Index des revues

  • Index des revues

Comment la géographie a rendez-vous avec l'histoire, vol. 2

1994
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Comment la géographie a rendez-vous avec l'histoire, vol. 2

    L'IFLA à Moscou, le retour, ou (in)tourist again à Moscou

    Par Pierre-Yves Duchemin, Président de la section Lfla cartothèques et bibliothèques de géographie
    Résumé des épisodes précédents : L'IFIA tient sa 57 e conférence générale à Moscou du 16 au 24 août 1991, période pendant laquelle se déroulent les dramatiques événements que l'on sait: ses bagages ayant par erreur été orientés vers une quelconque destination de l'Asie du Sud-Est par les personnels au sol d'Air France, pendant trois jours, notre présidente se trouva fort dépourvue lorsque llFLAfut venue... (voir Bulletin d'informations de l'ABFn° 153, 4e trim. 1991, pp. 71-72). Seremetyevo. Dimanche 26 septembre 1993, 15 h 30 : retour en Russie 25 mois après la 57e conférence de l'iFLA.

    Naissance du projet

    Le mercredi 21 août 1991, dans l'euphorie de la réception au Kremlin qui marque la fin de trois jours mouvementés, à la demande de nos collègues russes (notamment M. Volik, directeur de la bibliothèque Lénine et Natalja Kotelnikova, membre du comité permanent de la section des cartothèques et bibliothèques de géographie et directeur du département cartographie de la bibliothèque Lénine, rejoints ultérieurement par d'autres personnes), le bureau de la section tient une réunion impromptue sur un coin de table et, avec l'accord bienveillant des hautes instances de l'1FLA(notamment David Clements et Winston Roberts) - inscrit à son programme de travail l'organisation à Moscou d'un séminaire consacré à la conservation et à la restauration des documents cartographiques.

    La section des cartothèques et bibliothèques de géographie avait déjà organisé des training workshops, notamment aux Pays-Bas, en Jamaïque et en Malaisie, prenant pour base de travail le Manual for Practical Mapcuratorship conçu et écrit par différents membres de la section à l'intention des pays en développement. Il s'agissait alors principalement de conférences suivies de discussions avec les participants et de séances de travaux pratiques qui couvraient en une semaine l'essentiel des opérations et des tâches à effectuer dans un établissement conservant des documents cartographiques, de l'acquisition à la conservation, en passant par le catalogage et la communication.

    La demande officielle formulée par nos collègues russes, en date du 20 novembre 1991, est légèrement différente : l'accent est mis principalement sur les aspects de préservation, de conservation, de magasinage, de restauration des fonds de documents cartographiques que nombre d'établissements possèdent mais qui, trop souvent pour des raisons culturelles, sociales, politiques ou économiques, sont notoirement sous-exploités. Cette demande prévoit l'élargissement du public de ce séminaire à l'ensemble des républiques de l'actuelle CEI, ainsi qu'aux pays de l'Europe de l'Est. Enfin, la présence d'un ou deux membres de l'IFLA, notamment de la section cartothèques et bibliothèques de géographie et de la section conservation est souhaitée.

    En juillet 1992, la semaine du 18 au 23 avril 1993 est retenue pour la tenue du séminaire dont le pré-programme est déjà constitué. Le programme définitif est terminé en décembre 1992. La section conservation de l'IFLAa été contactée par la section des cartothèques et bibliothèques de géographie mais c'est en fin de compte le point focal du programme fondamental PAC (Préservation and Conservation) qui répond à l'invitation. Grâce à l'aide de Jean-Marie Arnoult, directeur du programme PAC, des contacts peuvent être pris avec le centre régional du PAC pour l'Europe de l'Est à la Deutsche Bùcherei de Leipzig. Wolfgang Waechter, directeur de ce centre, répond favorablement et assure de sa participation au séminaire.

