Aucun texte législatif ne vient fortement affirmer la place de la bibliothèque publique dans la vie démocratique de la cité, dans le champ culturel ou d'information du citoyen. Cette loi-cadre, l'ABF la réclame comme condition du développement d'un véritable réseau de bibliothèques en France.
Le développement de la lecture publique et la reconnaissance sociale des bibliothèques est un phénomène très récent en France :
Aujourd'hui, malgré des avancées importantes, en particulier pour les bibliothèques des collectivités locales, la situation reste très fragile :
Et pourtant, toutes les constatations se recoupent :
Selon le Manifeste de l'UNESCO, les bibliothèques ont mission de loisirs et de culture, d'information et de formation, pour tous les publics. Ces missions s'exercent grâce à des collections organisées de documents, sur l'ensemble des supports : livres, périodiques, disques, vidéogrammes, CD-ROM, etc. La bibliothèque est donc le lieu de rencontre des usagers et des documents qu'il a fallu au préalable acquérir, traiter, conserver, présenter et mettre en valeur.
Les ouvrages et autres documents sont équipés, catalogués, traités pour la consultation sur place ou pour le prêt. Dans tous les cas, un ouvrage entré dans les collections a vocation à y être conservé, sinon définitivement, en tout cas pour plusieurs années, car la bibliothèque, contrairement à la librairie, a mission de constituer et d'entretenir un fonds.
A l'heure où l'édition a des taux de retour de plus en plus importants, où la durée de vie d'un ouvrage dans le stock de l'éditeur est d'une année environ, la bibliothèque, quelle qu'elle soit, permet à un titre une réelle durée de vie et à un lecteur de trouver « l'intégrale » d'un auteur.
La bibliothèque offre dans ses collections plus de livres que le plus grand libraire de la cité où elle est implantée ; elle est quelquefois le seul diffuseur de livres dans les petites agglomérations. La bibliothèque garantit effectivement l'accès au libre choix.
La bibliothèque est une vitrine supplémentaire de l'édition, complémentaire de celle du libraire. Les bibliothèques publiques, en achetant des livres réputés difficiles ou chers, prennent des risques que bien des lecteurs ne sont pas prêts à prendre. C'est bien souvent après avoir pu découvrir un livre en bibliothèque que le lecteur décide de l'acheter et de suivre la production de l'auteur. En librairie, la découverte se fait, très souvent, par l'intermédiaire des offices. Les invendus sont retournés très rapidement à l'éditeur. En bibliothèque publique, les livres qui ne connaissent pas de succès immédiat auprès du public sont achetés et conservés, sans retour à l'éditeur.
Quelles que soient les modalités d'institution d'un droit sur les prêts en bibliothèque, l'usager en sera, directement ou indirectement, le payeur :
Devant la complexité imaginable de la perception auprès de l'usager individuel, il est clair que seule une perception forfaitaire auprès de chaque collectivité sera retenue (comme c'est le cas en Grande-Bretagne). Dans un tel cas, on peut assez légitimement penser que la collectivité mettra à contribution le budget global de fonctionnement de la bibliothèque, ce qui diminuera de fait les moyens financiers de l'établissement au regard des achats de documents, des animations, des prestations diverses.
Cette contribution dite « droit sur les prêts sera en relation directe avec l'augmentation de l'activité de prêt à domicile : c'est dire que les efforts de promotion de la lecture et de gain de fréquentation seront récompensés par une contribution plus importante, évidemment mal vécue par les autorités gestionnaires et les professionnels des bibliothèques. En effet, ceux-ci verront, non sans émoi, la contribution sur le prêt augmenter lors des efforts faits pour ouvrir la bibliothèque à des publics dits faibles lecteurs pour attirer à la fréquentation du livre des enfants et des adultes de milieux socio-culturellement défavorisés, pour favoriser la «lecture étudiante », dans les universités.
Fondamentalement et sur le principe, les bibliothécaires considèrent que l'institution d'un droit sur les prêts est contraire à leur mission de développement de la lecture et de constitution de collections pluralistes.
Un tel calcul ne manquerait pas de complexité. En effet, les livres prêtés en bibliothèque représentent environ 300000 titres, les ouvrages disponibles en librairies plus les ouvrages conservés en bibliothèques et introuvables en librairie.
Les auteurs sont français, étrangers, personnes physiques ou personnes morales, collectivités publiques ou privées. Même si l'informatisation rend possible l'édition, par chaque bibliothèque, d'une liste des auteurs et des titres prêtés, cette liste sera difficilement lisible en machine : les formats de description d'un ouvrage varient d'une bibliothèque à l'autre ; en outre toutes les bibliothèques ne sont pas informatisées. L'exploitation de listings, ou de disquettes de fichiers de prêt serait donc très lourde, et probablement impossible à mettre en place de façon économiquement rentable, et statistiquement fiable.
La directive prévoit que « les États membres peuvent déroger au droit exclusif prévu à l'article 1er, pour le prêt public, à condition que les auteurs au moins obtiennent une rémunération au titre de ce prêt. « Ils ont [les États] la faculté de fixer cette rémunération en tenant compte de leurs objectifs de promotion culturelle" (art. 5. 1). La France n'a pas attendu cette directive pour mettre en place un dispositif de rémunération des auteurs tenant compte de ses objectifs de promotion culturelle : elle a créé le Centre national du livre en 1946.
