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    Jean Favier

    Par Jean Favier, Président Bibliothèque nationale de France

    Je voudrais tout d'abord vous dire que je suis heureux de me trouver avec vous et devant vous, assisté de Philippe Bélaval, directeur général de la Bibliothèque et de Marcelle Beaudiquez que vous connaissez bien.

    Je ne vais pas vous présenter dans le détail la Bibliothèque nationale de France, vous en avez suffisamment entendu parler, vous y avez même pour certains d'entre vous suffisamment travaillé pour que je ne vous fasse pas un exposé de principes. Je vais plutôt m'attarder à un certain nombre de questions qui se posent aujourd'hui. Tout d'abord, peut-être faut-il rappeler que la Bibliothèque nationale de France est un établissement public à caractère administratif, nouveau depuis le 1erjanvier 1994 et dont le nom lui-même est significatif puisque cet établissement public regroupe et fusionne deux établissements publics qui existaient, l'un, la Bibliothèque nationale, qui était en charge de nos collections patrimoniales et de notre public, si je puis dire, l'autre, l'établissement public de la Bibliothèque de France, qui était chargé de lancer la construction de la nouvelle bibliothèque au sens matériel du terme, c'est-à-dire du nouveau bâtiment, et de préfigurer ce que serait la bibliothèque au moment de son ouverture.

    Nous avons donc eu une période assez chargée où il a fallu aller assez vite ; il fallait réaliser la fusion de deux équipes dont les objectifs avaient été jusque-là totalement différents, les uns faire fonctionner ce qui existait, les autres cogiter sur ce qui n'existait pas encore mais qui représentait l'un des grands projets de la France. Cette fusion a été réalisée en janvier avec la mise en place d'un nouvel organigramme et d'une nouvelle équipe, nouvelle équipe dont vous avez pu constater, si vous avez regardé de près, que nous l'avons profilée de manière à ce qu'elle reflète un réel équilibre entre les équipes qui déjà travaillaient et puis celles et ceux qui pouvaient apporter un sang nouveau et un regard nouveau sur des problèmes eux-mêmes en partie nouveaux.

    Cet organigramme comprend deux conseils : un conseil d'administration qui est fait pour administrer comme vous le devinez, un conseil scientifique dont les compétences se définiront à l'usage. Du point de vue administratif, du point de vue du gouvernement de la maison, aux côtés du président et du directeur général, nous avons retenu un système à directions, selon les cas, verticales ou transversales :

    • une direction pour le personnel, je simplifie les appellations ;
    • une direction pour les finances ;
    • une mission centrale de coordination et de planification dont le rôle est essentiel ;
    • une direction pour la coopération en matière de bibliothéconomie, avec les réseaux nationaux et internationaux qu'elle implique ;
    • une direction pour les activités culturelles et l'ouverture sur le monde de la communication ;
    • et naturellement deux grandes directions pour les collections, très simplement dessinées, l'une pour ce qui part pour Tolbiac, c'est-à-dire les imprimés, livres ou périodiques, et l'audiovisuel, l'autre pour ce qui demeurera sur le site de la rue de Richelieu, c'est-à-dire ce que nous appelons les collections spécialisées, autrement dit les manuscrits, les estampes, les cartes et plans, les monnaies et médailles, la musique, auxquelles s'est jointe, en vertu d'une convention qui sera, je l'espère, bientôt signée, la Bibliothèque d'art et d'archéologie et auxquelles se joindront probablement d'autres bibliothèques de même type, de manière à renforcer ce noyau sur Richelieu dans un respect de l'indépendance voulue par les origines de ces différents départements, la BAA étant d'origine universitaire alors que les départements spécialisés procèdent de la Bibliothèque nationale et demeurent partie intégrante de la Bibliothèque nationale ;
    • et puis trois grandes directions techniques, une pour les problèmes de conservation, une pour les problèmes d'informatique et de nouvelles technologies, la troisième pour mener à bien la réalisation matérielle du bâtiment de Tolbiac.

