Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Serge Kancel

    Par Serge Kancel, Directeur

    Je prononce ces quelques mots au nom de Jean-Sébastien Dupuit qui ne peut être des nôtres aujourd'hui et de notre ministre Jacques Toubon, sur le thème qui a été le vôtre pendant ces journées, thème vaste s'il en est, celui du métier de bibliothécaire ». En réfléchissant un peu, avant de venir ici, sur le métier de bibliothécaire, je me disais que parler de métier, c'est évoquer à la fois des questions de compétences, de missions, et de responsabilité au sens large. Quand on voit l'émotion que peut susciter l'assassinat d'un bibliothécaire ou de plusieurs, audelà de la Méditerranée, dans un pays comme l'Algérie, quand on voit la même émotion apparaître lorsque toute la mémoire d'une communauté disparaît sous les bombes à Sarajevo, on voit bien que, même si le métier de bibliothécaire est un métier dont finalement on parle assez peu dans le quotidien, c'est néanmoins un métier dont la force symbolique apparaît ou réapparaît à la première occasion lorsque des enjeux comme ceux-là sont en cause. Car le métier de bibliothécaire, c'est aussi la responsabilité de témoigner, avec tout ce que cela suppose.

    Sur le fond, le métier, c'est évidemment aussi une question de compétence. Nous sommes dans une société qui laisse peu de place aux purs généralistes. La professionnalisation est de plus en plus forte, cela est vrai de votre profession comme de bien d'autres : les normes se multiplient, elles sont de plus en plus compliquées et de plus en plus internationales. Et en même temps, on sent bien qu'au-delà de cela, il faut préserver une certaine forme de polyvalence, il faut une universalité qui, elle aussi, doit être de plus en plus grande. Finalement l'un des débats les plus corsés que vous avez eus porte sur cette manière de concilier deux nécessités un peu paradoxales. D'une part, de faire face à la variété et à la diversité non pas du métier » mais des métiers de bibliothèques et d'autre part de préserver la nécessaire polyvalence, parce qu'il est vrai qu'il n'y a pas de forte ni de vraie fonction publique sans cette polyvalence. La capacité à s'adapter à l'espace - la circulation, la mobilité -, à s'adapter au temps, à l'arrivée des nouvelles techniques, est au coeur de notre sujet. Nous sommes, à la direction du Livre et de la Lecture, comme vous, très préoccupés par ces questions, à travers un certain nombre de pistes que nous allons creuser dans les temps qui viennent. D'abord, quand on parle de métier, il faut savoir ce qu'on entend par là : quels sont effectivement les métiers ? Sur ce point, et je pense que Claude Jolly en parlera tout à l'heure mieux que moi, nous avons tenu à être associés à cette enquête en cours sur le métier de bibliothécaire, tant il est vrai que non seulement il faut réfléchir aux métiers d'aujourd'hui, mais si possible réfléchir de manière prospective, à moyen et même à long terme, aux métiers de demain ou d'après-demain.

    Pour cette même raison, nous agissons pleinement dans le sens d'une évolution des programmes de l'ENSSIB, nous oeuvrons à l'installation et au renforcement de l'IFB. Liée à tout cela, une question vous préoccupe tous certainement, celle de maintenir un haut niveau de compétence et si possible le même niveau entre la filière d'État et la filière territoriale, ce qui passe bien entendu par une formation unifiée. On ne le dira jamais assez, rien ne serait plus désastreux que d'avoir des formations qui changent et évoluent d'un individu à l'autre au gré des contraintes locales.

    Tout cela n'est pas simple mais des pistes s'ouvrent : un projet de loi, qui a maintenant franchi toutes les étapes interministérielles et va bientôt être confronté au vote du Parlement, va au moins permettre que, pendant les temps de formation des personnels territoriaux, la prise en charge soit non pas le fait de la collectivité locale mais de la collectivité nationale. Il est clair aussi qu'il va falloir s'appuyer, peut être plus qu'avant, sur les douze centres de formation régionaux qui sont sans doute la bonne réponse aux questions de formation permanente. Il faut donc que nous ayons, ensemble, sur toutes ces questions une réflexion approfondie.

