renée Lemaître
    Roger Chartier, Préf..

    Drôles de bibliothèques...

    Le thème de la bibliothèque dans la littérature et le cinéma

    Cercle de la librairie, 1990. - 285 p. - (Bibliothèques) 195 F

    Au congrès de Marseille, en juin 88, Anne-Marie Chaintreau et Renée Lemaître nous avaient donné un premier aperçu de leur travail. Elles n'en étaient pas à leur coup d'essai : le mémoire de D.S.B. d'Anne-Marie Chaintreau, en 1976, portait déjà sur ce sujet ; Renée Lemaître, après avoir été à l'origine d'une journée de l'A.D.E.B.D., en 1975, sur le thème du renouvellement de l'image de marque de notre profession, avait publié, avec Michel Albaric, en 1976, dans La Bibliographie de la France, un article intitulé "Images de bibliothécaires, hier et aujourd'hui", puis, en 1983, dans le bulletin de l'A.D.E.B.D., "La Bibliothécaire vue par les romanciers".

    L'objet de leurs recherches, depuis une quinzaine d'années, a donc été l'image de marque du métier de bibliothécaire et, plus particulièrement, le reflet qu'en donnent les écrivains.

    La première des trois parties dont se compose l'ouvrage, est une analyse de la représentation donnée du bibliothécaire, de la bibliothèque et de ses lecteurs dans un certain nombre de textes et de films, de la seconde moitié du 19e siècle à nos jours. On y retrouve les composants du stéréotype que nous connaissons : la poussière, les échelles et les rats, les comparaisons avec un cimetière ou un labyrinthe, en ce qui concerne le lieu ; les chignons, lunettes, manches de lustrine et caractères acariâtres, en ce qui concerne ses "gardiens" ; les lecteurs, enfin, le plus souvent vieux et chauves, parfois endormis, "usagés" de la bibliothèque. Cette première partie met surtout en valeur l'imagination des écrivains qui envisagent à leur manière le travail du bibliothécaire et ses relations avec le lecteur, mais aussi fantasment sur les possibles désastres (incendies, lecteurs "dévorant" les livres, ordinateurs "oubliant" une partie de l'histoire de l'Humanité...) et rêvent à la bibliothèque du futur (sans livres ou dont les dangereux trésors sont dorénavant inaccessibles). Hélas, ils entretiennent trop souvent avec le professionnel du livre des relations de tension et de frustration qui les conduisent à le décrire d'une manière peu flatteuse.

    Une série de portraits permet cependant d'entrevoir une évolution récente dans l'imaginaire des romanciers. Si le bibliothécaire d'antan était forcément vieux, laid, grincheux, solitaire et routinier, il apparaît de nos jours éventuellement jeune, séduisant, souriant, dynamique et même aventureux. Ceci, hélas, uniquement quand il est le héros du récit et essentiellement dans des livres ou films anglo-saxons.

    Par ci, par là, au long de cette première partie, les deux auteurs nous égayent par des remarques pleines d'humour et des conclusions apparemment candides : elles remarquent, par exemple, qu'autrefois "les bibliothécaires se battaient avec les rats pour leur arracher une nourriture qui leur était commune" (les livres) ; elles suggèrent que la solution radicale finalement trouvée pour lutter contre la poussière qui envahit la bibliothèque est le "Libreaccès" : "les mains des lecteurs, lorsqu'ils prennent et feuillettent un livre, à la recherche de celui qu'ils emprunteront vraiment, n'ont-elles pas remplacé le plumeau ?"

    De nombreuses réflexions pertinentes portent sur la psychologie du lecteur et les questions qu'il se pose au moment d'entrer dans "le Sanctuaire" ou de demander de l'aide au "Gardien du savoir" : "beaucoup d'usagers des bibliothèques s'interrogent sur le sens de la démarche entreprise ou sur l'importance de la question qu'ils sont venus poser : ne sont-ils pas considérés comme des intrus ? est-il légitime d'entrer ? ont-ils la culture nécessaire ? pourront-ils se débrouiller ? est-ce bien là qu'ils ont une chance d'obtenir une réponse ?"

    Des dessins et des photos, judicieusement choisis, extraits principalement de bandes dessinées, d'albums pour enfants et de films illustrent agréablement cette première partie.

    Dans la seconde, les auteurs ont sélectionné 38 textes, pour la plupart d'écrivains célèbres et les ont rassemblés selon divers thèmes (décors, amours et haines entre bibliothécaires et lecteurs, méthodes de travail du bibliothécaire, bibliophagie et attitudes de lecture...). Sans commentaire mais accompagnés de leurs références bibliographiques, ces extraits donneront sans nul doute envie d'aller plus avant dans la connaissance de leurs auteurs.

    La troisième partie réunit une bibliographie et une filmographie commentées des textes et films étudiés. Des index de sujets, personnes, auteurs et films cités complètent le tout.

    Cet ouvrage vient à son heure car il s'inscrit dans les réflexions que mènent les professionnels des bibliothèques. Nous nous sommes longtemps demandé à quoi tenaient les différences entre les taux de fréquentation des bibliothèques anglo-saxonnes et des bibliothèques françaises. Nous avons pu déterminer quelques réponses mais le problème de l'image de marque semble crucial.

    F. Spaulding, consultant en information pour les bibliothèques, déclarait dans une communication à l'IFLA : "les sources de pouvoir professionnel sont : les revenus, l'autorité et le savoir. Le pouvoir économique des bibliothécaires est modeste. De même que leur autorité ; leur force réside dans le savoir (...) c'est quand la société ne comprend pas l'étendue et la profondeur du savoir nécessaire dans une profession qu'elle ne lui accorde pas le prestige correspondant." (Image du bibliothécaire / Professionnel de l'information. F. SPAULDING. IFLA Général Conférence and Council Meeting. Paris, 1989).

    L'image des bibliothèques et des bibliothécaires développée par les écrivains et les cinéastes ne correspond probablement pas parfaitement à la représentation qu'en ont les utilisateurs et non-utilisateurs, mais elle est un bon indicateur car elle reflète l'évolution de la société, même si c'est avec quelque retard. L'ouvrage d'Anne-Marie Chaintreau et de Renée Lemaitre n'est donc pas l'équivalent d'une enquête parmi le public. Ce n'est d'ailleurs pas sa prétention. Il met simplement en évidence la dimension fantasmatique et mythique de l'image stéréotypée et vieillie contre laquelle nous luttons.

    Cette étude approfondie se veut surtout lecture divertissante. Ce qu'elle est tout à fait. Souhaitons-lui un grand succès et pas seulement auprès des bibliothécaires.