    De son côté, Natalja Kotelnikova, avec des moyens très limités, ne reste pas inactive et fournit en février 1993 les résumés bilingues russe-anglais de dix-huit communications. Par ailleurs, les inscriptions au séminaire s'élèvent à près de 50 personnes. Malheureusement, contrairement aux précédents workshops, l'Unesco déclare ne pouvoir fournir aucun soutien financier à ce projet. Malgré de fréquents contacts à La Haye avec Winston Roberts, qui ne ménage pas ses efforts pour que le séminaire puisse être tenu, il faut se résoudre, faute d'un budget suffisant, à réexaminer le calendrier. Plusieurs dates sont ainsi proposées à Natalja Kotelnikova qui choisit finalement la semaine du 27 septembre au 1er octobre 1993, assurant qu'à cette période appelée l'été des femmes ", le climat à Moscou est doux et ensoleillé...

    Ce répit de six mois est mis à profit pour tenter de terminer le montage financier de l'opération. La réunion finale a lieu en août 1993 pendant le congrès de Barcelone et, grâce au soutien du bureau professionnel de l'IFLA, (notamment David Clements et Sally Mc Callum), de la division des bibliothèques spécialisées en la personne de son président Derek Law et l'aide toujours efficace de Winston Roberts, il apparaît que les dates fixées peuvent enfin être respectées. Les problèmes de logement sont également résolus à Barcelone : le budget étant évidemment très serré, les collègues russes proposent la location d'un appartement dans une résidence située dans le centre ville, à deux pas de la Bibliothèque d'État.

    Par ailleurs, la délégation «officielle» de l'iFLA est constituée : du côté PAC, M. Waechter, souffrant, se fait remplacer par son adjoint Henrik Otto ; la section des cartothèques et bibliothèques de géographie est représentée par son président ; enfin, à titre d'expert en ce qui concerne les documents cartographiques de grand format et les globes, il est fait appel aux compétences d'Alain Roger, chef de l'atelier de restauration des documents de grand format au département des cartes et plans de la Bibliothèque nationale.

    Natalja Kotelnikova peut maintenant faire état de 6l inscrits non seulement russes, principalement de Moscou et de Saint-Pétersbourg, mais aussi de collègues des républiques voisines (lettons, ukrainiens, kazakhs, tchèques, etc.). Le problème de la traduction simultanée est résolu grâce à la bonne volonté de plusieurs membres de la Bibliothèque de l'État russe et au recrutement d'étudiant(e)s russes. Par ailleurs, le projet de programme s'annonce très dense.

    Pour des raisons budgétaires, la prise en charge par l'iFLAdes frais de transport prévoit la réservation de billets touristiques" qui incluent un samedi dans les dates de séjour; en outre, au moins en ce qui concerne les participants au départ de Paris, le choix de la compagnie néerlandaise KLM, d'un coût très inférieur à celui des autres compagnies, impose un transit par Amsterdam.

    La situation politique mouvante à Moscou leur faisant craindre le pire, nos collègues russes décident en dernière minute de modifier nos conditions de logement : la résidence où nous devions séjourner étant considérée comme dangereuse » du fait de sa proximité du centre ville, M. Filippov, directeur de la Bibliothèque de l'État russe, et Ludmila Kozlova, chargée des relations internationales, nous informent le vendredi 24 septembre que trois chambres nous sont réservées à l'hôtel Sputnik, boulevard Lénine, dans une zone résidentielle où rien n'est à craindre, à 40 minutes en métro du centre ville, comme nous nous en rendrons compte plus tard...

    Réalisation

    Le départ a lieu de Roissy le dimanche 26 septembre à 7 h 05 et l'arrivée à Moscou vers 15 h 30 heure locale, après une heure et demie de transit à Amsterdam. En compagnie de Sacha, « guide-interprète », membre de la Bibliothèque de l'État russe, taciturne mais ô combien efficace, et de Henrik Otto, arrivé de Leipzig vers 15 heures, Natalja Kotelnikova nous attend à l'aéroport et, après de chaleureuses retrouvailles, nous accompagne à l'hôtel en minibus. Dès cet instant, jusqu'à notre départ, le dimanche suivant, nous ne serons plus jamais seuls... Nos collègues russes, sans jamais l'exprimer clairement, sont visiblement anxieuses et il n'est pas question de nous laisser errer à notre guise dans les rues, encore moins d'aller respirer l'air du côté de la Maison-Blanche ! Il est vrai qu'une réelle tension est dans l'air, bien plus tangible » qu'il y a deux ans et nos collègues sont persuadées que l'affrontement est inévitable. C'est pourquoi nous serons constamment escortés de l'hôtel à la Bibliothèque, de la Bibliothèque à l'hôtel, vers les lieux de visite, et même entre la Bibliothèque et la cantine !

