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    Rencontres "Lire au Mali"

    16-17 octobre 1993

    Par Véronique Reinhard, Centre culturel français de Bamako

    Extraits des propos recueillis par Véronique Reinhard Centre culturel français de Bamako

    A l'occasion de la cinquième édition de la Fureur de lire (manifestation annuelle de promotion du livre en France), le centre culturel français de Bamako, en collaboration avec l'opération lecture publique du Mali, a proposé des rencontres entre professionnels et partenaires du livre sur le thème Lire au Mali ».

    Cinq tables rondes thématiques ont été organisées autour des différents maillons de la chaîne du livre :

    • « édition-librairies ;
    • « la création littéraire au Mali ;
    • « les réalités du livre et de la lecture au Mali;
    • « alphabétisation - lecture en langues nationales ;
    • « lecture - bibliothèques.

    Nous ne pouvons publier ici que le compte rendu de deux d'entre elles qui nous ont paru devoir plus particulièrement intéresser les bibliothécaires français.

    La création littéraire au Mali

    Table ronde animée par M Bamakan Soucko, inspecteur des lettres.

    Pour parler de création littéraire au Mali, il faut situer le contexte de la littérature orale, puis celui de la littérature écrite, ce qui permettra alors de tracer les contours de la problématique de la création littéraire. Cette dernière se définit d'abord par le concept de création, qui est l'action de faire quelque chose à partir de ce qui n'existe pas. Par contre la littérature est une notion variable difficile à définir.

    Où commence la littérature au Mali? La littérature malienne est avant tout un patrimoine culturel considérable et prestigieux. Les griots sont les détenteurs de cette parole, les animateurs de veillées, et de toute vie sociale. Les premiers écrivains prennent le rôle de charnière de l'oralité et de l'écrit: récits, épopées ou témoignages des grands maîtres spirituels portent la marque de l'oralité. Ils traduisent aussi le choc » de la mise en contact de la littérature de type occidental avec la tradition.

    On assiste après l'indépendance à une profusion de titres qui traduisent dans les années 1970-1980 une désillusion qui atteint tous les genres littéraires. Cette explosion littéraire est encouragée par les divers concours : concours théâtral interafricain, concours de la meilleure nouvelle de RFI. Une demi-douzaine de lauréats sont maliens.

    Quelques écrivains maliens : Urbain Dembélé, Amadou Ascofare, Ibrahima Ly, Hamadoun Issebere, Alcali Kaba, Hamidou Fongo Maïga, Abdoul Karim Dembele, Birama Singaré, Massan Makan Diabaté, Moussa Konaté, Mandé Alpha Diarra, Ismaïla Traoré, Gaoussou Diawarra, Amadou Hampaté Ba, Issa Baba Traoré...

    Le statut de l'écrivain et du livre

    Malgré cet engouement, l'écrivain n'a pas de statut. La profession n'a pas d'existence propre, l'écriture est considérée comme un passe-temps. D'après l'intervenant, il n'y a pas de lecteurs, pas de lecture de livres africains, pas de réalités de la lecture et encore moins de "fureur de lire au Mali. Il y a une désaffectation de la lecture qui peut s'expliquer par une attache encore très forte à la culture traditionnelle. En outre, le livre est un objet de luxe, cher. L'écrivain lui-même ne peut acheter son livre. Les nantis se désintéressent de la littérature pour des gadgets de la civilisation occidentale. Écrire impose l'appropriation de la langue de l'autre. Les écrivains maliens cultivent leur propre jardin, leur propre langue et ne s'intéressent pas aux exigences d'écriture de la langue qu'ils utilisent. D'autre part, l'écriture malienne actuelle est une écriture sage, scolaire, qui ne comporte pas de débordement et de déraison.

    Impulser la création

    Les orientations à prendre pour impulser une création littéraire au Mali serait d'insérer les auteurs maliens dans les programmes scolaires. L'Union des écrivains maliens devrait être un lieu privilégié répondant aux demandes d'exigences de qualité de l'écriture et du public. Les journaux pourraient offrir aux écrivains maliens un début d'édition en publiant leurs écrits sous forme de feuilletons. L'Union des écrivains maliens devrait être une fenêtre ouverte, un contact entre la littérature et le grand public.

    Les destinataires

    Les écrivains maliens ne sont pas connus, il n'y a pas de rencontre entre l'écrivain et le public. Les écrivains maliens sont trop sérieux, leur écriture est trop loin des préoccupations occidentales pour avoir en Europe une véritable audience. Les Français s'intéressent peu à la littérature africaine et ne peuvent ainsi constituer les destinataires. Le véritable problème de la littérature malienne est là: qui en sont les destinataires ?

    Le passage de l'oral à l'écrit

    Il demeure flou. La littérature, selon Renan, est la création des choses de l'esprit A ce titre, elle peut être aussi bien écrite qu'orale. Le passage de l'oral à l'écrit pose de nombreuses contraintes et des problèmes nouveaux : conflit avec l'appropriation de la langue de l'autre, niveaux d'approche, de traduction d'une culture dans la langue d'une autre culture, de statut d'un auteur individuel au regard de l'auteur collectif de la tradition orale, d'une mutation de l'oeuvre orale dont les différentes versions deviennent figées sous l'écriture en regard de la dynamique qui habite les différentes inventions de l'épopée traditionnelle, des contes et des récits initiatiques... Mais on constate dans les bibliothèques de lecture publique et au centre culturel français que la littérature africaine (malienne en particulier) connaît une grande audience, avec comme best-seller l'Étrange Destin de Wangrin de Amadou Hampaté Ba et la trilogie de Massan Makan Diabaté.