    Pour ce bâtiment, quelques données de chronologie...

    Quelles sont les échéances ?

    Le gros oeuvre est achevé, toutes celles et ceux qui sont passés récemment sur les bords de la Seine ont pu voir ces quatre tours. Elles sont même tellement intégrées dans le paysage parisien maintenant, qu'un ami m'a dit : « J'y suis passé et je n'ai pas vu ta bibliothèque.

    • Pourtant elle crève la vue.
    • Mais par rapport aux tours, c'est avant ou après ? C'est ce qui arrive quand on roule trop vite sur l'autoroute des berges.

    Le gros oeuvre est achevé, nous sommes sur le second oeuvre. Cela veut dire que les finitions, le revêtement, le mobilier, seront en place en mars prochain. En mars prochain, le bâtiment est donc considéré comme achevé, reste une partie qui est tout aussi essentielle mais qui relève de la très grande subtilité de l'équilibriste. Premièrement, le déménagement, qui doit se faire avec un minimum de gêne pour les chercheurs. C'est-à-dire qu'en jouant avec les collections qui sont rarement demandées, puis dans un second temps avec des séries identiques et enfin les séries les plus demandées, nous pensons pouvoir ne fermer qu'un mois. Donc, en septembre 1996, fermeture d'un mois qui sera compensée par le fait qu'on ne fermera pas quinze jours en avril comme tous les ans. Aidez-nous à faire comprendre à nos amis lecteurs et chercheurs que cela ne sera pas pour eux l'année de la ruine, l'année où ils ne pourront plus lire, l'année de la catastrophe intégrale. C'est une année où, au lieu de fermer quinze jours, on fermera trente jours. Cela leur permettra, quand même, compte tenu qu'ils ne feront plus la queue ensuite, de ne pas perdre trop de temps.

    Ce temps, ces dix-huit mois qui sépareront le mois de mars prochain du mois d'octobre 1996 prévu pour l'ouverture, sera affecté à un certain nombre de tâches essentielles. L'une, c'est de recruter du personnel, l'autre c'est de le former, en commençant par former les formateurs, car vu le bouleversement des méthodes, des technologies d'accès à l'information bibliographique et d'accès aux ouvrages eux-mêmes, et de diversification des produits, puisque nous n'aurons pas seulement les imprimés, nous aurons aussi les audiovisuels, il n'est pas inutile de prévoir que les chercheurs seront très demandeurs d'une assistance intellectuelle dans les premiers temps, au moins.

    La deuxième tâche, après le recrutement et la formation du personnel, c'est tout simplement, vous le devinez, l'informatique. Nous aurons besoin de ces dix-huit mois pour achever la réalisation du système informatique, le mettre en place et le tester. Les uns et les autres, vous avez pu souffrir de dégâts causés par des systèmes informatiques, par exemple SOCRATE à la SNCF. Nous allons essayer de ne pas en faire autant, c'est-à-dire de ne pas avoir une maison fermée pour cause de système informatique en panne. Vu le format de cette nouvelle bibliothèque, il sera impossible de repasser en manuel, il faut donc que l'informatique soit fiable.

    Sur cette informatique, un mot encore, vous avez dû lire dans la presse qu'après une réflexion menée avec quelques-uns de ceux qui m'entourent tous les jours, j'ai signé la décision déclarant infructueux l'appel d'offre qui avait été lancé. Deux réponses sont arrivées sur quatorze dossiers expédiés à des sociétés informatiques. Ce que les deux sociétés nous proposaient était soit trop cher, soit insuffisant, soit les deux, et nous avons donc pris le parti de rejoindre tout de suite la deuxième procédure possible. Ce n'est pas un accident, c'est une possibilité de passer d'une procédure à l'autre, qui est ouverte par le code des marchés, et nous sommes passés dans la procédure de marché négocié. Ainsi pour chaque élément du programme, nous négocions avec les deux sociétés retenues, pour aboutir à un programme cohérent. Alors, ne vous inquiétez pas, ceci ne devrait pas aboutir à un retard supérieur à quinze jours, rattrapable dans le courant de l'année suivante. Par conséquent cela ne présente pas le caractère d'une catastrophe, nous avons tiré les conséquences du fait que nous ne pouvions pas accueillir telle quelle l'une ou l'autre des deux sociétés de services, c'est-à-dire deux des plus grandes compagnies mondiales, excluant absolument d'autres sociétés, sur un programme qui ne nous paraissait pas absolument rempli.