    L'aménagement du territoire

    Jean-Sébastien Dupuit devrait rencontrer prochainement le directeur général des Collectivités locales pour poser ces problèmes de statuts et de formations, mais aussi d'autres problèmes qui concernent les deux ministères, Intérieur et Culture, comme la détermination des aides de l'État dans les dotations globales de décentralisation. Le système sur lequel nous vivons aujourd'hui est-il le bon ? Peut-on faire évoluer les critères ? les enveloppes ? en fonction de quels enjeux? Autre question : que signifie ce contrôle technique que l'Etat est censé exercer sur l'ensemble des bibliothèques de lecture publique dont la justification n'est certainement pas douteuse mais dont le contenu doit, lui aussi, évoluer, s'actualiser autour d'un enjeu large qui est celui de la lecture publique et des responsabilités de la collectivité nationale et des collectivités locales face à cet enjeu ? Ce qui m'amène d'ailleurs à la notion de missions que j'évoquais tout à l'heure, missions autour de la lecture publique qui sont celles du métier de bibliothécaire.

    Jacques Toubon a donné à l'action du ministère de la Culture trois axes prioritaires : l'aménagement du territoire, l'élargissement des publics, l'innovation, et dans chacun de ces domaines le métier de bibliothécaire a sa place et même plus.

    En matière d'aménagement du territoire, vous savez mieux que moi, puisque vous en êtes les acteurs sur le terrain, vous savez toute l'opiniâtreté, toute la persévérance qu'il faut pour travailler dans les banlieues, dans les quartiers défavorisés, pour travailler dans les zones rurales. C'est dans cette optique d'aménagement du territoire que nous sommes en train de faire évoluer le concept des centres de ressources livres en milieu rural vers des « relais-livres en campagne sur le même principe qui est d'offrir en même temps le prêt et la possibilité d'acheter en des lieux qui sont en quelque sorte une micro-synthèse de la chaîne du livre, bibliothèques, librairies, animation. La principale nouveauté de ce concept est que désormais le ministère de la Culture pourra aider non seulement au fonctionnement de ces relais mais aussi à leur installation et aux quelques travaux nécessaires. Cela évitera peut-être de les installer trop systématiquement dans des salles modestes et permettra de trouver des voies de réutilisation peutêtre plus ambitieuses grâce à cette aide de l'État.

    Nous avons aussi reçu beaucoup de remarques sur les critères de l'action de l'État en matière de petits établissements en milieu rural. Il y a d'une part les critères de la DGD et d'autre part ceux du Centre national du livre lors-qu'il octroie des aides à l'acquisition de fonds d'ouvrages. Pour des raisons de nécessité, parce que le Centre national du livre n'est pas budgétairement en expansion, il faut durcir certains critères. Mais si cela revient à exclure les petits établissements en milieu rural des aides du CNL, il peut y avoir une contradiction en matière d'aménagement du territoire. Nous sommes donc en train de réfléchir à cela et, là encore, on le fera en concertation avec vous et notamment avec ceux qui travaillent dans le cadre des bibliothèques départementales de prêt, car il reste prioritaire pour nous d'asseoir une politique d'établissements-livres en milieu rural sur l'action des bibliothèques départementales de prêt : c'est un enjeu de cohérence et de synergie des deniers publics.

    L'élargissement des publics

    Autre priorité : non seulement agir envers ces publics contraints, en difficultés ou particuliers (prison, armée), mais aussi dans la mesure du possible essayer de faire en sorte que le grand public et notamment les jeunes lisent davantage.

    Nous avons un certain nombre d'axes que nous tenons très fermement cette année comme le soutien constant que nous apportons à ce grand établissement de lecture publique qu'est la BPI qui doit toujours avoir son rôle particulier. Les temps qui viennent ne vont pas être forcément simples pour la BPI en termes de réflexion générale, de concept d'action, car il y a la perspective de l'ouverture de la Bibliothèque nationale de France qui est un équipement considérable, avec son haut de jardin en particulier, et il y a d'autre part les travaux qui s'annoncent à Beau-bourg. Tout cela fait que la BPI va sûrement connaître dans les mois et les années qui viennent des temps de réflexion qu'on peut espérer tout à fait féconds.