Le Centre national du livre est une institution originale, à la fois dans son financement, dans ses objectifs, et dans ses modalités d'aide aux différents acteurs de la chaîne du livre. Chaque année, sont attribuées des aides financières (pour un montant total de 149 millions de francs en 1990) aux auteurs (bourses), aux traducteurs (bourses, ou aides à la traduction), aux éditeurs (prêt à taux réduits, aides ponctuelles), aux libraires (prêt, aides ponctuelles), aux bibliothèques (aide à l'acquisition de livres et revues), à l'organisation d'animations autour du livre.
Il nous semble que l'existence et l'intervention du CNL dans l'économie du livre doivent être prises en compte dans la réflexion sur le droit de prêt. En effet, le CNL aide les auteurs à se faire connaître. Il intervient auprès de petits éditeurs, ou de grands éditeurs pour des ouvrages ou des collections à rotation lente, nécessitant de gros investissements. Il accorde des subventions aux bibliothèques pour des acquisitions thématiques, ou pour compléter des collections par des ouvrages moins diffusés, plus rares. L'ensemble de la politique du CNL tend à aider l'édition la moins représentée dans les étalages courants des libraires.
L'introduction d'un droit sur les prêts aurait l'effet inverse puisque l'auteur (et l'éditeur?) dont les livres sont plus empruntés en bibliothèque serait rémunéré. Étant donné la forte coïncidence entre les best-sellers en librairie, et les titres les plus lus en bibliothèque, le droit sur le prêt avantagerait largement les auteurs qui en ont, économiquement parlant, le moins besoin.
Il nous paraît opportun, après les discussions interprofessionnelles qui se sont déroulées ces dernières semaines, que le CNLenvisage des modifications sur son fonctionnement pour mieux aider les créateurs (auteurs, traducteurs). L'ABF, membre du conseil d'administration du CNL, est prête à réfléchir sur ce point pour assurer une meilleure correspondance entre les objectifs du CNLet l'application pratique qui en est faite.
Actuellement, certains pays de l'Union européenne appliquent un droit de prêt dans les bibliothèques, destiné à rémunérer les auteurs. Il s'agit du Royaume-Uni, de l'Allemagne, des Pays-Bas et du Danemark. Dans chacun de ces pays, les modalités d'application sont très différentes.
Au Royaume-Uni, une enveloppe annuelle de 60 millions de livres sterlings est répartie entre 16 000 auteurs ; le Public Lending Right Agency est chargé de recueillir les données qui concernent les prêts effectués dans les bibliothèques publiques, sur la base de l'année précédente. Le droit est de deux pences par prêt, il est acquitté par le gouvernement central. Le maximum de ce que peut recevoir un auteur est plafonné à 6 000 livres sterlings par an, certains auteurs ne touchant que quelques livres chaque année.
En Allemagne, c'est la loi sur le droit d'auteur qui réglemente le prêt dans les bibliothèques depuis 1973. Les auteurs sont rémunérés pour le prêt de leurs oeuvres, par l'État et par les collectivités territoriales, pour un montant annuel de 5 millions de DM. Cette réglementation ne permet pas à un auteur l'interdiction du prêt de ses livres en bibliothèque. Elle s'applique uniquement aux bibliothèques de recherche et son extension à la lecture publique n'est pas envisagée actuellement. Un texte en cours d'élaboration, propose l'exemption du droit sur le prêt pour les bibliothèques publiques, d'universités et d'écoles, et les bibliothèques musicales.
Aux Pays-Bas, la réglementation sur la rémunération des prêts en bibliothèque date de 1987, elle fait partie de la loi sur les bibliothèques publiques et elle est prise en charge pour un tiers par les pouvoirs publics, pour deux tiers par les bibliothèques. L'enveloppe annuelle est de 15 millions de florins (soit environ 45 millions de francs). Un bureau du ministère de la Culture en assure la répartition auprès des auteurs pour 70 %, et des éditeurs pour 30%. Cette réglementation s'applique aux seules bibliothèques publiques et aux seuls auteurs néerlandais ou écrivant en néerlandais ou en frison. Dans le texte présenté au Parlement, une distinction est faite entre le livre et les autres supports : droit de prêt pour les livres ; droit d'exclusivité pour les CD et les vidéogrammes, interdisant le prêt de ces documents pendant les 6 mois suivant leur parution.
Au Danemark, c'est un montant de 105 millions de couronnes (soit environ 90 millions de francs) qui est collecté par le ministère de la Culture. Ce montant est calculé non sur le nombre de prêts, mais sur le nombre d'exemplaires présents dans les bibliothèques publiques et les bibliothèques scolaires. Il est réparti, à titre individuel, entre les 7400 auteurs de nationalité danoise.
On constate une grande disparité dans les principes et dans les modalités du droit de prêt dans ces quatre pays. Les accords de réciprocité sont actuellement possibles entre l'Allemagne et le Royaume-Uni ; dans les autres cas, la réglementation s'applique aux seuls auteurs nationaux. On ne manquera pas de remarquer que les sommes globales collectées dans ces quatre pays sont largement inférieures aux sommes actuellement collectées par le Centre national du livre en France, et réparties entre les auteurs, les traducteurs, les éditeurs et les bibliothèques.