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Le réseau des bibliothèques françaises de mathématiques

1991
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    Le réseau des bibliothèques françaises de mathématiques

    Par Pierre BARRAT, Maître de conférences Université Paris VII

    Le réseau actuel

    Avant d'expliquer ce qu'est le réseau des bibliothèques françaises de mathématiques, soulignons ce qu'il n'est pas, le terme de "réseau" prêtant souvent à confusion : ce n'est pas un réseau de catalogage partagé, comme celui d'OCLC ou de SIBIL. Il y a cependant un catalogue informatisé commun, accessible de n'importe quel endroit de France, par minitel par exemple, à tous ceux qui en font la demande : nous y reviendrons un peu plus loin.

    Le réseau regroupe actuellement une bonne cinquantaine de bibliothèques de mathématiques pour chercheurs (les problèmes des bibliothèques de mathématiques pour étudiants de premier ou second cycle universitaire étant quelque peu différents). Ces bibliothèques ont des statuts très divers : sections de bibliothèques universitaires comme à Jussieu ou Metz, bibliothèques de département de mathématiques comme à Orsay, Strasbourg, Bordeaux..., de grandes écoles (Ecole normale supérieure, Ecole polytechnique, Ecole des mines, Ecole des ponts et chaussées)..., d'instituts publics ou privés (INRIA : Institut national de recherche en informatique, IMAG : Institut de mathématiques appliquées de Grenoble, CIRM : Centre de rencontres mathématiques de Marseille-Lumigny)..., ou encore de sociétés publiques ou privées (IBM, le CEA). Ces bibliothèques ont également des tailles très diverses. On compte sept grandes bibliothèques : Jussieu, Orsay, Strasbourg, Grenoble (Institut Fourier), le Centre international de rencontres mathématiques (CIRM) à Marseille, Bordeaux et l'Institut Hen-ri Poincaré (IHP) à Paris. Viennent ensuite une dizaine de bibliothèques de taille moyenne : Lille, Lyon, Clermont-Ferrand, Rennes, Montpellier, Nancy, Besançon, Nice, Limoges et celle de l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm à Paris. Enfin, une quarantaine de bibliothèques de taille plus modeste comme celles de Poi-tiers, Nantes, Metz, Orléans, Rouen...

    La politique générale qui a guidé la SMF (Société mathématique de France), initiatrice du projet et son soutien le plus actif et le plus constant, s'est beaucoup inspirée de celle des CADIST, mais en l'élargissant au niveau régional : plutôt qu'une seule bibliothèque de référence en mathématiques, il a été préféré six ou sept grandes bibliothèques réparties sur tout le territoire, situées auprès des plus grands centres de recherche dans le domaine, épaulées par une dizaine de bibliothèques de bon niveau, de manière à couvrir la demande de documentation au plus près. On arrive ainsi à une exhaustivité presque parfaite : il est rare que nous ayons à demander un document à l'étranger.

    Pourquoi autant de bonnes bibliothèques de mathématiques en France ? Cela tient d'abord au rôle de l'école mathématique française. Considérée à juste titre comme la troisième au monde, après les USA et l'URSS, elle est très active et relativement importante. En outre, le travail d'un mathématicien est essentiellement solitaire : il y a assez peu de travail en équipe, même si les publications communes à plusieurs mathématiciens ne sont pas rares, chacun d'entre eux ayant un morceau de la démonstration d'un théorème. D'où l'importance des relations avec les autres mathématiciens du monde entier, des voyages, des rencontres, des colloques, mais surtout de la documentation. La bibliothèque est l'instrument de travail principal du mathématicien. C'est l'équivalent pour lui du laboratoire pour les autres scientifiques. Il n'y a pas d'expérience ou de manipulation en mathématiques. Le travail du mathématicien consiste surtout en variations sur des idées de collègues, en raisonnement par analogie, en rêveries sur un thème donné, en cours ou séminaires destinés à approfondir un sujet. Sa seule production, c'est du papier, mais le papier, les articles des confrères, c'est aussi la source principale de son inspiration.