    L'élargissement des publics, c'est aussi l'élargissement en direction des jeunes avec le projet qu'il va falloir concrétiser et conforter, « La joie par les livres », dans un cadre qui puisse correspondre à son ambition de véritable centre national de la lecture et du livre de jeunesse. C'est encore l'élargissement sur quinze jours de ce qui était jusqu'à l'an dernier « La fureur de lire et qui au-jourd'hui s'appelle « Le temps des livres », justement pour insister sur le temps de quinze jours qui est donné à ceux qui, comme vous, ou comme les animateurs du milieu scolaire, doivent agir un peu plus sur le long terme que sur ce temps ramassé du week-end.

    C'est enfin une opération à laquelle nous tenons beaucoup, comme vous avez pu le constater si vous êtes venus au stand de la direction à ce congrès : l'opération "Un livre, une ville Elle consiste à aider une dizaine d'opérations exemplaires où un groupe de jeunes, d'adolescents (10-16 ans), à partir de la lecture et de l'adoption d'un livre, décide de proposer, de « vendre », si j'ose dire, ce livre à tout un quartier, à toute une ville, en s'appuyant systématiquement sur la bibliothèque, sur le ou les libraires et sur les élus locaux. Cette opération se passe en ce moment même et je ne saurais trop lancer un appel, si vous voyez une possibilité de bâtir un projet, pour que les propositions nous arrivent rapidement puisque la date limite de remise des dossiers doit être le 30 juillet et que le jury de bibliothécaires, d'auteurs, d'éditeurs, de libraires et de représentants de l'Association des maires de France se réunira vers la fin de l'été.

    L'innovation

    Enfin un troisième axe proposé par le ministre est celui de l'innovation. Jacques Toubon a pris la décision de faire évoluer chaque année une partie du budget du ministère de la Culture vers des projets innovants, à travers des aides non reconductibles. Il y aura donc chaque année dans l'enveloppe budgétaire une part, je pourrais dire « fraîche », qui permettra de faire évoluer dans le sens de l'innovation la manière que peut avoir la puissance publique d'aider la culture. Là encore, si vous voyez des projets qui peuvent avoir un caractère innovant, n'hésitez pas à les proposer à la DRAC, au conseiller pour le livre et la lecture, même s'il est difficile dans le domaine du livre de faire valoir des critères d'innovation technique, au profit plutôt d'une innovation de démarche, d'une nouvelle façon d'approcher et de conquérir de nouveaux publics.

    Nous sommes donc amenés à faire appel sur toutes ces actions, aménagement du territoire, élargissement des publics, innovation, à vos propositions, à vos réflexions, afin de travailler ensemble dans les temps qui viennent. C'est vrai que la lecture publique, sous votre impulsion et celle de vos aînés, a fait des progrès absolument considérables. On ne le dit peut-être pas assez, on a en matière de lecture publique fantastiquement progressé depuis une vingtaine d'années en France. Ce n'est pas une raison pour s'arrêter maintenant, bien au contraire. Il faut aller plus loin, il faut essayer de rassembler les énergies. Il faut essayer aussi d'éviter de dresser des faux obstacles.

    Le droit de prêt

    Ce qui m'amène à une parenthèse assez rapide sur une question dont je sais qu'elle vous a préoccupés pendant ces quelques jours, celle du droit de prêt. C'est une question assez difficile, qu'on ne peut traiter qu'avec une très forte nuance.

    Nous sommes, au ministère, sensibles à deux impératifs qui nous paraissent d'égale importance : d'une part, la nécessité de s'assurer, dans ce pays, que les auteurs, les créateurs, reçoivent en toutes circonstances la juste rémunération de leur talent, de leur génie et d'autre part, la nécessité qui nous paraît non moins absolue, d'assurer l'accès le plus libre qui soit à la lecture publique, car au-delà de la lecture, il y a toutes les autres formes de culture et au-delà de la culture il y a l'accès au savoir et à la citoyenneté, ce n'est évidemment pas à vous que je vais l'apprendre.