    Le lundi 27 septembre, « l'été des femmes" ne semble guère tenir ses promesses et le séminaire commence sous un ciel gris et froid qui bientôt se transforme en pluie fine ! Le pire est encore à venir puisque les deux jours suivants, le thermomètre descend de deux degrés au-dessous de zéro et il tombe de la neige fondue... Néanmoins, bien que glaciale, la salle de conférences est pleine et nous sommes accueillis par Igor Filippov et son adjointe Natalja Igumnova.

    Le souvenir de la conférence IFLAde 1991 est encore très vivace ; de nombreuses collègues rencontrées il y a deux ans sont présentes ; on se souvient avec émotion que la délégation française fut l'une des seules à rester à Moscou pendant la durée intégrale de la conférence et M. Filippov nous remercie de l'organisation de ce séminaire qui maintient la flamme allumée il y a deux ans ».

    Pendant toute la durée du séminaire, les travaux se dérouleront dans une ambiance très attentive de la part de nos collègues. Pour notre confort, les textes des intervenants russes ont systématiquement été traduits en anglais ; les communications en anglais d'Henrik Otto et Pierre-Yves Duchemin, en français d'Alain Roger, ont été traduites en russe par nos propres interprètes. Enfin, le dialogue avec les participants, malgré le passage obligé par les interprètes, est riche, intéressant, voire passionné et toujours constructif.

    Il faut souligner l'attention portée à la communication d'Alain Roger sur la restauration des globes. Les globes ou sphères armillaires sont rares dans la CEI : les conquêtes napoléoniennes ont dépouillé la Russie de nombre de ces objets, la Seconde Guerre mondiale a fait le reste et les quelques rares objets que nous avons pu voir ne sont pas dans un très bel état. C'est pourquoi cette communication d'ordre général sur les problèmes spécifiques posés par la restauration des objets, illustrée de 80 diapositives commentées sur le travail de restauration effectué récemment sur deux globes du musée de Lille a été suivie dans un silence admiratif suivi d'applaudissements et d'une avalanche de questions que l'interprète avait parfois bien du mal à contrôler... Malgré le handicap de la traduction phrase à phrase, les questions sont toujours nombreuses et variées ; on peut sentir un immense besoin d'information, de discussion, d'échange d'expériences. La rapide disparition des quelques tubes de cire 212 apportés à titre d'échantillon et des quelques exemplaires du répertoire des fabricants européens de papier permanent montrent bien à la fois l'intérêt de nos collègues pour tout ce qui concerne les problèmes techniques évoqués et les conditions économiques difficiles dans lesquelles ils doivent oeuvrer.

    Le programme annoncé se révèle aussi dense que prévu : 27 intervenants sont inscrits pour les quatre premiers jours de la semaine. Regroupées thématiquement, les interventions concernent, le premier jour, l'état de l'art dans les collections russes de documents cartographiques, le deuxième jour, les problèmes de conservation de ces documents, les troisième et quatrième jours, les possibilités techniques de conservation et de restauration. Les séances de travail, entrecoupées d'une pause café-pâtisseries vers midi, sont prévues de 9 h 30 jusque vers 14 h 30, heure officielle du déjeuner ; l'après-midi est consacrée à des visites d'établissements ou d'institutions conservant des collections de documents cartographiques : nous avons ainsi visité à deux reprises et dans ses moindres recoins la Bibliothèque de l'État russe (que tout le monde continue d'appeler «Lénine»...) en insistant bien sûr tout particulièrement sur le département Cartographie, l'agence de production cartographique Cartography, les Archives de l'État russe, la bibliothèque de Littérature étrangère et le Centre de recherches et de conservation de la Bibliothèque de l'État russe, situé hors du bâtiment principal.