    Ceci explique l'importance de la publication dans le domaine : à titre d'exemple, la bibliothèque de Jussieu enregistre plus de 2000 titres nouveaux chaque année. Enfin la durée de vie de la documentation est relativement longue en mathématiques : il n'est pas rare que des ouvrages de la première moitié du siècle, voire du dix-neuvième siècle, soient consultés.

    La manière dont les mathématiciens utilisent leurs bibliothèques est plus proche des usages de leurs collègues littéraires que de ceux des autres scientifiques. Tout ceci explique peut-être pourquoi les mathématiciens ont toujours attaché une très grande importance à leurs bibliothèques : les conseils de bibliothèque où ils fixent la politique d'achat et d'enrichissement des collections sont d'usage courant et, dans chacune des sept grandes bibliothèques citées plus haut, un mathématicien au moins travaille quotidiennement en collaboration avec les bibliothécaires.

    Historique du réseau

    Le réseau existe depuis une dizaine d'années. Les premières réunions informelles remontent à 1976. Il a bénéficié du constant soutien de la SMF. C'est le 3 juin 1976 qu'est créée au sein de la SMF une commission des bibliothèques. C'est l'époque où le manque de crédits commence à se faire partout sentir, où des coupes sombres sont pratiquées dans les abonnements de périodiques, où les achats de livres se font plus rares, où la reliure est pratiquement abandonnée.

    Cette situation est tout à fait inacceptable pour les mathématiciens : on leur retire leur outil de travail ! Ils réagissent par une très nette volonté d'union afin de constituer un groupe de pression suffisamment efficace, mais aussi dans le but d'harmoniser les politiques documentaires de leurs bibliothèques, d'y mettre un peu d'ordre, par exemple en renonçant aux petites bibliothèques de laboratoires, de moderniser leurs bibliothèques, de les informatiser, enfin de participer aux grands projets nationaux comme le catalogue collectif des périodiques.

    Au début des années 80, le coût de la documentation scientifique augmente brusquement, et surtout le cours du dollar monte en flèche, passant de 4,50 F à 8 F en moins de deux ans. La fragilité financière des bibliothèques, certaines se trouvant en état de faillite, les autres ayant dû faire des coupes sombres dans leurs achats de livres ou de périodiques, rend la situation urgente. Le groupe de pression des mathématiciens entre alors en jeu en faisant valoir la spécificité de la documentation en mathématiques, et obtient de ses principaux bailleurs de fonds, à savoir le Centre national de la recherche scientifique et la Direction de la recherche au ministère de l'Education nationale, un soutien annuel de un million de Francs en 1984, qui passera bientôt à 1,5 million puis à 2 millions. La répartition de ces crédits est faite principalement entre les sept grandes bibliothèques citées plus haut avec un modeste soutien pour les bibliothèques moyennes. Cela va fonctionner pendant six ans, en fait jusqu'à cette année où les règles d'attribution de crédits sont en train de changer par suite de la contractualisation des universités.

    Cette coopération des mathématiciens et des responsables de bibliothèques de mathématiques pour obtenir des crédits a aussi été un puissant facteur d'unité face à d'autres dangers. La publication du décret créant un service commun de la documentation dans les universités a été ressentie -vu le statut très varié, emietté et l'absence quasi complète de bibliothèques universitaires en mathématiques à une ou deux exceptions près- comme une menace pour l'indépendance des bibliothèques avec pour conséquence une élimination des mathématiciens de la place qu'ils occupent dans la gestion de leurs bibliothèques. Il semble, a posteriori, que cette menace n'était guère fondée. Il n'empêche, cette coopération a permis de sensibiliser les mathématiciens et de leur faire accepter de participer financièrement au fonctionnement des bibliothèques ; ils y consacrent aujourd'hui plus du quart de leur budget de recherche.