    Il n'est pas besoin de vous dire que beaucoup de travaux sont nécessaires pour parvenir à ces échéances. L'un est à caractère purement bibliothéconomique, c'est la rétroconversion des catalogues anciens. L'autre est à caractère de prospective matérielle, c'est la préparation du déménagement : il ne s'agit pas d'arriver et de ne pas savoir où mettre les livres. Le troisième est à la fois de prospective et de réalisation, c'est le début de la numérisation d'ouvrages. Nous espérons ouvrir avec 100 000 ouvrages numérisés, cette numérisation jouant un rôle dans les projets dont je vous entretiendrai dans un instant.

    On parle toujours de Tolbiac et de ses quatre tours. D'abord je rappelle que les deux bibliothèques sont superposées et que si, pour nous, elles forment une seule maison, pour les lecteurs, elles en formeront deux. Autrement dit, les ouvrages de la collection patrimoniale actuelle et de la collection patrimoniale que ne cessera de constituer le dépôt légal, ne seront pas manipulés inconsidérément par un trop large public.

    En revanche, ce large public aura des droits sur une collection de 400 000 ouvrages acquis à cette fin. Il y en aura au moins 300 000 acquis pour l'ouverture. Chacun des deux publics devrait donc être tranquille. Le grand public au dessus du public de chercheurs, situé à l'étage inférieur. Ils ne seront pas dans un puits : le jardin a la taille du Palais-Royal ; et ils auront des conditions de travail infiniment supérieures à celles qu'ils ont aujourd'hui, à la Bibliothèque nationale où, je le dis clairement, ni le public, ni le personnel ne sont traités comme ils méritent de l'être, parce que nous ne pouvons pas faire mieux dans un bâtiment qui, vous le savez, a dépassé son siècle et dont le plan n'avait pas été conçu pour la croissance de la lecture que nous avons connue, aussi bien de lecture désintéressée que de recherche universitaire... S'il y a la queue, c'est peut-être aussi parce que l'on a inventé le DEA, la thèse nouvelle, parce que l'on a inventé des types de formations universitaires ou extra-universitaires qui font appel à des lectures spécialisées.

    A côté de ce site caractérisé par ses quatre tours, mais où l'essentiel des livres se trouvera dans le socle, en arrière pour la bibliothèque de recherche et dans les salles de lecture pour la bibliothèque publique, il y aura ces tours comportant, dans les premiers étages, des bureaux et au-dessus, des magasins où l'occupation sera légère dans un premier temps. Ne dites pas que l'on a surdimensionné, que diriez-vous, si le jour de l'inauguration, on annonce qu'il faut reconstruire car cela va bientôt être plein ? J'avais fait d'ailleurs, une chose semblable, lorsqu'aux Archives j'avais construit le CARAN (Centre d'accueil et de recherche des Archives nationales). On m'avait dit qu'il était surdimensionné, qu'il y avait des places vacantes, mais heureusement, car sinon, il aurait fallu le reconstruire dix ans après.

    A côté des quatre tours

    A côté de cela, des éléments forts subsistent, comme Provins ou comme Sablé, mais aussi à Marne-la-Vallée un élément nouveau de conservation, le Centre technique du livre, que nous partagerons avec le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Ce sera un grand équipement de conservation et de sécurité pour le patrimoine de la France. Les travaux vont commencer : il est question que l'on pose la première pierre dans les jours qui viennent et nous prévoyons une réalisation rapide puisque ce n'est pas un équipement sophistiqué. Voilà ce que je pouvais vous dire du projet.