    Ces visites ont permis de mesurer à la fois la compétence et la connaissance du sujet de la plupart des personnes présentes, mais aussi le dénuement important en moyens techniques et financiers des institutions visitées. Il est également remarquable que la maîtrise des techniques de restauration de nos collègues de la Cei est particulièrement excellente en ce qui concerne les collections d'ouvrages (les atlas sont aussi des livres...). En revanche, il est apparu que ces techniques n'étaient pas, dans la plupart des cas par faute de moyens, transposées aux documents cartographiques autres que les atlas reliés ; nous avons pu voir quelques trop rares exemples de restaurations de documents cartographiques, notamment en ce qui concerne les entoilages, les encapsulations, la désacidification, etc.

    Par ailleurs, nous avons noté un risque important de « dérive technologique ». L'attrait d'une modernité envahissante, sans doute satisfaisant sur le plan technique, doit être maîtrisé pour ne pas faire perdre de vue l'intérêt patrimonial de certains ensembles de documents cartographiques : nos collègues sont passés maîtres dans l'art du splitting et de la polymérisation mais ces techniques intéressantes ne peuvent être utilisées à grande échelle en raison de leur irréversibilité. Tout au long de la semaine, Alain Roger, avec le soutien d'Henrik Otto, a particulièrement insisté sur ce point et a suscité de passionnantes discussions.

    Nos collègues de la CEI sont particulièrement informés de ce qui se fait... ou de ce qui pourrait se faire en matière de numérisation ; malheureusement, sur ce plan également, il est dommage de constater que ces compétences ne peuvent être pleinement mises en valeur par manque de moyens techniques : ainsi, aux Archives d'État, un micro-ordinateur PC compatible, d'un modèle que tout le monde peut avoir chez soi, relié à un caméscope grand public », traite les documents placés sur une table à numériser home-made... le résultat obtenu est néanmoins remarquable de qualité.

    Nous avons également remarqué que les techniques utilisées étaient le fruit d'une collaboration entre chimistes et restaurateurs », bien que cette fonction n'ait pas d'existence officielle. Ce point est particulièrement évident au Centre de recherche et de restauration de la Bibliothèque de l'État russe, dont le rôle et les compétences semblent devoir dépasser le caractère local. Mais la pauvreté des moyens techniques et financiers est tout à fait regrettable : on nous a montré, avec fierté, un rouleau de papier Bolloré, produit français... que se passera-t-il le jour où ce rouleau sera épuisé? Même problème pour la fourniture de Filmolux, dont l'approvisionnement est aléatoire ; même chose pour la désacidification de masse : le principal problème est l'approvisionnement en produits chimiques...

    Atmosphère, atmosphère...

    Au cours de ces huit jours, nous avons pu constater que les restaurateurs de documents cartographiques n'étaient pas les seuls à avoir des problèmes financiers. L'inflation atteint 30% par mois ! La monnaie reine est le dollar, le change s'effectue dans des fourgonnettes sur le trottoir et le cow-boy Marlboro règne en maître sur des affiches de quatre mètres sur trois ! Pourtant, les magasins semblent plus garnis qu'il y a deux ans, mais s'il y a plus de marchandises, c'est le chaland qui se fait rare. Il est également remarquable qu'une autre société se met en place ; un exemple flagrant est le GOUM, le grand magasin d'État situé sur la place Rouge : la moitié du rez-de-chaussée est occupée par des marques françaises de luxe : Christian Dior, Estée Lauder, Charles Jourdan, Hermès, Samsonite, Yves Rocher, Galeries Lafayette, etc. Le reste du rez-de-chaussée offre les marques Benneton (en cyrillique...), Burberrys, Quelle, etc. Les magasins russes sont refoulés dans les étages supérieurs, là où les boutiques sont moins spacieuses.