    Le gouvernement a avancé sur ce sujet depuis quelques mois. On s'est avisé que notre législation n'est certes pas une des plus en retard mais au contraire et à l'évidence l'une des plus en avance de toute l'Europe. Il existe déjà dans notre droit positif des dispositions qui prévoient qu'un auteur, dans ce pays, a la possibilité de vérifier tous les usages, toutes les destinations qui sont faites de son oeuvre. C'est ce qu'on appelle précisément le droit de destination et parmi les destinations d'une oeuvre, il y a évidemment le prêt. Dans d'autres secteurs que le livre, le prêt fait effectivement l'objet de négociations qui sont généralement forfaitaires entre les représentants des auteurs ou de leurs ayants droit et ceux qui sont amenés à organiser le prêt. Nous avons donc fait valoir au gouvernement, et c'est devenu sa position, qu'il n'y avait pas lieu de transcrire dans notre législation cette directive européenne sur le droit de prêt. Puisque notre législation comporte déjà des dispositions qui vont dans ce sens, il n'y a donc pas lieu de chercher à transcrire, d'ici le mois de juillet, quelque chose qui existe déjà dans le droit. Mais bien entendu, s'il n'y a pas lieu de transcrire, ce n'est pas qu'il n'y ait pas lieu d'appliquer. A vrai dire l'application du droit de prêt peut se faire demain puisque notre législation et, qui plus est, une directive européenne le permettent.

    La vraie question, c'est plutôt : est-ce que demain les conditions d'une véritable application d'un droit de prêt dans ce pays pourront être réunies ? A cette question, nous avons résolu de répondre par une réflexion qui permettra au moins d'éviter que de fausses questions se posent, d'éviter les faux débats. Notamment nous avons lancé une étude, à laquelle votre association participe, pour voir si finalement il y a une articulation, et si oui quelle est-elle, entre l'acte d'achat et l'acte d'emprunt. Cette étude nous donne des premiers résultats qui montrent, s'il en était besoin, toute la nuance de cette question et toute la difficulté à avoir sur elle des appréciations définitives. Et ce n'est que lorsque nous aurons ces éléments et que lorsque les représentants des ayants droit se seront exprimés quant à leur véritable souhait, que l'on pourra s'interroger sur la façon de l'appliquer, où, et avec quelles dérogations puisque, comme vous le savez, il existe, dans le texte même de la directive, des dispositions disant qu'en fonction des impératifs culturels, on peut prévoir un certain nombre d'exemptions à ce droit de prêt. Bien entendu toute cette réflexion se fera dans les temps qui viennent en association étroite, constante, avec les bibliothécaires.

    Dépasser le court terme...

    Je voudrais conclure sur le métier de bibliothécaire en évoquant quelques mots d'un ancien directeur du Livre et de Lecture : « Nous sommes en train d'aller vers des formules plus équilibrées où l'on ne considérerait plus que le catalogage est le fin du fin de la formation comme cela a été naguère le cas, mais que les moyens modernes de conserver et de communiquer les documents doivent également faire partie du bagage des bibliothécaires sans oublier la fonction de dialogue, de relation avec les personnes qui est aussi l'un des axes du travail de bibliothécaire. La formation est en évolution, à mon avis positive depuis plusieurs années mais il y a encore une réflexion collective à mener sur ce sujet. »

    Ces quelques mots sont de Jean Gattégno dont la voix s'est tue il y a quelques jours, mais beaucoup d'entre vous ont encore à l'esprit le timbre de cette voix qui est là pour nous rappeler qu'il faut sans doute aller jusque dans le détail de la diversité, de la complexité des métiers, mais qu'il faut aussi constamment garder le regard qui porte haut et qui porte loin pour dépasser le court terme des enjeux purement catégoriels et pour voir quels seront les enjeux de demain, surtout dans un métier comme celui de bibliothécaire qui est un métier de service. C'est ce que signifie le mot métier à l'origine : office, ministère, service. Service de la lecture publique, service de la société dans ce qu'elle a de meilleur... finalement, il est sans doute des services pires que celui-là.

    NDLR : les intertitres sont de la rédaction et n'en-gagent pas la responsabilité des auteurs.