    Maintenant, ce qui vous intéresse, même si vous n'avez pas beaucoup l'occasion de venir à la Bibliothèque nationale de France dans son site principal, ce sont les deux grandes opérations en cours, parfaitement distinctes et parfaitement connexes.

    La première, baptisée "pôles associés est le choix que nous faisons de certaines bibliothèques, prises non pas, je le dis pour ne vexer personne, pour leur taille, ni pour leur qualité mais pour leur spécificité. Il s'agit d'assurer une complémentarité du système bibliothéconomique français face aux acquisitions, aux acquisitions en France, pour les bibliothèques ne bénéficiant pas du dépôt légal, et des acquisitions à l'étranger pour nous tous. Je prends un exemple : il n'est pas indispensable qu'en France quatre bibliothèques soient abonnées à une revue japonaise de biologie ou de sécurité industrielle ou d'océanographie alors qu'il y a quatre personnes en France que cela intéresse. Il peut être raisonnable qu'une de ces bibliothèques soit spécialisée et qu'un système, sur lequel nous travaillons, permette une interconnexion. Cette interconnexion sera faite soit par prêt interbibliothèques, soit par télématique et communication par numérisation. Le principe est que l'État va aider la bibliothèque-pôle associé à se mettre à flot dans une spécialité qu'elle a déjà développée ou que, dans la ville, on a déjà développée, dans ou hors université. A ce moment-là, les acquisitions de cette bibliothèque seront réputées à la disposition de la France entière et plus particulièrement des autres pôles associés. Voilà ce que je pouvais vous dire. Pour l'instant, on travaille sur un petit nombre de bibliothèques, on peut prévoir qu'à échéance de trois ou quatre ans, nous serons à la trentaine. Dans l'immédiat nous sommes à six et l'on passera à dix-huit dans un avenir proche.

    Deuxièmement, l'opération dite de Catalogue collectif des bibliothèques de France où, là encore, nous sommes étroitement associés avec les bibliothèques municipales et universitaires et par conséquent avec les autorités de tutelle de ces deux types de bibliothèques. Très simplement, et certains d'entre vous le savent très bien, il s'agit de ne pas se contenter de la rétroconversion des catalogues de la Bibliothèque nationale, c'est-à-dire la conversion des trente catalogues anciens en un unique catalogue informatisé qui sera achevé en août 1996 et j'ai grandement confiance dans l'avancement de ce projet. Par conséquent, nous pourrons avoir un catalogue cohérent. Mais il paraît important de faire entrer dans un seul catalogue les ressources extraordinaires des autres bibliothèques de la France qui tiennent au passé, c'està-dire à ce que vous conservez parce que vous êtes les héritiers d'un séminaire, des jésuites, etc. Et de ce fait, vous pouvez avoir des ouvrages à exemplaire unique, même si votre bibliothèque n'est pas l'une des plus importantes de France. Mais ces richesses viennent aussi d'acquisitions parce que, pour une raison ou une autre, on a décidé dans votre bibliothèque de faire cette acquisition que ce soit au Japon ou aux États-Unis.

    Ce catalogue collectif, auquel nous travaillons, auquel vous travaillez déjà et que nous pilotons avec toutes les autorités de tutelle réunies, devrait donner à la France un outil de travail qui soit à la hauteur de la richesse diversifiée de ses collections et nous entraîne à prévoir le raccordement de ce catalogue sur INTERNET, ce qui permettra une consultation par les Français de ressources situées à l'étranger et par les étrangers de ressources situées en France. La faiblesse du système était de s'arrêter aux limites de l'Hexagone. Nous déborderons l'Hexagone pour le rayonnement de la France et pour l'utilité des Français.