    Le commerce sur les trottoirs est officiellement interdit, mais des centaines de personnes, alignées comme à la parade, tentent de vendre un ou deux articles. Le marché noir remplace l'économie officielle : par exemple, un stylo-bille acheté un dollar en Asie, soit environ 1 000 roubles, est vendu dans la rue 2 000 roubles alors qu'il est vendu en papeterie 3 000 roubles ! Dans la mesure où le vendeur et le client y trouvent leur avantage, ils participent ainsi à un cercle vicieux qui semble bien difficile à briser... Autre exemple: le jeton de métro valait 15 kopecks en 1991 ; il vaut maintenant 10 roubles alors que le salaire moyen dépasse péniblement 30 000 roubles. Le premier octobre 1993 devait voir le prix du jeton passer à 20 roubles et, toute la semaine, il nous a fallu faire des attentes interminables pour acheter un jeton car, pour éviter tout trafic, il était interdit d'en acheter plusieurs à la fois ; devant la situation politico-sociale tendue, l'augmentation a été supprimée !

    Dans de telles conditions économiques, se fournir en borax ou en méthyle carbonate de magnésium tient du prodige ! En effet, pour la plupart, ces produits n'existent pas en Russie ou ne sont pas disponibles en quantité suffisante. Il faut donc les importer et, par voie de conséquence, les payer en hard currency. Dans les budgets actuellement dévolus aux établissements ou institutions, les devises coûtent cher.

    Dans les rues, pour aller d'un bâtiment à l'autre, nous prenons le bus, le métro ou simplement nous marchons. Où que ce soit, et bien plus qu'en 1991 où les blindés étaient partout en ville, la tension est palpable, plus physiquement perceptible qu'il y a deux ans. Il faut reconnaître que nos hôtesses font tout pour cacher ces problèmes afin que nous ayons un séjour agréable : quitte à faire un détour, il y a toujours prétexte à passer devant une église ou un beau monument pour éviter les secteurs « sensibles », là où les bandes de « mafieux se battent, les uns contrôlés par une camora italienne, les autres par un yakusa japonais...

    Nos interprètes, étudiant(e)s en français pour la plupart, profitent au maximum de ces « cours de conversation » : la brune Eugénia qui, férue de poésie française, dit pêle-mêle Baudelaire, Racine, Musset, les Négresses vertes, Prévert, Brassens ou Perec..., la blonde Irina, qui ne cesse de s'excuser de la qualité de son français..., Oleg, le seul interprète masculin, curieux de tout, un des piliers de la bibliothèque du centre culturel français à la bibliothèque de Littérature étrangère, qui connaît Paris comme sa poche sans y avoir jamais été, dont le vocabulaire est ahurissant (c'est lui qui assura la traduction simultanée des communications les plus techniques).

    Natalja Kotelnikova se révèle une hôtesse hors pair : elle a même prévu au programme une soirée pour assister à une représentation de Casse-Noisette! Hélas, en arrivant devant le Kremlin où doit avoir lieu la représentation, nous sommes accueillis par deux accortes sentinelles munies de Kalachnikov AK 73 (le top du must, paraît-il...). Après une heure d'attente sous une froide pluie battante, nous finissons par apprendre que le Kremlin est fermé sur ordre de Boris Eltsine et que la représentation est annulée non seulement ce soir, mais également les jours suivants.

    Autre temps, autres moeurs... ainsi, en 1993, nous n'aurons pas de ballet alors que l'après-midi même, nous avons visité l'agence cartographique officielle Cartography (l'iGNlocal). En revanche, dans notre programme de 1991, seule la visite de cette même agence, alors appelée GUGK, avait été annulée pour raisons stratégiques (la cartographie est toujours un domaine sensible...) mais nous avions pu voir Roméo et Juliette Natalja Kotelnikova ne se tient pas pour battue : deux jours plus tard, dans un autre théâtre, nous aurons droit à une représentation de Gisèle !