    Le catalogue commun

    Après une tentative avortée de se joindre au projet Médicis, les membres du réseau adoptent, le 25 janvier 1985, un logiciel documentaire commun (Texto), portable sur un grand nombre de machines, et un format de catalogage qui va évoluer au fil des ans pour se rapprocher de plus en plus du format LC-MARC de la Bibliothèque du Congrès. Il s'agissait avant tout d'éviter la prolifération de systèmes maisons, d'obtenir une pérennité suffisante de la maintenance du logiciel et d'unifier les pratiques du catalogage. Les grandes bibliothèques s'informatisent alors rapidement, puis mettent leur catalogue en commun sur le centre de calcul de Grenoble (1988) et détachent l'un des participants pour s'occuper du dédoublonnage et de la cohérence des fichiers. Le but est d'aider les petites et moyennes bibliothèques à localiser les ouvrages qui leur manquent. Ce catalogage commun contient actuellement un peu plus de 50 000 notices, est accessible par minitel à tous les membres du réseau et à tous ceux qui en font la demande.

    Euromath

    Euromath est né d'une volonté d'union des mathématiciens européens. C'est un projet, puis maintenant une réalisation, soutenue par la Commission des Communautés européennes, pour un réseau de :

    • messageries ;
    • annuaires des sociétés savantes, calendriers de rencontres, séminaires, congrès ;
    • transmission de textes mathématiques, c'est un problème techniquement délicat puisqu'il s'agit de transmettre autre chose que du texte ;
    • subsidiairement moyens de calcul ;
    • éventuellement catalogue commun européen des bibliothèques.

    Le tout en un logiciel intégré.

    En dehors de la construction de ce logiciel, Euromath comprend la constitution d'une société privée sans but lucratif ("Charity" britannique) présidée par Sir Michael Attyah, un gros ordinateur central au Danemark et, dans chaque pays un autre ordinateur. En France, il s'agit d'un VAX situé à l'Ecole polytechnique. Si j'ai ici parlé d'Euromath, c'est parce que le catalogue commun des bibliothèques du réseau français, encore à Grenoble, est en cours d'implantation sur ce VAX. Cela permettra, du moins espérons-le, de résoudre les problèmes liés à son financement.

    Fonctionnement du réseau

    Le réseau des bibliothèques de mathématiques tient chaque année une réunion plénière d'un ou deux jours, toujours sous l'égide de la SMF, dans des lieux variés (la dernière à Jussieu, la prochaine à Marseille), avec la présence du responsable de la SMF chargé des bibliothèques, des directeurs scientifiques pour les mathématiques au CNRS et au ministère de l'Education nationale, parfois d'autres responsables administratifs...

    Le but de ces réunions est de s'informer de la situation financière et administrative des différentes bibliothèques, de mettre en route des actions communes, d'harmoniser nos politiques documentaires. Elles permettent aussi d'assurer une veille technologique sur les questions de modernisation, d'informatisation, de CD-ROM, de réseau numérique à intégration de services (Numéris de France-Télécom)...

    Il y a en outre deux ou trois réunions annuelles en comité plus restreint pour préparer les projets communs.

    Conclusion

    Dans l'ensemble, le réseau fonctionne bien et régulièrement.

    Il y a bien sûr des conflits, c'est inévitable et plutôt un signe de bonne santé. Ils sont d'ailleurs tempérés par le rôle primordial de direction et de suivi des affaires qu'y exerce la SMF. Si le réseau est né de la volonté de quatre ou cinq bibliothèques, il en regroupe maintenant plus de cinquante, il reste très ouvert et accepte volontiers de nouveaux membres.

    Les objectifs qu'il s'était fixés étaient peut-être modestes mais réalisables : reconnaissance de la spécificité de la documentation en mathématiques par une aide financière, harmonisation des politiques documentaires, constitution d'un catalogue commun. Ils ont été atteints et nous en sommes raisonnablement satisfaits.