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    Militer pour la lecture

    Par Paulette Delfaux, Présidente de l' association Lecture en Dordogne

    Le choix d'une vie, une longue histoire...

    qui démarre en 1939 avec une voiture ambulance militaire destinée à offrir, en Dordogne, département d'accueil, aux milliers de réfugiés privés de tout secours moral, intellectuel, des ouvrages susceptibles de les aider à mieux vivre ces jours difficiles.

    J'avais réussi, dans des petites communes, à organiser des « soirées-rencontres » où l'on parlait livres

    Dès 1941 Madame de la Motte (1) , qui avait vécu intensément en 1931-1932 dans les campagnes anglaises, danoises et hollandaises, des « tournées riches d'ambiance et de succès, décidait de commencer, en Dordogne, un premier essai et connaissait alors le supplice du doute, l'inquiétude face aux obstacles à surmonter, mais... le jeune garçon qui conduisait avec sûreté dans les chemins difficiles de nos campagnes établissait facilement le dialogue avec les paysans et tout devint plus simple.

    Quant à moi, mise en confiance par le succès du jeune chauffeur, j'acceptais de participer et de jouer mon premier rôle. Un rôle? Si modeste, faut-il parler de rôle ? J'avais dans un panier - un bon gros panier périgourdin - placé quelques livres, des livres que j'aimais, et je les présentais et j'en parlais au hasard des rencontres.

    Dès le début des « tournées » ce fut alternance de confiance et d'inquiétude parce que le prêt de livres aux communes rurales a constamment oscillé entre chances de succès et risques d'échecs, mais il ne s'est agi que d'oscillations et, lorsque je pouvais participer - sans titre, sans formation, sans tâches définies, simplement fidèle à la solide amitié qui me liait à Madame de la Motte - c'était pour moi, fête.

    En 1942, alors qu'il fallut renoncer à circuler, ce ne fut pas l'arrêt complet, des contacts restaient et j'ai eu souvent la joie, une joie vive, d'être appelée par des inconnus qui n'acceptaient pas de renoncer et qui parlaient passionnément de livres et de lecture.

    J'avais réussi, dans des petites communes, à organiser des « soirées-rencontres où l'on parlait livres : romans, documentaires, livres de métiers ". Des lecteurs, souvent jeunes lecteurs, composaient, pour annoncer le passage du bibliobus, des affiches (nous donnant souvent la surprise de dessins pleins d'humour) et, lorsqu'était proposée une soirée autour d'un livre, des lecteurs se réunissaient très volontiers. C'est ainsi que pour avoir présenté « La Mère Pasquier » (jeune femme amoureuse, femme trompée, mère comblée, vieille femme solitaire) La Chronique des Pasquier, ce roman de Duhamel, en 10 volumes, fut pendant tout un hiver le .. livre d'un village de 700 habitants ; après des présentations semblables, même succès pour Colas Breu-gnon, les premiers romans de Bernard Clavel, Le Silence de la merde Vercors et, bien sûr, pour Jacquou le Croquant et autres romans d'Eugène le Roy.

    Et ce furent pendant quelques années de passionnantes actions sauvages seulement possibles aux heures où mon métier d'institutrice -métier passionnant lui aussi - me le permettait.

    Vers la joie d'une lecture intime, active, totale du livre proposé

    Et j'entrais à la Ligue de l'enseignement, au service culturel national, responsable au service lecture.

    Dans les années 1950, point de télévision aux villages, les gens, après les contraintes des années de guerre, éprouvaient un certain besoin de « réunion le moment était favorable aux rencontres ». " Peuple et Culture animait des soirées autour d'un livre selon un schéma précis : connaissance de l'auteur, analyse de l'ouvrage, qualité de l'écriture, "Jeunesse et Sports » dramatisait avec plus ou moins de succès des oeuvres connues.

    Le service lecture de la Ligue de l'enseignement, qui cherchait à retrouver l'ambiance des veillées d'autrefois, créait les premières veillées de lecture. Veillées de lecture : moment privilégié, moment heureux, dans un climat de « veillée d'antan ». On allait, simplement, avec de sobres éléments de décor, quelques plages musicales, une lecture de courts extraits, vers la joie d'une lecture intime, active, totale du livre proposé. Certaines » veillées » vécues en présence de l'auteur, gardent encore, après bien des années, une certaine magie et, longtemps après, ouvrir le livre, relire quelques phrases c'est retrouver une émotion qui n'a pu s'effacer.

    De plus en plus le livre vivait ", les demandes d'informations se multipliaient, des relais s'imposaient et s'organisaient alors des stages de formation régionaux, puis nationaux d'une semaine, « une semaine active : matinée information-débat, après-midi ateliers, soirée-animation, présentation des réalisations, bilan critique. De ces stages où j'avais réussi dans une atmosphère agréable de lecture à réunir bibliothécaires, enseignants, parents, étudiants, des équipes se créaient.

    La littérature de jeunesse longtemps qualifiée d'anti-littérature s'imposait et ce furent alors de fructueuses « rencontres » sur les thèmes L'album aujourd'hui », "Romans pour enfants d'hier et d'aujourd'hui », « Lire l'image , " Histoire de la littérature de jeunesse ». La bande dessinée présentée, analysée par... des spécialistes » trouvait sa place : celle d'une lecture séduisante, différente, fructueuse, imposant un nouveau « savoir lire ».

    Depuis longtemps le livre n'est plus - ou très rarement - incitation à l'action mais tout peut - par le livre - se compléter, s'enrichir, se dépasser.

    Ce qui paraissait, il y a quelques années, absolument impossible -le développement de bibliothèques municipales, dans de très modestes communes rurales - devient réalité

    Aujourd'hui la puissance des médias, l'irrésistible attrait de la télé - et des journaux télévisés, l'étonnant succès des « voyages organisés ,, la multiplication des grandes surfaces, les jeux vidéo, les moyens modernes de communication limitent sûrement les heures de lecture. Et pourtant les éditeurs multiplient les publications, les éditions de poche connaissent un succès constant, journaux et revues parlent volontiers des dernières parutions, les albums dépassent les possibilités des libraires et, ce qui paraissait, il y a quelques années, absolument impossible : le développement de bibliothèques municipales, dans de très modestes communes rurales, devient réalité.

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    Est-elle à jamais fanée la marguerite de nos rencontres ?

    Aujourd'hui, bousculés d'informations, passifs devant des évidences,, qui s'imposent, jamais savoir lire ne fut d'une plus grande importance. Lire l'écrit - livres, journaux, revues, pages publicitaires, mode et précautions d'emplois - permet de préserver, face aux idées reçues, une précieuse liberté (pour certains sociologues : la seule liberté qui nous reste »).

    Militer pour la lecture aujourd'hui comme autrefois, comme toujours, c'est multiplier les rencontres pour simplement offrir et partager.

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    Le passage dans les esprits

    1. Directrice de la bibliothèque centrale de prêt de la Dordogne et de la bibliothèque municipale de Périgueux. retour au texte