    En conclusion

    D'un point de vue strictement professionnel, ce séminaire est indéniablement un grand succès. Il a permis la rencontre et l'échange d'informations entre collègues souvent isolés et relativement bien informés. Ce séminaire a été l'occasion pour plusieurs collègues de faire connaissance et de se rendre compte que leurs problèmes étaient partagés par d'autres ; il a en outre permis de créer des liens entre des institutions différentes (bibliothèques, centres de documentation, archives, laboratoires de recherche en chimie, etc.). L'intérêt des participants, très assidus aussi bien à toutes les séances de travail qu'aux visites d'établissements ou d'institutions, est la meilleure preuve que ce séminaire était nécessaire. En outre, la présence, donc l'intérêt, de l'iFLA pour leurs problèmes a été un puissant réconfort, si ce n'est plus, pour nos collègues qui m'ont chargé, en tant que IFLAofficer, de remettre au bureau professionnel une résolution mettant l'accent sur leurs problèmes techniques et financiers et surtout sur l'absence de toute formation aux métiers de la restauration. En effet, les collègues rencontrés sont soit des chimistes, soit des bibliothécaires ou documentalistes, soit des ouvriers.

    Enfin, la présence de deux français de la Bibliothèque nationale dans la délégation IFLAa été très favorablement ressentie : la francophilie des collègues rencontrés ne demande visiblement qu'à se développer, que ce soit au sein du programme PAC ou à l'intérieur d'une autre structure : voir par exemple le succès de l'opération Courant d'Est qui regroupera en France environ 80 bibliothécaires russes, de la CEIet de "l'Europe de l'Est" pendant 6 semaines du 25 octobre au 5 décembre 1993. Il semble par ailleurs que la CEI soit plus encline à traiter directement avec le siège international du programme PAC à Paris qu'avec le Centre régional de Leipzig qui reste fortement assimilé à l'ex-RDA.

    Il a été enfin exprimé le souhait que reste une trace tangible de ce séminaire : grâce aux efforts de Natalja Kotelnikova et de ses collègues, les communications existent toutes en version russe et anglaise; il est ainsi prévu par la section des cartothèques et bibliothèques de géographie de préparer une publication des actes de ce séminaire. Par ailleurs, il nous a été demandé l'autorisation de publier en russe les communications d'Henrik Otto, Alain Roger et Pierre-Yves Duchemin dans la Revue de la Bibliothèque d'État.

    Organisé dans des conditions difficiles, ce séminaire s'est déroulé dans une atmosphère politique et sociale relativement tendue, bien qu'il faille souligner qu'à aucun moment, les événements n'ont gêné le bon déroulement des travaux ou nos déplacements dans la ville. Les collègues présents sont repartis enchantés et l'ambiance de la réception finale où chaque participant a porté un toast au séminaire, les remerciements réitérés des participants eux-mêmes et des autorités de la Bibliothèque de l'État russe aux trois membres de la délégation IFLA, la résolution adressée aux instances supérieures de l'IFLA, le souhait de voir organisées d'autres manifestations du même genre sont la meilleure preuve que toutes les énergies mises en oeuvre ne l'ont pas été en vain.

    Le départ

    Moscou, samedi 2 octobre après-midi, quartier libre accompagné : nos collègues sont heureuses et fières de nous montrer leur ville ; pendant que nous flânons dans le parc de Kuskovo, ou hors des circuits touristiques officiels dans des quartiers rénovés où les maisons sont peintes de douces couleurs pastel, les festivités du cinquième centenaire de la rue Arbat dégénèrent et des barricades de pneus en flammes se dressent tandis que, sur la place Smolenskaja, ont lieu les premiers jets de pierre, comme nous le verrons le soir même à la télévision.

    Moscou, samedi 2 octobre, 20 heures, place Rouge : nous faisons nos adieux à nos interprètes devant la relève de la garde au mausolée de Lénine. Quelques photos qui vont devenir historiques... nous ne savons pas encore que nous venons d'assister à l'une des dernières représentations.

    Autoroute M10, dimanche 3 octobre, 12 h 30 : en compagnie de Natalja Kotelnikova et de Sacha, nous roulons vers Seremetyevo. Le temps est radieux, un vrai ciel de printemps, il fait 15°, l'air est d'une pureté transparente, les arbres déclinent toutes les nuances du vert à l'ocre, la campagne russe défile devant nous, sereine ; c'est l'été des femmes, enfin, qui commence... Des files de camions militaires et de blindés légers descendent sur Moscou...