    Il est rare aujourd'hui que les jeunes s'asseyent pour écouter les contes des vieilles personnes, la littérature traditionnelle est en train de disparaître. Il devient urgent que les écrivains recueillent et sauvent cette littérature.

    Mutation du livre, mutation de l'édition

    On assiste ainsi à une mutation du livre malien. Il existe maintenant une multitude de manuscrits, de jeunes talents qui ne peuvent être connus par manque d'éditeur, manque de cohérence dans la chaîne du livre. Tout ce flot de manuscrits ne pourra pas être édité à partir des grands éditeurs européens. Il faut donc réaliser la seconde mutation concernant le livre malien : créer de grandes maisons d'édition, comme on a créé de grands écrivains africains, afin de sortir du ghetto et de promouvoir la littérature malienne à partir du Mali. On ne peut plus produire les livres nécessaires à une nation à partir de l'étranger. Il faut des maisons d'édition nationales, implantées dans le pays, baignant dans l'atmosphère culturelle du pays. Il faut que les forces économiques et sociales s'investissent dans cette direction et surtout prennent conscience de cette exigence.

    Il s'agit aussi de rechercher des politiques de coéditions entre pays développés et éditions locales pour favoriser les transferts de technologies, pour acquérir une expérience dans le travail.

    Lecture-bibliothèques

    Table ronde animée par Fatogoma Diakité, directeur de l'Opération lecture publique du Mali et Al Hady Koita, directeur de la Bibliothèque nationale.

    La question de la lecture a été largement débattue. On s'attachera ici à examiner les activités des différentes bibliothèques actuelles et les besoins en bibliothèques. L'Opération lecture publique (qui coordonne les 46 cercles du Mali), la Bibliothèque nationale, la bibliothèque et la documentation du centre Djoliba, et enfin la bibliothèque du centre culturel français sont des établissements culturels à vocations complémentaires.

    Opération lecture publique du Mali

    Elle a été créée en 1978 et c'est en 1983 que les dernières bibliothèques des 46 cercles ont été ouvertes. En 1984, les bibliothèques de Bamako ont commencé à voir le jour. Les fonds comprennent 1 300 à 1 500 livres par bibliothèque.

    Les conditions pour créer une bibliothèque sont la mise à disposition de la commune d'un local et d'un enseignant détaché, qui sera ensuite formé par l'Opération lecture publique. Les livres sont envoyés par la centrale régulièrement selon les succès des bibliothèques. Un wagon bibliothèque sera bientôt mis en place grâce à l'aide de l'association Bibliothèques sans frontières. Les relations avec des villes partenaires a permis de recevoir de nombreux dons adaptés. La revue Les Enfants d'abord a été créée pour susciter le goût de la lecture chez les enfants.

    Bibliothèque nationale

    La Bibliothèque nationale a pour mission de veiller à l'acquisition, la conservation et la diffusion du patrimoine littéraire national, de recenser tout ce qui a été publié sur le pays et par les ressortissants du Mali. Elle doit servir de bibliothèque de référence et fournir toute la documentation nécessaire aux différents secteurs de la vie nationale. Sa seconde mission est de créer et favoriser les habitudes de lecture. En 1982, un Conseil consultatif de promotion du livre est créé. Remanié en 1992, il en précise les missions.

    La Bibliothèque nationale doit être également une référence pour la profession et assurer la coordination des professionnels. La volonté de donner à la Bibliothèque nationale sa véritable dimension existe, mais les moyens en locaux, mobilier, budget d'acquisition et personnel qualifié manquent pour remplir ces missions.

    Centre Djoliba

    Sa bibliothèque avait 153 abonnés en 1965, elle en compte aujourd'hui 4000. Le fonds est encyclopédique et met l'accent sur les sciences sociales. Les livres ont été d'abord prêtés, ils sont désormais consultés sur place, en raison des pertes constatées. Une salle de documentation enrichit et complète ce fonds. Le centre Djoliba assurera la coordination du futur réseau malien de documentation pour le développement. Il a édité un répertoire des bibliothèques et centres de documentation du Mali.

    Centre culturel français

    La bibliothèque du centre culturel français compte environ 3 000 inscrits par an et enregistre environ 50 000 prêts par an. Son fonds encyclopédique est de 28 000 documents et d'une centaine de journaux reçus régulièrement. 250 personnes en moyenne par jour fréquentent la bibliothèque, la documentation et le hall de presse. Ces chiffres éloquents par eux-mêmes montrent combien le besoin de lecture est réel à Bamako.

    Bien qu'encore peu nombreuses, ces réalisations diverses montrent l'étendue des besoins, mais également les efforts faits en ce domaine.

    Une biennale de la littérature pour enfants est en projet à Bamako pour 1995. Cette Fureur de lire 1993 constitue un pas essentiel vers la réalisation de ce projet. Elle en manifeste le besoin et la nécessité. Son ambition est de réunir tous les illustrateurs, tous les éditeurs d'Afrique - ou d'ailleurs - qui travaillent dans le secteur de la littérature enfantine. Cette initiative pourrait s'inscrire dans la prochaine Fureur. Les contributions de tous, maliens ou non, sont sollicitées.